L’Agenda 2010 en Allemagne: le chancelier des patrons

L’Agenda 2010 en Allemagne: le chancelier des patrons

Lorsqu’il dirigeait la Basse-Saxe, G. Schröder était ironiquement surnommé le camarade-patron, vu ses fréquentations. En lançant une authentique offensive antisociale et anti-ouvrière, l’Agenda 2010, le chancelier des patrons s’en prend aujourd’hui directement aux camarades. Les sociaux-démocrates (SPD) s’alignent, les Verts aussi, les directions syndicales hésitent plus ou moins à affronter le gouvernement et un demi-million de manifestant(e)s clament leur opposition à cette politique néo-libérale dans les rues des villes allemandes le samedi 3 avril.

«L’économie allemande soutient dans leur principe les mesures de réforme de la politique sociale et de l’emploi engagées sous le nom d’Agenda 2010». Les quatre organisations faîtières du patronat allemand ont ainsi apporté, le 5 mars 2004, leur soutien aux projets du gouvernement allemand. On les comprend, si l’on peut dire.

L’Agenda 2010: Couchepin x Merz + Blocher

Sous le nom d’Agenda 2010, le gouvernement allemand regroupe une série de réformes dans différents domaines, toutes animées par l’idée de réduire les «coûts du travail» et de baisser les prélèvements fiscaux des plus aisés, amnistie fiscale à la clé. Autrement dit quelque chose qui ressemblerait à une récapitulation des projets avancés en Suisse par les révisions successives du droit du travail, des assurances sociales et du paquet fiscal! Les mesures, déjà appliquées ou en voie de l’être, concernent les chômeurs (diminution des montants et de la durée de l’indemnisation, redéfinition de l’emploi convenable), les rentiers (gel des retraites, retraites anticipées plus tardives), l’assurance-maladie (l’indemnité en cas de maladie passe à la charge du salarié; participation financière individuelle pour certaines prestations), le droit du travail (développement des contrats à durée déterminée, de la précarisation par les «mini-jobs», assouplissement des conditions de licenciements). La privatisation partielle des Télécoms, de la Poste, des aéroports est envisagée. L’âge de la retraite pourrait être augmenté. L’opposition bourgeoise caresse l’idée de primes par tête pour l’assurance-maladie.

Les patrons allemands ont parfaitement compris que l’action du gouvernement leur ouvrait un boulevard et ont avancé d’autres revendications. La pression est forte pour amener les négociations collectives à se tenir non plus au niveau de la branche, mais à celui des entreprises (une demande également chère aux patrons suisses). Et des entreprises comme Siemens réclament une augmentation de la durée du temps de travail sans compensation salariale, sans quoi elles menacent de délocaliser leur production. Cette augmentation de l’horaire de travail à déjà été mise en oeuvre dans la fonction publique de certaines régions (Länder), comme la Bavière d’E. Stoiber (CSU). La droite démocrate-chrétienne, sous la conduite d’A. Merkel (CDU), pousse les feux par une surenchère ouvertement thatchérienne.

Le mouvement syndical est affaiblit

Le moment de cette offensive a été fort bien choisi. Le plus grand syndicat de branche européen, l’IG Metall, sort en effet déconfit de sa défaite à plate couture en juin 2003, lorsqu’il déclencha un mouvement de grève en ex-Allemagne de l’Est pour tenter d’amener les horaires de travail dans la métallurgie au niveau de ceux de l’Ouest. Mal préparée, mal menée, rejetée par certains conseils d’entreprise de l’Ouest, enjeu d’une lutte entre «traditionnalistes» et «modernistes» de l’appareil syndical, la grève fut stoppée sans aucun résultat. Cette défaite, la première à ce niveau depuis 50 ans, intervient dans le cadre d’un net affaiblissement du syndicalisme allemand. L’organisation faîtière, le DGB, est passé de 11,8 millions de membres en 1994 (après la réunification) à 7,9 millions en 2002. Un affaiblissement qui rappelle celui du TUC britannique après la victoire de Thatcher et qui est aussi le fruit des choix politique de la direction syndicale. Mis à part des manifestations sans lendemain, elle ne s’est pas vraiment opposées aux premières mesures néo-libérales du gouvernement (les lois dites Hartz, dirigées contre les chômeurs); ni aux exigences patronales (introduction de clauses de flexibilisation dans l’application des conventions collectives). Elle y a même quelquefois souscrit. Comme, par ailleurs, l’allié politique traditionnel du mouvement syndical, la social-démocratie, s’est ralliée à Schröder sans beaucoup d’hésitation – au nom du sacro-saint principe du «moindre mal» –, la direction du DGB hésite à se lancer dans ce qui serait là aussi une première dans l’histoire allemande, une opposition frontale à un gouvernement du SPD. Seul le syndicat des services, Ver.di, semble pour l’instant opter pour une action plus clairement combative.

Espoir à gauche de la gauche?

Si la politique de Schröder ouvre toute grande la porte au retour de la CDU-CSU aux affaires et démoralisera de nombreuses couches de salarié(e)s, quelques signes d’une contre-tendance réjouissante existent toutefois. D’une part les manifestations massives (un demi-million de personnes) de début avril, qui ont vu se rejoindre pour la première fois le mouvement syndical, dont l’aile gauche s’est remobilisée, le mouvement social (en particulier les organisations de chômeurs), les altermondialistes et l’extrême-gauche. L’exemple donné par la manifestation «autoconvoquée» de Berlin de novembre 2003 contre l’Agenda 2010 à fait office de référence. Proposée par une organisation régionale de chômeurs, reprise par Attac, la gauche syndicale et l’extrême-gauche, elle avait réuni, à la grande surprise de ses organisateurs, 100000 manifestant-e-s à Berlin. Un potentiel de mobilisation existait donc.

D’autre part, le mouvement étudiant s’est relancé dans l’action militante, dans plusieurs universités. Enfin, à la suite de la capitulation du SPD, le projet de formation d’une nouvelle organisation politique, antilibérale, a été lancée. Tout cela a finit par légitimer l’idée d’une résistance politique et sociale au gouvernement Schröder.

Daniel SÜRI