Burkina Faso
Les tournants inquiétants du nouveau régime burkinabé
Le Capitaine Ibrahim Traoré et sa junte dirigent le Burkina Faso depuis bientôt trois ans. Multipliant les prises de parole contre l’impérialisme, Traoré est rapidement devenu une figure importante, au cœur d’un renouveau panafricaniste.
Au-delà du discours, certaines inquiétudes persistent dans ce pays dévasté par les attaques djihadistes, quand d’autres apparaissent face au tournant autoritaire de la révolution.

Depuis 2015, le Sahel fait face à des attaques terroristes islamistes causant une crise humanitaire majeure. Au Burkina Faso, outre la capitale Ouagadougou, tout le pays est soumis à des attaques terroristes régulières. Les derniers chiffres estiment 2 millions de déplacés sur 23 millions d’habitant·es et plus de 20000 mort·es.
Le 30 septembre 2022, le Capitaine Ibrahim Traoré prend le pouvoir, soutenu par une junte militaire jugeant l’engagement dans la lutte antiterroriste trop faible. Porté par un soutien populaire indéniable, Ibrahim Traoré s’est présenté dès la prise du pouvoir comme un chef de guerre à même de rétablir la sécurité du pays. Il affirme que sa présence à la tête du pays n’est qu’une affaire militaire de quelques mois. Pourtant, en mai 2024, les assises de la transition, tenues sans ses opposant·es, prolongent sa présence au pouvoir de cinq ans.
Ainsi, au-delà de la gestion de la guerre et des affaires courantes, le programme politique de la «Révolution progressiste populaire» se dessine petit à petit, axé sur l’autonomie, la réforme de la justice, de l’éducation et de la santé. Si Traoré se dresse contre l’impérialisme occidental, il noue des liens militaires avec la Turquie, la Corée du Nord et la Russie – régime impérialiste qui pourrait tirer profit de la déstabilisation du pays.
La disparition des contre-pouvoirs
Alors que le pays se caractérisait par un paysage médiatique dynamique, Ibrahim Traoré a rapidement étendu son contrôle sur l’information. Alors que les zones de conflit armé au Nord du pays sont devenues des déserts informationnels, de nombreux médias internationaux sont interdits sur le territoire. Les médias nationaux sont même interdits de rediffuser du contenu étranger. Nombre d’entre eux ont mis la clé sous la porte en 2024. La liberté d’expression individuelle est également menacée, car commenter ou partager des vidéos des attaques djihadistes est considéré comme apologie du terrorisme. Prétextant l’état d’urgence et la présence de «traîtres à la patrie», le régime se permet d’enlever et d’enrôler de force les voix dissidentes. Ces dernières années, des personnalités médiatiques, syndicales, de défense des droits humains et des opposant·es politiques ont disparu. Certain·es réapparaissant dans des vidéos sur le front, en tenue militaire.
En parallèle, des fake news inondent les réseaux sociaux, incriminant parfois à tort des employés d’ONG, traités d’espions. On trouve aussi IB avec Beyoncé, IB dans une usine locale de concentré de tomates ou la promotion de la première voiture électrique 100% burkinabé. Plusieurs rapports d’ONG mettent en cause le rôle des ambassades russes et des agents liés au Kremlin dans ces campagnes de désinformation, qui brouillent la réalité des actions politiques de Traoré.
Un espoir anti-impérialiste?
Le régime bénéficie d’un large soutien au sein du pays et de certains milieux progressistes en Afrique et Amérique Latine. Dans un monde marqué par le néocolonialisme, la figure d’Ibrahim Traoré est séduisante et suscite un espoir mobilisateur autour d’un projet plus que nécessaire. Pourtant, le Capitaine peine à mettre en œuvre une vraie politique de développement au profit des burkinabé·es, dans la ligne de celle mise en place par Thomas Sankara dans les années 1980. Celui-ci avait mobilisé largement la population dans des projets d’infrastructure, grâce à des comités populaires et démocratiques.
Aujourd’hui, la participation semble se limiter à l’effort de guerre au sein des «Volontaires pour la Défense de la Patrie» – où les opposant·es sont enrôlé·es de force. Protégé par le silence imposé aux médias et à l’opposition, son régime multiplie les effets d’annonce sans que les faits soient vérifiables. Ce que l’on sait, c’est que la guerre continue, les opposant·es sont enlevé·es et les médias bâillonnés, pendant que les burkinabé·es font face à l’inflation et l’insécurité. Au-delà du discours, on ne peut qualifier le programme politique porté par le régime d’anti-impérialiste tant les informations manquent. D’autant que les partenariats actuels mettent en doute sa capacité à libérer le Burkina Faso de l’impérialisme, la Russie pouvant occuper l’espace laissé vacant par l’Occident.
MM Timothé Chételat