Christoph Blocher entre en campagne

Christoph Blocher entre en campagne

Le 17 juin 2006 nous étions plus de 12 000 personnes à manifester à Berne pour dire «La Suisse, c’est nous!», une manifestation métissée, à l’image de notre société, une manifestation déterminée à combattre la politique raciste et discriminatoire inscrite dans les projets de Loi contre l’asile et les étrangers du Conseil fédéral (LAsi et LEtr). Le 26 juin le conseiller fédéral Blocher, au nom du gouvernement, tenait conférence de presse pour soutenir ces lois afin de «préserver la tradition humanitaire de la Suisse» et d’«empêcher les abus».

Les partisans des deux projets de loi viennent de débuter officiellement leur campagne. Il ne faut pas se leurrer! Ils disposent d’un fond de commerce entretenu savamment, c’est à dire la campagne menée depuis de nombreuses années sur le thème des étrangers qui «abusent» et qui sont «tous des délinquants». Blocher, entourés des conseillers-ères d’Etat Fournier et Keller-Sutter ainsi que de hauts fonctionnaires, peuvent dès lors se permettre le luxe de présenter le projet de LEtr sous l’angle de «la nécessité pour la Suisse de disposer de la main d’oeuvre dont elle a besoin, sans générer du chômage et sans que les charges d’assurances sociales n’augmentent de manière disproportionnée» et celui de révision de la LAsi sous l’angle de «mesure ciblées permettant de garantir la protection des personnes persécutées»!

Intégration au mérite…

Le conseiller d’Etat valaisan démocrate-chrétien Jean-René Fournier, ardent laudateur de la LEtr, relève que cette loi «récompense en quelque sorte les étrangers qui démontrent concrètement la volonté de bien s’adapter» et d’exiger des migrants «l’apprentissage d’une langue nationale, la connaissance du mode de vie suisse et le respect des fondements de notre Etat de droit»! Il s’agit donc de faire un tri entre «bons» et «mauvais» migrants, à la mode des «faiseurs de Suisse» ou des contrôle sanitaires humiliants, imposés dans les années soixante aux travailleurs saisonniers. En fait, la LEtr est claire comme de l’eau de roche: c’est dans le cadre de l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, comme le stipule son article 96, que «les autorités compétentes, tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d’appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l’étranger, ainsi que de son degré d’intégration». Et le degré d’intégration, cela se mesure comment? Dans les faits, au bon vouloir de la police des étrangers.

Le Président de l’Association des services cantonaux de migration et directeur de l’Office de la migration de Bâle-campagne réussit, quant à lui, le tour de force de présenter les restrictions en matière de regroupement familial figurant dans la LEtr comme davantage «de chances d’intégration». Selon M. Hanspeter Iselin, «le délai plus court prévu pour le regroupement familial doit profiter en premier lieu aux personnes qui en bénéficient, et en particulier aux enfants». Bizarre, mais non! «Jusqu’à maintenant, il était malheureusement fréquent que des parents laissent leurs enfants dans leur pays d’origine presque jusqu’à leur majorité. A leur arrivée en Suisse, ces jeunes étaient trop âgés pour suivre l’école obligatoire. Ils se trouvaient alors ici sans maîtriser une des langues nationales et par conséquent sans la perspective de pouvoir suivre une formation professionnelle. Ce manque de perspective en a malheureusement fait sombrer plus d’un dans la délinquance». La solution, c’est donc que ces jeunes, âgés de plus de 12 ans, soient définitivement séparés de leurs parents, immigrés en Suisse, si le regroupement familial n’est pas intervenu dans un délai de 12 mois (art.47 al.1 LEtr)! Un cynisme choquant qui remet en cause un droit fondamental, le droit au respect de la vie privée et familial, garanti par l’art.8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Sanctionner le refus de coopérer

La conseillère d’Etat radicale saint-galloise Karin Keller-Sutter se fait la chantre de la nouvelle forme de détention pour «insoumission» prévue dans la LEtr. Comme elle le relève, cette détention peut être ordonnée pour une durée de 18 mois. Et comme pour l’embastillement, pratiqué par l’Inquisition ou la monarchie de droit divin dans le but que le renégat ou l’opposant, jeté en prison sans jugement, fasse pénitence, collabore à l’instruction de son procès, voire déclare allégeance au pape ou au roi, «la personne détenue peut elle-même, en tout temps, y mettre un terme en se décidant à collaborer aux actes préparatoires en vue de son départ, et notamment à l’obtention de nouveaux documents de légitimation»! Telle est la déclaration faite par cette magistrate, au nom de «l’Etat de droit». On reste pantois devant cette forme de chantage, la contrainte par corps, ouvertement revendiquée comme un moyen de coercition admissible.

Racisme d’Etat et fantasmes xénophobes

Les derniers événements qui viennent de se dérouler à Bex (VD) mettent en relief que la cocotte-minute des préjugés racistes est aujourd’hui surchauffée et qu’à tout moment elle peut exploser. La droite raciste comme l’extrême-droite ont intérêt à attiser ce feu. Une politique migratoire qui conduit à la négation des droits des migrant-e-s et à leur exclusion provoque inévitablement des situations de désespoir. Il y a urgence à construire des lieux de débat et de solidarité, pour sortir de l’isolement, des rancoeurs et de la haine. C’est un des objectifs que nous devons nous donner dans la perspective du 2 x NON à la LEtr et la LAsi le 24 septembre prochain.

Jean-Michel DOLIVO