Élections Tunisiennes

Élections Tunisiennes : Recul d'Ennahdha, succès de Nida Tounès, et progrès du front populaire

 

Nida Tounès, qui se présente comme la continuité du bourguibisme, régime mis en place avec l’Indépendance, est arrivé en tête avec 39,2 % des sièges. Quant aux islamistes d’Ennahdha, après deux ans de pouvoir, ils reculent de près de 10 points, de 41,5 % des sièges (en 2011) à 31,8 %, ce qui demeure un résultat important. En revanche, leurs alliés (le CPR et Ettakatol) s’effondrent. De son côté, le Front populaire, qui regroupe l’essentiel de la gauche et une partie des nationalistes arabes, multiplie par 2,5 son nombre d’élu·e·s, avec 6,9 % des sièges, contre 2,8 % précédemment.

 

 

Bilan politique contrasté

 

Contrairement à octobre 2011, l’essentiel des forces de gauche se sont présentées unies. Le nombre d’élu·e·s du Front populaire est ainsi passé de 6 à 15, dont 6 du Parti des travailleurs, 4 des Patriotes démocrates unifiés, 2 de la Ligue de la gauche ouvrière, et 3 des nationalistes arabes. Pour relayer ses exigences, la population pourra également compter sur certains élu·e·s indépendants, comme Adnane Hajji, figure emblématique du bassin minier de Gafsa.

Nida Tounès doit une partie de son succès au fait qu’il a réussi à incarner le « vote utile » contre les islamistes. Mais ce parti entend que le pays continue à suivre la politique exigée par les capitalistes tunisiens et étrangers, par l’Union européenne, les USA, la Banque mondiale, le FMI, etc. Dans la continuité des gouvernements précédents, il compte bien continuer à rembourser la dette extérieure; libéraliser encore plus le secteur agricole, les services et les marchés publics; réduire les impôts sur les bénéfices des sociétés; privatiser des sociétés confisquées au clan Ben Ali; poursuivre la réduction des dépenses sociales, notamment les subventions aux produits de première nécessité; imposer « l’ordre », en particulier dans le bassin minier, etc.

 

 

Question sociale au premier plan

 

Nida Tounès n’ayant pas la majorité des sièges, de fortes pressions vont donc s’exercer sur le Front populaire pour le pousser à voter la confiance au futur gouvernement, voire participer à celui-ci, ou voter le budget. Après avoir été parasitée pendant près de quatre ans par la bipolarisation entre néolibéraux «modernistes» et néolibéraux islamistes, la question sociale va donc revenir au premier plan. En ce domaine, l’attitude de l’UGTT va jouer un rôle déterminant. En 2012 et 2013, sa direction avait été absorbée par sa volonté de pousser en douceur le gouvernement Ennahdha vers la sortie. D’où son rôle clé dans la mise en place du cadre consensuel qui a débouché sur l’adoption de la Constitution et la mise en place, en janvier 2014, du gouvernement de « technocrates » chargé de préparer les élections. Cette politique s’est accompagnée de relations de bon voisinage avec le syndicat patronal UTICA. 

Maintenant que les objectifs politiques de l’UGTT ont été pour l’essentiel atteints, reste à savoir comment évolueront en son sein les rapports de forces entre ceux qui ne voudront pas « gêner » le futur gouvernement au nom de « l’intérêt national », et ceux qui considèrent que la défense résolue des intérêts des tra­vail­leurs·euses est le fondement de l’action syndicale. Reste à savoir également comment la gauche politique, associative et syndicale saura répondre aux attentes de celles et ceux qui ont été les éléments moteurs de la révolution : la jeunesse, les chômeurs·euses, les salarié-es, les femmes et les populations déshéritées de l’intérieur du pays.

 

Dominique Lerouge et Jean Batou