Mondialisation capitaliste nouvelles résistances
Mondialisation capitaliste nouvelles résistances
Au cours de ces dernières semaines, tour à tour en France, au Chili et en Grèce, des secteurs importants de la jeunesse sont entrés en lutte contre des aspects clés des politiques néolibérales. Ce qui frappe immédiatement dans ces trois mouvements, c’est leur caractère massif et déterminé, leur confrontation directe avec l’appareil d’Etat, ainsi que leur capacité à entraîner derrière eux de plus larges secteurs de la société. En réalité, par les questions qu’elles ont posées, ces mobilisations ont mis directement en cause la logique des contre-réformes en cours. En même temps, elles ont débouché sur des expériences de lutte et d’organisation irremplaçables pour une nouvelle génération, souvent plus consciente – parce qu’elle en fait l’expérience tous les jours en première ligne – de la radicalité du programme régressif du capitalisme.
Aujourd’hui, il n’y a pas de barrière étanche entre la jeunesse scolarisée et le monde du travail. Non pas seulement, parce que la massification de l’enseignement a fait entrer un nombre croissant de jeunes des milieux défavorisés dans l’enseignement secondaire et supérieur, mais aussi parce qu’une fraction importante de celles/ceux-ci occupent déjà des emplois précaires, mal rétribués, à temps partiel, sur appel… pour vivre et payer leurs études. Il est ainsi symptomatique que le Conseiller fédéral Joseph Deiss ait récemment défendu le démantèlement de la protection légale des jeunes en matière de travail de nuit et du dimanche en invoquant la possibilité de gagner sa vie en dehors des horaires scolaires. C’est pourquoi les revendications, mais aussi les formes de lutte développées par la jeunesse, peuvent conquérir la sympathie de larges secteurs de salarié-e-s.
Contrairement à ce que n’a cessé de répéter la presse, les étudiant-e-s et lycéen-nes français n’ont pas perçu le CPE comme une menace seulement pour les autres – les jeunes défavorisés –, mais aussi comme l’expression de cette précarisation du travail qu’ils-elles connaissent déjà de première main. En Grèce, la contre-réforme néolibérale et autoritaire de l’Université est aussi entrée en résonance avec les transformations du monde du travail dans le sens d’une compétition permanente et d’un renforcement de l’autoritarisme. Enfin, au Chili, si c’est le coût des transports et de l’inscription aux examens qui a mis le feu aux poudres, le mouvement des lycéen-ne-s, en s’étendant, a fait le procès d’une école de classe, mise en place par la dictature militaire et maintenue sans changements depuis.
Cela fait une trentaine d’années, que les milieux dominants ne cessent de pousser leurs pions en avant pour imposer une nouvelle donne antisociale et mortifère à la planète entière. Leur programme: la croissance des inégalités entre salarié-e-s et capitalistes, entre femmes et hommes, entre pays dominés et pays impérialistes; la mise en concurrence et la précarité du travail à l’échelle mondiale, en particulier au détriment des femmes; la légitimation d’un néocolonialisme conquérant, légitimé par une nouvelle forme de racisme, et imposé par la guerre; la course à l’abîme par la destruction des ressources naturelles et par la rupture des grands équilibres écologiques planétaires. Face à cette vague de fond, brutalement régressive, le mouvement ouvrier traditionnel s’est montré totalement désarmé, en panne de contre-projet. Ses organisations n’ont pas permis non plus à la moindre résistance sérieuse de s’exprimer et de se développer.
Si une hirondelle ne fait pas le printemps, trois hirondelles pourraient l’annoncer… En effet, avec la jeunesse qui fait grève, qui occupe les écoles et les universités, qui descend dans la rue et gagne la sympathie des travailleurs-euses en France, au Chili et en Grèce, ce sont aussi les revendications du mouvement altermondialiste qui commencent à s’incarner dans des mouvements sociaux de grande envergure. Le cycle des contre-sommets avait marqué l’éveil d’une volonté de résistance globale; celui des forums lui avait donné un prolongement plus structuré; aujourd’hui, des secteurs larges de la jeunesse font l’expérience que des épreuves de force sociales de grande envergure seront nécessaires pour dessiner les contours d’un autre monde sur le terrain. Cela pourrait ouvrir la voie à de nouveaux possibles.
Dans ces conditions, la gauche anti-capitaliste est confrontée à un double défi. D’une part, catalyser un front du refus – le plus étendu possible – avant tout sur le terrain des luttes sociales, pour contrer les politiques néolibérales, qu’elles soient menées par la droite ou par la «gauche». Parallèlement, traduire cette volonté de résistance par la convergence d’une force anti-libérale de gauche, capable d’une expression politique et électorale, afin notamment de renforcer l’idée d’une alternative possible, qui encourage les mobilisations. Enfin, pour éviter les écueils jumeaux du social-libéralisme (plus d’insécurité sociale, avec des filets sociaux) et du souverainisme (plus de frontières), il nous faut contribuer à reconstruire un projet politique radical – qui prenne le mal à la racine –, en partant des questions que les mouvements nous posent pour montrer qu’on ne peut y répondre, qu’en rompant avec le capitalisme.
Jean BATOU