Ni bilatérales patronales, ni solo xénophobe

Ni bilatérales patronales, ni solo xénophobe

Depuis le 1er Mai, l’UE compte dix nouveaux membres et son marché intérieur s’est élargi, de 370 à 450 millions de consommateurs-trices. Dans ce contexte les Bilatérales II sont une aubaine pour le patronat. C’est «la première fois que Bruxelles reconnaît non seulement le secret bancaire suisse, mais celui du Luxembourg» (Urs Roth, Président de l’Association suisse des banquiers, 23 mai 2007).

Au début des années 90, face au ralliement des principaux pays de l’AELE à l’Union Européenne, la majorité des milieux patronaux, suivie en cela par les Chambres Fédérales, optait pour l’adhésion à l’Espace Economique Européen. Mais c’était sans compter avec la précipitation du Conseil Fédéral, qui annnonçait au même moment l’ouverture de négociations en vue d’une adhésion pure et simple à l’UE…

Nouveau consensus patronal

Blocher allait réussir alors à donner un nouveau tour aux négociations avec Bruxelles, en gagnant le référendum contre l’EEE, en décembre 1992, et en formant un nouveau bloc majoritaire, favorable à l’approche bilatérale. Celle-ci permet en effet d’avancer pas à pas vers l’intégration économique, sans en payer le prix politique, soit l’acceptation de l’«acquis communautaire» en matière fiscale, financière, monétaire et sociale. Les concessions helvétiques sont ainsi chèrement monnayées en tirant profit des divisions entre les membres de l’UE.

L’objectif est clairement affiché: «L’économie suisse plaide en faveur de la compétitivité à l’échelle européenne et mondiale, plutôt que pour l’euro-compatibilité». Sous ce rapport, aux yeux du patronat, l’UE est considérée comme un aiguillon salutaire: son pacte de stabilité macro-économique, sa politique libérale au sein de l’OMC, ainsi que l’ouverture de ses marchés d’infrastructures (télécommunications, énergie, poste) influencent «de manière positive l’agenda de la Suisse» (citations tirées du site d’économiesuisse).

Bilatérales et extension de l’UE

En juin 2002, les sept premiers accords bilatéraux entrent ainsi en vigueur: ils concernent la recherche, les marchés publics, les obstacles techniques au commerce, l’agriculture, les transports aériens et terrestres, ainsi que la libre circulation des personnes. Les entreprises suisses en tirent un bilan extrêmement positif: «L’accès non discriminatoire au marché intérieur européen représente le principal avantage obtenu. (…) Pour la place économique suisse, ces accords revêtent toujours une extrême importance et leur pérennité doit être garantie». Ils favorisent aujourd’hui la pénétration des intérêts helvétiques en Europe centrale et orientale. Depuis le début des années 90, le commerce extérieur helvétique a progressé 4 à 5 fois plus vite avec ces pays, qu’avec le reste du monde. Aujourd’hui, la Pologne est un partenaire commercial plus important que le Portugal, la Grèce ou le Danemark…

Pour les salarié-e-s, l’élargissement de l’UE implique l’extension de l’Accord de libre circulation. La Suisse ne peut s’y soustraire, sous peine de mettre en danger l’ensemble des acquis bilatéraux, auxquels le patronat tient beaucoup. C’est pourquoi elle a négocié une période de transition longue, repoussant cette extension à 2011. Les dispositions transitoires – et autres mesures d’accompagnement – discutées par le Seco et les «partenaires sociaux» ne sont cependant que de la poudre aux yeux, qui ne visent qu’à éviter un référendum en 2005 (contre l’extension de la libre circulation) ou en 2009 (contre sa prorogation). En effet, sans un durcissement très net de l’action politique et syndicale, notamment en faveur d’un salaire minimum, la libre circulation favorisera immanquablement le dumping salarial et social, ainsi que la xénophobie qui l’accompagne.

Bilatérales II et Europe des polices

Pour les entreprises suisses, les Bilatérales II n’ont cependant pas la même importance que les Bilatérales I, qui font déjà partie de l’acquis communautaire. Elles enregistrent cependant des gains sectoriels significatifs. En particulier, l’accord sur les produits agricoles transformés (chocolat, biscuits, crèmes glacées, etc.) supprime les droits de douane pour les exportations suisses. Plus marginalement, l’accord Schengen-Dublin est favorable au tourisme et au voyages d’affaires des ressortissant-e-s extérieurs à l’UE (un seul visa Schengen suffit); il en va de même des mesures sur l’environnement, la statistique, les médias et l’éducation.

En réalité, les dispositions centrales de l’accord Schengen-Dublin, de même que les deux accords sur la fiscalité de l’épargne et la répression des fraudes, marquent surtout un pas vers la collaboration policière et judiciaire avec l’UE. Ainsi, l’accès aux banques de données informatisées SIS (personnes recherchées) et EURODAC (requérants d’asile, avec empruntes digitales) renforce l’intégration de la Suisse à l’Europe des polices. Celle-ci prévoit cependant une très large immunité pour la place financière, Micheline Calmy-Rey ayant placé l’ensemble des négociations – comme son élection au Conseil Fédéral – sous le signe de la défense intransigeante du secret bancaire.

Pour les militant-e-s poursuivis à l’issue d’une manif ou d’une occupation, les migrant-e-s sans autorisation et les requérant-e-s d’asile, c’est la garantie d’un contrôle accru, grâce à l’informatisation des données à l’échelle européenne. En revanche, pour la place financière, les résultats sont inespérés: l’UE reconnaît le secret bancaire, contre une retenue de 35% sur les intérêts des placements des personnes physiques de l’UE (75% pour l’UE, 25% pour la Confédération) et une collaboration dans le domaine de la répression des fraudes en matière d’impôts indirects, de subventions et de marchés publics.

Une autre Europe est nécessaire

Même si les concessions helvétiques sont négligeables, c’en est encore trop pour l’UDC et l’ASIN, qui annoncent un référendum contre Schengen, dénoncé comme un pas de trop vers l’intégration à l’UE. Pragmatiques, le PRD et les milieux patronaux défendent une ratification individualisée, puisque cette fois-ci, le rejet de l’un des accords ne devrait pas faire capoter les autres. A l’opposé, le PSS et le PDC plaident pour un traitement des neufs accords en bloc, afin de faire passer leur acceptation pour une avancée vers l’adhésion à l’UE. Pour nous, il n’est ni question de soutenir ces bilatérales patronales et sécuritaires ni de souscrire au solo impérialiste et xénophobe d’une Suisse version Blocher. Une autre Europe est nécessaire!

Jean BATOU