Le logement, un droit fondamental soumis au marché
On l’a entendu à la radio et à la télévision, on l’a lu dans les journaux, on l’a scandé dans les rues de Berne le 16 septembre, tout augmente sauf les revenus de la population. On assiste même à une véritable explosion des coûts relatifs au logement (prix de l’énergie, hausse du taux hypothécaire de référence, indexation des loyers sur l’IPC, etc.). Comment expliquer ces augmentations et quelle vision peut-on défendre dans le système actuel?
Même dans un pays aussi libéral que la Suisse, le logement bénéficie d’un statut particulier par rapport à d’autres biens de consommation. Il est par exemple soumis à un rendement maximal prévu par la loi, censé empêcher une spéculation capitaliste sur le dos des locataires. Quiconque loue actuellement un appartement dans une ville qui subit une pénurie de logements disponibles se rend bien compte que la situation a de toute évidence dérapé.
370 francs par mois de plus
Une étude commandée en 2022 par l’ASLOCA (Association suisse des locataires) révèle que, de novembre 2005 à novembre 2021, les loyers ont augmenté de 22,1% alors qu’ils auraient dû diminuer de 10,3 %. Pour la seule année 2021, c’est donc en moyenne 370 francs par mois et par logement qui ont été payés en trop. Face à ce constat, une seule conclusion devrait s’imposer : le droit actuel ne permet pas d’atteindre le but qu’il s’est fixé en limitant le rendement maximal possible d’un bien immobilier locatif. Dans le système en place, il faudrait donc que l’État contrôle automatiquement et régulièrement les loyers.
Le droit du bail contre le droit au logement
Pour l’heure, ce contrôle fait défaut et est reporté de manière individuelle sur les locataires. La droite fanfaronne et répète que le droit du bail est déjà bien trop favorable aux locataires puisque ces personnes peuvent contester le loyer dans les 30 jours après la remise des clés de leur nouveau logement et chaque augmentation de loyer.
Comme le dit Olivier Feller (Conseiller national PLR/VD) dans le 24 Heures du 6 septembre, «c’est au locataire de faire les démarches pour contester un loyer qu’il jugerait abusif». Nul·lex n’est censé·ex ignorer la loi… Mais les enjeux ne sont pas les mêmes pour les locataires !
Après s’être démené·ex pendant des semaines pour trouver un logement, avoir joué de ses relations pour les personnes les plus privilégiées, avoir prouvé par copie de ses fiches de salaires ou avoir dû trouver une personne garante qui accepte ces risques qu’on est « un·ex bon·nex citoyen·nex » digne de la confiance financière de son bailleur, la perspective de se lancer dans un nouveau combat, juridique cette fois, en dégoûtera plus d’un·ex.
Ainsi, sur les 400 000 nouveaux baux signés chaque année, seules 1200 personnes en moyenne contestent leur nouveau loyer. Toutes les autres qui ne l’ont pas fait répercutent donc l’éventuelle hausse entre deux locataires et cela devient petit à petit les loyers du quartier invoqués par les bailleurs·euses au moment de justifier une nouvelle hausse de loyer.
Taux hypothécaire, IPC, charges d’exploitation, quèsaco ?
Le 1er juin de cette année, tous les médias se sont fait l’écho de la hausse du taux hypothécaire de référence de 1,25% à 1,5%. Mais qu’est-ce que c’est et en quoi cela influe sur le loyer?
L’Office fédéral du logement (OFL) mandate la Banque nationale suisse (BNS) qui calcule le taux d’intérêt moyen des créances hypothécaires en cours pour toute la Suisse. Ce résultat est arrondi au quart de point. Chaque loyer est donc fixé selon le taux hypothécaire en cours au moment de la signature du bail.
Il devrait être baissé lorsque le taux baisse et peut être augmenté lorsque le taux augmente. Le loyer peut encore être indexé selon l’indice des prix à la consommation (IPC) publié par l’Office fédéral de la statistique (OFS). Si l’indice augmente, la partie bailleresse peut tenir compte de 40 % de ce renchérissement. Elle peut encore invoquer une hausse de ses coûts d’exploitation et prend souvent en compte une évolution forfaitaire de 0,5% à 1% par année civile, sans justifier cette hausse par les frais réels qu’elle aurait engagés de manière supplémentaire.
Tous ces calculs relatifs au loyer devraient permettre à la partie bailleresse d’arriver à un rendement maximal, fixé par le Tribunal fédéral à 2% de plus que le taux hypothécaire du jour, donc à un rendement maximal de 3,5% à l’heure actuelle. Mais comme le montre l’étude citée plus haut, faute de contrôle étatique, la spéculation immobilière a de beaux jours devant elle et a créé une spirale infernale : l’augmentation générale des loyers sert de prétexte pour augmenter les loyers abordables qui sont ensuite alignés sur les «loyers usuels du quartier».
Puisque les loyers représentent plus de 15% du panier-type de l’IPC, leur hausse fait augmenter l’inflation qui est elle-même utilisée par les banques pour fixer les taux d’intérêts, et donc, à terme, le taux d’intérêt de référence de l’OFL. C’est le serpent qui se mord la queue.
Un bien comme les autres?
Avenir Suisse, le think tank néolibéral, a publié un rapport que l’on peut résumer ainsi: «circulez, il n’y a rien à voir ; les discours alarmistes de la gauche sont de nature électoraliste ; le risque principal d’une détérioration de la situation réside dans les trop nombreuses réglementations du marché du logement.»
Une phrase de ce document semble emblématique et démontre que, pour Avenir Suisse, le logement est un bien comme un autre, soumis à la loi du marché: «Pour réduire une demande excédentaire [en logements, ndlr], des adaptations de loyer importantes sont nécessaires». Forcé d’admettre que pour certains ménages la situation est devenue insoluble, le think tank renvoie la balle à l’État: plutôt que de limiter les rendements par un contrôle automatique et régulier des loyers, octroyons une allocation pour le logement aux personnes précarisées.
Privatiser les profits et socialiser les pertes, une formule qui continue à faire son chemin auprès des théoricien·nexs de la politique néolibérale.
Locataires·rices menacé·es
La session de septembre au Parlement a été l’occasion de constater, une fois de plus, à quel point les droits des locataires·rices sont fragiles.
Le 18 septembre, le Conseil des États a adopté deux projets de réformes hostiles aux locataires·rices. Ces attaques sont dirigées contre le droit de chaque locataire·rice de sous-louer son logement et contre les maigres protections en cas de résiliation du bail pour besoin propre des propriétaires (partie bailleresse).
L’ASLOCA a d’ores et déjà annoncé qu’elle s’opposerait à cette détérioration du droit du bail en lançant un double référendum si ces deux projets de loi venaient à être acceptés lors du vote final agendé en fin de session parlementaire.
Julia Huguenin-Dumittan