Madagascar

La jeunesse malgache hisse à nouveau le drapeau pirate

Depuis le 25 septembre, une révolte secoue Madagascar. Portée par la Génération Z, elle réclame justice, dignité et rupture avec un système corrompu hérité du colonialisme. Le mouvement ouvre la voie à une refonte politique radicale.

Des manifestants et des soldats à Antananarivo
Les manifestant·es sont rejoint·es par l’armée sur la Place du 13-Mai, Antananarivo, 11 octobre 2025

Depuis le mois de septembre, le mouvement, auto-intitulé GEN Z, secoue Madagascar. Il s’inscrit dans une longue continuité de luttes contre la domination, depuis la colonisation française jusqu’à l’indépendance, malgré une influence française encore présente. 

Une révolte aux racines profondes 

La France, en abolissant la monarchie malgache et en imposant ses lois, sa langue et une hiérarchie raciale, a créé un système de pouvoir colonial qui perdure depuis 1896. Depuis l’indépendance en 1960, les républiques successives ont reconduit les logiques coloniales. Andry Rajoelina, président jusque récemment, incarne cette dérive: alors qu’il prônait dans son programme la lutte contre la corruption et l’amélioration de l’accès aux services essentiels, il baigne notamment dans des affaires de pillage des ressources et le scandale de sa naturalisation française. La corruption et le népotisme gangrènent tous les niveaux de l’État depuis des décennies. 

En 2022, 75% de la population vivait sous le seuil de pauvreté tandis que le fils du président est diplômé du collège du Léman et de l’école hôtelière de Lausanne. Pas plus de 36% de la population n’est connectée à l’électricité et les délestages paralysent les hôpitaux, les écoles, les foyers, provoquant de nombreux décès et blocages. L’écart entre les sphères de pouvoir et la majorité des Malgaches est criant. 

La Génération Z, fer de lance d’un soulèvement populaire 

À partir du 25 septembre 2025, une vague de manifestations pacifiques a eu lieu dans tout le pays, organisée sur et portée par les réseaux sociaux. Le mouvement GEN Z s’est structuré autour de revendications claires: démantèlement des institutions corrompues, poursuites judiciaires contre les oligarques et démission du président. 

Inspirée par les luttes passées, la jeunesse malgache a réinventé les codes de la contestation: pacifisme assumé, humour en ligne, solidarité concrète parmi la population et entre les générations. Le mouvement GEN Z malgache s’est par ailleurs emparé d’un symbole mobilisateur: le chapeau de paille de Luffy, héros du manga One Piece. Mais ici, il est remplacé par un chapeau traditionnel malgache, porté fièrement dans les cortèges. One Piece raconte l’histoire d’un groupe de jeunes pirates qui défient les empires corrompus pour construire un monde libre. GEN Z s’identifie à cette quête de liberté, d’autonomie et de justice. 

Vers un renversement du pouvoir

La répression du mouvement a été brutale et s’est accompagnée d’une guerre de l’information. Le président a contredit les chiffres de l’ONU concernant les décès dus à la répression et mis la révolte sur le dos d’une cyberattaque de pays étrangers. Alors que les manifestations pacifiques se multipliaient, des actes de vandalisme ont ciblé des commerces, banques et résidences liées au pouvoir. Ce dernier a dénoncé des actes de violence des manifestant·es et en a profité pour accentuer la répression et tenter de diviser les classes sociales et les générations. Mais les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont révélé la réalité: ce sont des gendarmes en civil qui ont ouvert les portes des magasins, distribué de l’argent, laissé faire les pillages. 

Tandis que des proches du gouvernement fuyaient le pays, le président a dissout le gouvernement pour calmer la révolte, se prétendant de bonne foi et voulant discuter avec le peuple. Le discours du pouvoir était en totale contradiction avec les faits et la répression intense qui sévissait. 

Le 9 octobre, une grève générale a été lancée par GEN Z et la répression s’est encore intensifiée. Les syndicats se sont joints à la grève générale. Des prêtres, des médecins, des avocat·es se sont engagé·es aux côtés des manifestant·es en mettant leurs compétences à disposition. Le mouvement exigeait une refonte totale du système. La coalition politique des partis d’opposition semblait amorcer une convergence et s’allier au mouvement protestataire. 

Une opportunité historique s’est dessinée: celle d’un changement de paradigme, d’une démocratie populaire débarrassée des logiques (néo-)coloniales. 

Comme dans tout mouvement révolutionnaire, la situation du mouvement GEN Z à Madagascar évolue rapidement et il est difficile d’en prédire l’issue. Alors que nous mettons sous presse, l’Assemblée nationale a destitué Andry Rajoelina et la Haute Cour Constitutionnelle a appelé le colonel Michaël Randrianirina à exercer la fonction de chef de l’État pendant la période de transition. 

Madagascar est au cœur d’un renversement de pouvoir historique et le mouvement GEN Z s’organise, porté par la diaspora et les collectifs anticolonialistes.

Pardis Pouranpir