Grèce: victoire de Syriza et bras de fer avec Berlin

Grèce: victoire de Syriza et bras de fer avec Berlin : Quelles significations pour l'Europe?

Nous publions ici une évaluation du contexte et du contenu du premier accord signé par le nouveau gouvernement grec et les autorités de l’UE en vue de la prolongation de quatre mois du programme de refinancement contracté par ses prédécesseurs. Son auteur estime qu’il ne s’agit pas d’une capitulation de SYRIZA en rase campagne et qu’il lui laisse une certaine marge de manœuvre pour commencer à rompre avec l’austérité. Il ne traite pas cependant de la dynamique politique de ce compromis. [Réd.]

Depuis des mois, bien avant le scrutin, la victoire de SYRIZA aux élections législatives grecques et la formation d’un gouvernement mené par le parti de la gauche radicale étaient des quasi-certitudes à Athènes. Mais cette fois, au contraire de la situation de 2012, les dirigeants européens anticipaient cette perspective avec une certaine sérénité. «Comme les marchés, commentait le correspondant du Financial Times à Bruxelles début janvier, la plupart des dirigeants européens semblent avoir anticipé une victoire de Tsipras dans leurs calculs. Le défi n’est plus la survie de la zone euro, mais … d’arriver à un compromis mutuellement acceptable».

 

 

L’UE prête à la victoire de SYRIZA

 

La raison tient à la stabilisation de la situation politico-économique dans la zone euro, après les turbulences des années 2010–2012. En septembre 2012, la BCE explicite son engagement à empêcher le démantèlement de l’euro, faisant ainsi reculer la spéculation financière. En outre, la politique visant à imposer des ajustements structurels aux pays en difficulté de la zone euro a atteint ses objectifs. Rappelons que le but premier de cette politique n’était pas de permettre le remboursement des dettes publiques mais de corriger les déséquilibres macro­économiques au sein de la zone euro. Cet objectif a abouti, même en Grèce, où désormais les comptes courants sont excédentaires. Les plans d’aide au Portugal et à l’Irlande ont pris fin, et en 2014 même la Grèce a réussi à placer de la dette publique auprès des investisseurs, se rapprochant elle aussi du terme de son plan de sauvetage, prévu pour fin 2014. Enfin, la chute du prix du pétrole et l’affaiblissement de l’euro ont amélioré les perspectives de croissance dans la zone euro et le chômage a commencé timidement à décroître, y compris en Grèce.

Au delà de ce tableau général, la situation de la Grèce elle-même inquiète beaucoup moins les dirigeants européens. Le gouvernement grec a atteint depuis l’année dernière l’excédent budgétaire primaire prévu par le programme de sauvetage, les exportations ont amorcé une croissance, l’économie grecque a commencé à rebondir à partir de la fin 2014 et ses perspectives d’expansion sont très élevées. A force de comprimer les salaires, les investissements étrangers ont pu être attirés et les produits grecs se vendent à nouveau à l’extérieur. Enfin, les banques grecques sont en relativement bonne santé après avoir été recapitalisées par des investisseurs privés étrangers en 2014.

 

 

Vers une réduction de la dette ?

 

Il n’en reste pas moins que la plupart des commentateurs considère que le stock de la dette publique grecque est bien trop élevé et qu’il faut envisager des mesures supplémentaires pour l’alléger. Cette position est défendue, par exemple, par les éditorialistes du Financial Times, mais aussi par le FMI, qui plaide depuis 2012 pour que la dette grecque détenue par les gouvernements européens soit allégée substantiellement. Au lendemain de la victoire de SYRIZA, Reza Moghadam, le directeur du département Europe du FMI entre 2011 et 2014, passé depuis à la direction internationale de la grande banque d’investissement américaine Morgan Stanley, a publié une tribune reprenant la revendication de SYRIZA d’effacer la moitié de la dette grecque. 

De même, peu avant l’élection, le think tank de politique économique Bruegel, basé à Bruxelles, dirigé par l’ancien président de la BCE Jean-Claude Trichet, et chargé régulièrement de conseiller les ministres des finances européens, a publié un blogpost envisageant les différentes possibilités pour réduire la dette grecque indépendamment du parti qui gagnerait les élections grecques, rappelant au passage que les ministres des finances de la zone euro avaient pris cet engagement en novembre 2012. Enfin, quelques jours avant la victoire de SYRIZA, le Premier ministre finlandais, soit le chef du gouvernement qui a défendu les positions les plus dures à l’égard de la Grèce depuis 2010, a déclaré durant le Forum économique mondial de Davos, qu’il était prêt à envisager toutes les possibilités pour alléger la dette grecque, sauf la réduction de sa valeur nominale.

 

 

Le bras de fer

 

Comment donc expliquer le bras de fer auquel on a assisté au mois de février entre le gouvernement grec et, essentiellement, le gouvernement allemand ?

Le nouveau gouvernement grec a réclamé une solution en deux temps : un financement transitoire pour couvrir ses besoins sur le court terme d’abord, le temps d’arriver d’ici cet été à un accord global sur la réduction de sa dette. Entre-temps, toute conditionnalité imposée par les créanciers devait disparaître, et avec elle la présence (suite p.10)

des représentants haïs des créanciers – la Troïka – à Athènes chargés de superviser la conduite du gouvernement. Pour l’ensemble des créanciers, cela revenait à capituler devant les exigences du nouveau gouvernement. En particulier pour Berlin, il n’était pas question de donner l’impression de reculer devant la contestation d’une politique dont il est le principal auteur. 

L’enjeu ici dépasse largement la Grèce. «Si nous poursuivons le débat sur l’allégement de la dette, il n’y aura plus de réformes en Europe … Ce sera la fête à [Paris] et probablement à Rome aussi», a déclaré un haut fonctionnaire du ministère des finances allemand au Financial Times. Il aurait pu ajouter Madrid à cette liste, car un succès de SYRIZA renforcerait substantiellement PODEMOS dans l’Etat espagnol, grand favori des élections législatives prévues à la fin de l’année. Il était essentiel d’exiger du gouvernement grec de rester dans le cadre du programme d’aide en cours et d’ajourner le débat sur l’allégement de la dette, imposant ainsi ce qui peut être présenté comme une capitulation de SYRIZA.

 

 

La substance du compromis

 

La substance du compromis est cependant différente. Essentiellement, SYRIZA gagne le droit d’appliquer la partie de son programme qui ne nécessite pas de nouveaux financements : mesures en faveur des plus dé­mu­ni·e·s (payer l’électricité aux foyers qui n’en ont pas les moyens, distribuer des bons alimentaires et des cartes de transport gratuites et ainsi de suite), financées par la partie du programme de SYRIZA prévoyant la lutte contre l’évasion fiscale, la fraude, la contrebande, la corruption et la restructuration du système fiscal grec pour en accentuer la progressivité. Ces mesures ne sont pas négligeables. La partie la plus importante de l’endettement public grec est due non pas à un trop-plein de dépenses mais à des recettes fiscales largement en-dessous de la moyenne européenne. 

Des estimations montrent que l’économie noire grecque équivalait en 2010 à 25,5 % du PIB contre 10,7 % au Royaume-Uni et 13,9 % en Allemagne. Quant à la corruption, la Brooking’s Institution a estimé qu’en 2010 elle s’élevait à 20 milliards d’euros. Tout cela a créé un système très favorable à ce que SYRIZA appelle l’« oligarchie », et dont la dénonciation dans le contexte de crise que l’on connaît explique en grande partie ses succès électoraux. SYRIZA réussit également à rayer de la liste des mesures à mettre en œuvre les nouvelles baisses des salaires et des pensions auxquelles s’était engagé le précédent gouvernement. Enfin, l’accord reconnaît que l’objectif pour l’excédent primaire grec devra être révisé à la baisse, ce qui revient à admettre implicitement que la dette grecque devra être allégée d’une façon ou d’une autre dans les années qui viennent. C’est l’objet des négociations beaucoup plus importantes qui commencent entre SYRIZA et les créanciers sur ce qui se passera après que le programme en cours arrivera à son terme en juin.

La victoire de SYRIZA ne pose donc pas à court terme un défi majeur à l’ordre politique établi en Europe. Il n’en reste pas moins que le gouvernement grec a des marges de manœuvre pour améliorer le sort des sa­larié·e·s du pays en prenant des mesures que les précédents gouvernements ont refusé de prendre pour ne pas s’aliéner les forces locales du capital et de la petite bourgeoisie. 

 

Christakis Georgiou