Partenariat et homoparentalité
Partenariat et homoparentalité
Pendant longtemps, une relation homosexuelle entre femmes ou hommes a été synonyme de renoncement à la paternité ou à la maternité, à moins bien sûr que lun des partenaires ait eu un ou des enfants lors dune relation hétérosexuelle antérieure. Les choses changent, heureusement, et les couples du même sexe osent rêver, revendiquer, désirer devenir parents. Mais quen est-il actuellement? La nouvelle loi fédérale offre-elle la possibilité à ces couples, liés par un partenariat, de fonder une famille homoparentale et à leurs enfants éventuels une protection juridique identique à celle des enfants issus de mariage, nés de mères célibataires, ou adoptés? Malheureusement, la réponse est NON.
Si nous considérons le Projet de la Commission de rédaction pour le vote final de la Loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe du 18 juin 2004, et plus particulièrement larticle 28: Adoption et procréation médicalement assistée, nous pouvons lire ceci:
Les personnes liées par un partenariat enregistré ne sont pas autorisées à adopter un enfant ni à recourir à la procréation médicalement assistée.
Force est de constater que les revendications liées au droit à ladoption et à la procréation médicalement assistée ont été écartées en Suisse au moment des débats, comme elles lont été en France dailleurs, et ceci afin de ne pas effrayer lopinion: il est vrai quune bonne guerre en Irak effraie moins que lhorreur de voir un enfant trouver chez deux êtres humains protection juridique et matérielle, amour et attention! Cest pourquoi, pour les couples homosexuels des deux sexes, cette loi représente bien sûr un plus, mais en même temps une humiliation déguisée, un rejet masqué. Nous ne pouvons manquer de remarquer que cette loi est tronquée dun aspect important, quelle nie le désir denfant légitime chez un couple de quelque nature quil soit.
Cette loi, en refusant aux couples partenariés le droit à ladoption ou à linsémination artificielle, se révèle porteuse dun sérieux paradoxe. Examinons larticle 27:
Art. 27 Enfants du partenaire
- Lorsque lun des partenaires a des enfants, lautre est tenu de lassister de façon appropriée dans laccomplissement de son obligation dentretien et dans lexercice de lautorité parentale et de le représenter lorsque les circonstances lexigent. Les droits des parents sont garantis dans tous les cas.
- En cas de suspension de la vie commune ou en cas de dissolution du partenariat enregistré, un partenaire peut se voir accorder par lautorité tutélaire le droit dentretenir des relations personnelles avec lenfant de lautre partenaire en vertu de lart. 274a CC4.
En clair, la loi autorise le coparent, ou plutôt oblige celui-ci à assister le parent biologique dans lentretien et léducation de ses enfants, sans toutefois lui donner de droit sur lenfant, puisque comme nous le dit la loi, les droits des parents sont garantis dans tous les cas. Et cest là que le bât blesse: les coparents se voient attribuer des devoirs mais aucun droit. Cela signifie quaprès rupture, ou décès du parent biologique, même après des années passées à soccuper matériellement et affectivement des enfants de leur partenaire, ils peuvent être rejetés, exclus de lavenir de lenfant dont ils ont pris soin. Les législateurs ont semble-t-il voulu atténuer cet état de fait en jetant ce qui ne nous semble pas plus quun os aux éventuels coparents: le partenaire peut se voir accorder le droit dentretenir des relations personnelles avec lenfant de lautre partenaire. Oui, mais selon le bon vouloir du parent biologique, et on sait quaprès une rupture, les chances de sentendre à lamiable sur un sujet aussi délicat que la garde des enfants sont assez minces. De même, après un décès, lenfant sera pris en charge par la famille du parent décédé et séparé de son coparent ou de sa coparente.
Adoption et procréation assistée refusées
Les éventuels motifs qui ont pu pousser les autorités à amputer les couples du même sexe du droit davoir des enfants sont: le manque de figure paternelle ou maternelle, de modèle de relation «normale» entre un homme et une femme. Toutes les raisons avancées ne prennent naturellement en compte selon les législateurs que le bien de lenfant, et elles sont presque toutes facilement attaquables: pour exemple, les personnes célibataires ont le droit dadopter, et pourtant, une famille monoparentale offre rarement à la fois une figure de père et de mère, à linstar dun couple de même sexe. Pourtant il est partout admis quune personne seule peut avoir recours à ladoption à partir dun certain âge, qui varie selon les pays: 28 ans en France, et 35 ans en Suisse selon larticle 264b du code civil suisse: «Une personne non mariée peut adopter seule si elle a 35 ans au moins».
De même, il est paradoxal de reconnaître à un homme ou à une femme la capacité de soccuper et déduquer un enfant, celui de son ou de sa partenaire, et de lui refuser dans le même texte de loi la responsabilité dun enfant adopté ou né grâce à une insémination artificielle médicalement assistée.
Alors, me direz-vous, faut-il voter cette loi? Ou ne vaudrait-il pas mieux attendre que soit proposée une loi plus adéquate? Nous nallons pas répondre à cette question mais plutôt décrire les moyens que trouvent les couples du même sexe, malgré limpasse juridique, pour réaliser leur vu le plus cher: créer un prolongement à leur amour en donnant la vie à un ou plusieurs enfants.
Etat des lieux de lhomoparentalité
Bien évidemment, notre but nest pas de démontrer par ce qui va suivre quune loi plus complète est inutile, et que tout va bien dans le monde des homoparents. Nous voulons souligner que la peur dentrer en matière sur ladoption et linsémination artificielle est irrationnelle, puisque la réalité, comme souvent, est en avance sur la loi. En effet, les couples, parmi le dédale des lois européennes, accèdent à la paternité ou à la maternité par le biais de la coparentalité, de linsémination artificielle, de ladoption ou encore des familles homoparentales recomposées.
La coparentalité…
La coparentalité se définit comme un projet incluant en général un donneur connu et présent dans lentourage immédiat, qui participe à léducation de lenfant, et une mère lesbienne, seule ou en couple. La coparentalité fait la part belle à la créativité et est placée sous le signe de louverture et de lenrichissement. Deux personnes, en général un gay et une lesbienne, mais un couple de lesbienne peut faire appel à un homme hétérosexuel, eux-mêmes seul-e-s ou en couple, vont décider de concevoir un enfant ensemble et de partager son éducation.
Pour la définir brièvement, la coparentalité, cest: partager la vie et léducation de son enfant avec un père ou une mère qui nhabite pas avec vous, et ceci pour la vie.
…et ses avantages
La première raison invoquée par les femmes qui choisissent la coparentalité est le souhait que lenfant ait un père. Dautre part, la famille créée est celle qui se rapproche le plus du modèle familial classique; on conserve en effet le sacro-saint couple mère-père cher à la psychanalyse et au modèle de famille traditionnelle.
Un aspect extrêmement positif est également la multiplicité des figures parentales offertes à lenfant, multiplicité qui savère sans nul doute un facteur denrichissement pour celui-ci.
En outre, lenfant est mieux protégé matériellement et juridiquement: lunion fait la force.
Et, pour finir, il est indéniable que cette formule octroie aux parents plus de temps libre et des moments dintimité nécessaires et bienvenus, puisque les coparents se partagent la garde des enfants.
Si les avantages précédemment mis en évidence ressemblent à ceux des couples divorcés, les inconvénients sont aussi du même type, et il est conseillé aux coparents de définir une charte de coparentalité, ratifiée par les partenaires et enregistrée chez un notaire, qui déterminera les limites et les caractéristiques du rôle des parents et de leur partenaire dans léducation des enfants.
Insémination artificielle médicalisée
Linsémination artificielle, comme nous lavons souligné plus haut, est interdite aux couples de lesbiennes en France et en Suisse. Heureusement, des pays comme la Belgique, les Pays-Bas, lAngleterre et lEspagne, pour ne citer que les pays voisins européens, octroient aux femmes le droit de bénéficier dune IAD (Insémination artificielle médicalement assistée). Notons quà Bruxelles, lhôpital AZ VUB reçoit en moyenne 4 couples de lesbiennes par jour.
Pourquoi choisir lIAD?
Les motivations des lesbiennes qui font appel à lIAD sont en premier lieu la volonté de ne pas cacher la nature de leur couple comme elles devraient le faire si elles optaient pour ladoption. Par ailleurs, le refus de voir une tierce personne simmiscer dans lhistoire familiale est également lune des raisons souvent invoquées.
Le revers de la médaille est bien évidemment que lenfant ne connaîtra jamais son père: les mères lesbiennes décident dune manière qui peut sembler radicale et égoïste de lavenir de leur enfant et celui-ci se verra inévitablement confronté plus tard à la norme sociale qui veut encore que tout enfant ait un père.
Pour ces femmes pourtant, le manque de référent masculin nest pas un problème: leurs enfants auront la possibilité, parmi lentourage et les amis, de choisir les modèles masculins qui leur conviendront le mieux. En outre, elles se sentent libérées des contraintes de la psychanalyse (complexe ddipe oblige!) et veulent que leurs enfants ne soient pas prisonniers des stéréotypes mais quils se développent au contraire en hommes et en femmes libres de tout préjugé.
Ladoption
Comme mentionné plus haut, le droit à ladoption est accordé aux personnes célibataires, mais non aux couples du même sexe. Si un couple veut faire appel à ce moyen, il est évident quil faudra quun des deux partenaires cache son homosexualité, se présente comme célibataire ou trouve une bonne âme qui accepte de se faire passer pour son ou sa partenaire. Dans la période que nous vivons, où le credo est VISIBILITÉ pour les homosexuel-le-s, cette méthode peut paraître problématique.
Les procédures dadoption ne sont pas propres aux personnes homosexuelles, par conséquent nous nen parlerons pas ici. Précisons tout de même que dans le cadre de lenquête menée par Lesbia magazine, aucun témoignage relatif à ladoption par un couple de mères lesbiennes na été envoyé, lequel aurait pu illustrer le dossier élaboré sur ce même sujet. Est-ce à dire que les couples de même sexe nadoptent pas, ou quils ont peur de dévoiler leur situation réelle et des conséquences qui en découleraient?
Quel avenir pour les familles homoparentales?
On la vu, les familles homoparentales existent et des enfants sépanouissent en leur sein, même si notre société veut les ignorer.
Rappelons que sans loi, les partenaires dun couple de même sexe nont aucun droit: visite à lhôpital, succession, permis de séjour pour un des partenaires, etc. La nouvelle loi fédérale sur le partenariat enregistré remédie à ce vide juridique créateur dinégalités et dinjustices.
Cependant, elle ignore délibérément tout ce qui concerne les enfants des couples qui choisiraient un tel contrat. Et si des enfants grandissent malgré tout dans ces familles homoparentales, aucune protection juridique ne vient consolider ces nouvelles formes de parentalités: elles sont, pour la plupart, tributaires du bon vouloir de la mère biologique ou du droit des parents. Cest pour ces raisons que certaines associations, lesbiennes surtout, les hommes se montrent en effet plus frileux sur ces deux sujets, revendiquent le droit à ladoption et à la procréation assistée, et dénoncent les lacunes de la loi fédérale sur le partenariat enregistré.
En conclusion, nous souhaitons que, de la même manière que notre société, après des siècles de rejet, a reconnu la légitimité des couples du même sexe, elle leur reconnaisse également et le plus rapidement possible le droit dêtre parents et de vivre leur parentalité au grand jour.
Gisèle THIÉVENT
Sources: Lesbia magazine, numéros de janvier, février, mars et avril consacrés aux mères lesbiennes.