Les parents dans la rue contre les tarifs des crèches

Les parents dans la rue contre les tarifs des crèches

Le gouvernement du canton du Jura a adopté un nouveau tarif
unifié pour toutes les structures d’accueil et de garde du
canton allant de 10 francs par jour à 80 francs par jour par
enfant, plus 5 francs par repas. Le taux maximum est atteint pour un
revenu de 10 000 francs par mois (revenu cumulé des
parents). Un couple qui gagne le salaire moyen suisse et qui travaille
à plein temps est ainsi déjà au maximum: pour un
enfant, il payera 1800 francs par mois, le double pour deux enfants.
Comme dans tous les cantons, ces tarifs exorbitants soulèvent de
fortes oppositions dans le Jura.

La réaction des parents, qui ne savent de quel côté
se tourner pour trouver une solution de qualité à la
garde de leur enfant, est parfaitement compréhensible. Il est
normal qu’ils s’inquiètent face à ce
changement de tarifs qui peut, dans bien des cas, les mettre en
difficulté. 5000 signatures sur une pétition en 10 jours,
150 parents, des mères surtout, qui manifestent devant le
Parlement, voilà qui a conduit les députés
à déposer motion sur motion, bloquant temporairement le
nouveau tarif. Mais le problème reste entier.

Le gouvernement cantonal se retranche derrière trois arguments peu convaincants:

  • Depuis le début des années 90 le budget
    «petite enfance» est passé de 500 000 francs
    à 9 millions. Il ne dit rien des impôts
    supplémentaires versés notamment par les femmes qui sont
    aujourd’hui plus massivement sur le marché de
    l’emploi que hier…
  • Le financement des crèches par les usagers doit atteindre
    25 à 30% (équilibre budgétaire oblige)… A quand
    un même calcul pour l’école obligatoire?
    L’éducation des enfants en bas âge est, comme celles
    des autres enfants, une question qui nous concerne tous.
  • Les tarifs des autres cantons sont du même ordre. En
    réalité, les tarifs sont plutôt plus
    élevés dans le Jura qu’ailleurs. A titre de
    comparaison, dans le canton de Neuchâtel p. ex. il existe un
    plafond plus bas (le maximum par enfant est situé à 1435
    francs).

Dans tous les pays industrialisés, la petite enfance pose de
nouveaux questionnements: comment favoriser l’insertion
professionnelle des jeunes mères, comment assurer un encadrement
de qualité à leur progéniture, si possible sans
charger les budgets publics ni les employeurs? Le taux
d’activité des femmes, en dehors du ménage, est en
augmentation impressionnante. Il y a 20 ans, il était de 37%
dans l’Union Européenne, aujourd’hui il est partout
supérieur à 50% (calculé pour les femmes entre 15
et 64 ans). En Suisse, qui se situe dans le peloton de tête
derrière les pays nordiques, il est de 74,7%,
réalité tempérée par le fait que plus de
50% des femmes travaillent à temps partiel. Entre 2001 et 2006,
le taux d’activité des femmes a augmenté de 8%.

Travail des femmes et structures d’accueil

La tendance est nette, les femmes sont de plus en plus présentes
sur les lieux de travail, mais le développement des structures
d’accueil pour petits enfants n’a pas suivi. Le nombre de
places est partout largement insuffisant, les listes d’attente
s’allongent et le besoin de crèches à des prix
abordables est croissant. Les autorités fédérales,
comme toutes les autorités cantonales et communales, savent
aussi qu’il y a un problème. Mais de là à
trouver une motivation suffisante pour le résoudre, il y a un
pas qui ne se franchit qu’avec peine. Un premier crédit de
la confédération de 200 millions a été
voté pour la période 2003-2006, mais il s’agit
d’un soutien limité dans le temps pour les investissements
des cantons dans la création de crèches. A peine la
moitié de ce crédit a été utilisé,
parce que dans les cantons la priorité est dans le blocage des
investissements et la baisse des impôts pour les
favorisés. Dans le canton de Neuchâtel, un plan pour
atteindre 2000 places en crèche a été
voté en 2000: on est loin du compte et en
réalité il n’y a pratiquement plus de nouvelles
places créées. Les parents sont renvoyés à
la débrouille individuelle, contraints de faire appel au
voisinage ou à la famille. Au niveau fédéral, un
nouveau compromis a été adopté pour la
période 2007-2011 avec un crédit de 120 millions, mais
les parents ne risquent guère de voir de différence. A
preuve ce qui se passe actuellement dans le canton du Jura… Pour
comparaison, l’Allemagne confrontée aux mêmes
problèmes (pour une population 10 fois plus nombreuse) a
décidé de créer 500 000 places de crèches
d’ici 2013.

Une volonté de réforme absente

A notre avis, le développement d’une politique de la
petite enfance mériterait le même effort que celui
consenti au 19e siècle lors de l’introduction de
l’école obligatoire gratuite. Cette mesure avait
entraîné des investissements considérables et les
fruits récoltés furent formidables, mais elle
était portée par une volonté de réformes
égalitaires et protectrices et l’espoir d’un avenir
meilleur qui a disparu. Aujourd’hui, la tendance est à
l’enrichissement individuel à court terme et
l’idée simple de la gratuité des crèches (ce
qui impliquerait un développement des structures pour
répondre aux besoins) suscite immédiatement des
oppositions multiples.

Pour répondre à la volonté
d’émancipation des femmes et à la nouvelle
réalité du marché du travail, c’est
d’une loi fédérale garantissant des structures
d’accueil gratuites pour la petite enfance et en nombre
correspondant aux besoins dont nous aurions pourtant besoin. Nous en
sommes loin et pour l’instant nous sommes contraints de nous
battre pour des objectifs beaucoup plus limités: des places de
qualité en suffisance à des tarifs qui restent abordables
pour toutes les familles.

Les parents jurassiens ont raison de s’opposer aux nouveaux
tarifs de crèche. C’est une question de rapport de forces
et d’investissements de l’Etat. Nous ne voulons pas jouer
une catégorie de parents contre une autre; nous voulons un
financement supplémentaire par la Confédération et
les cantons. A l’heure où on étale à plaisir
les fortunes croissantes des riches habitants de ce pays, peu importe
leur nationalité, cela ne devrait pas poser problème.
Mais une fois de plus, c’est une politique fiscale beaucoup plus
redistributive des hauts revenus et des profits des entreprises qui est
nécessaire. C’est là que le bât blesse.

Henri Vuilliomenet