Le droit d'être là, d'aller et de venir, partout!

Le droit d´être là, d´aller et de venir, partout!

« Tous citoyens, toutes citoyennes, une
seule terre la planète entière ». Depuis le
début des années 90, des antiracistes,
opposés à la politique des trois cercles,
revendiquent le démantèlement des obstacles
à la libre circulation des personnes
et des droits égaux pour toutes celles
et tous ceux qui résident en Suisse.

La lutte pour la régularisation collective des sanspapiers
et des collectifs de solidarité a marqué l’année
2001. Les sans-papiers de Suisse ont rejoint les
actions menées, dans l’Europe entière, depuis plusieurs
années. Déjà entre 1997 et 2000, 220 travailleurs/
euses ex-saisonniers/ères de l’ex-
Yougoslavie avaient lutté, dans le canton de Vaud,
avec succès pour leur régularisation. Au printemps
2001, à Lausanne, l’occupation du temple de
Bellevaux, parce qu’ »en 4 ans on prend racine », exprimait
la volonté de combattre toutes les expulsions.
Le collectif de sans-papiers de Fribourg allait lui donner
un retentissement national, stimulant le développement
d’autres collectifs et une coordination nationale
des collectifs de soutien aux sans-papiers.

Avoir le droit d’être là

Ce n’est pas la première fois que cette revendication
illustre notre combat. Le Bund , au début du 20e siècle,
avait inscrit la « doykaït » au cœur de sa stratégie.
Il organisait massivement les Juifs de l’Est et notamment
de Pologne. Il fut broyé avec la population juive
qui le portait. La lutte contre le colonialisme et contre
l’oppression impérialiste se revendique également
du droit à l’existence. Nous vivons au quotidien la
répression, la guerre et l’échec que les pays riches
infligent à la grande majorité des peuples de la planète.
Une partie significative de la population des pays
pillés s’arrache à la terre qui les a vu naître pour trouver
du travail chez ceux qui vivent du produit de leurs
rapines.

Admis provisoires, clandestins, demandeurs ou
requérants d’asiles, faux réfugiés, réfugiés, sanspapiers,
ces termes désignent leur condition, les statuts
qui leur sont attribués ou refusés. Bien antérieurs
à la Déclaration universelle des droits de
l’homme, ils recouvrent ceux de bicots, chinetoques,
rastaquouères et autres youtres qui datent du temps
où le droit permettait encore d’ignorer l’humanité.

Après la Deuxième guerre mondiale et au seuil des
Trente glorieuses, cette Déclaration dressait un fragile
barrage contre la barbarie. Aujourd’hui, l’Occident
impérialiste démantèle même cet acquis: interdiction
de séjour et criminalisation des migrants, lutte contre
la délinquance et les « menaces terroristes » sont manipulées
pour imposer une véritable régression du droit.

La menace qui pèse sur les tous droits humains ne
s’articule évidemment pas sur la seule prétendue
opposition entre « nationaux  » et « étrangers ». Tous les
droits démocratiques et sociaux, obtenus grâce à de
nombreuses luttes depuis plus d’un siècle, sont mis
en question. Malades et accidentés, jeunes et vieux,
chômeurs/euses sont et vont être de plus en plus victimes
de discriminations.

La discrimination raciale revêt actuellement une
importance centrale, car elle fonctionne à la manière
d’un cheval de Troie. La défense de « notre pays », de
« notre nation », de « notre religion » invite « les nôtres » à
rejeter « les autres » et façonne les conditions qui donnent
raison à la prétendue élite des forts pour battre la
masse des faibles. Elle constitue une facette essentielle
de l’idéologie de la concurrence et de la compétitivité,
fabriquée par les tenants du libéralisme.

L’Europe toute entière renforce aujourd’hui sa politique
discriminatoire à l’égard des « étrangers » et la
Suisse participe pleinement à ce mouvement. Les
autorités helvétiques ont forgé au début du 20e siècle
leurs institutions sur la pensée coloniale et raciste du
19e siècle. La Suisse était « neutre » et ne possédait pas
de colonies. Alors que partout ailleurs cette pensée fut
mise en question – en 1918, en 1945, au cours des
luttes de libération nationale – entraînant de profonds
changements institutionnels, en Suisse cette idéologie
est restée ancrée dans la loi et sert d’étendard à la
politique migratoire.

On se rappelle que l’antisémitisme a constitué un des
fondements de la « politique des étrangers » et du « droit
des étrangers ». Il a révélé sa terrible efficacité au
cours du IIIe Reich en permettant aux autorités suisses
de présenter aux nazis un profil qui leur convenait.
La Suisse était quasiment « judenfrei » avec une
communauté juive, maintenue minuscule, depuis le
début du 20e siècle. La Suisse empêchait les Juifs de
s’y réfugier, alors que les nazis les anéantissaient. Le
Conseil fédéral était pleinement informé de leur extermination
en cours lorsqu’il proclamait sa politique de
la barque pleine. Parce que, après la guerre, cette
« politique des étrangers » devait servir contre les travailleurs
immigrés, ces institutions furent conservées
et leur rôle du temps de l’hitlérisme occulté.

Au lendemain des deux guerres mondiales et de la
chute des empires coloniaux, la conservation de cet
outil réactionnaire est alors passée très inaperçue. Le
consensus constitué entre parti socialiste, syndicats
et partis bourgeois permettait en effet d’utiliser la
« politique des étrangers » pour juguler la classe ouvrière immigrée, tout en répondant aux besoins de maind’œuvre
du patronat. Aujourd’hui, ce racisme d’Etat
est un dispositif parmi les plus performants en
Europe: il ferme la frontière aux non-Européens, mais
surtout il justifie cette fermeture face à l’opinion
publique.

Le Pen, s’émerveillait, il y a une quinzaine d’années,
de ses résultats électoraux. Il semblait alors conforter
sa propagande avec un accessoire d’arguments poussiéreux.
Au cours de l’été 2001, le parlement italien, à
majorité berlusconienne, adoptait une loi qui n’a rien
à envier au « modèle suisse » ni à certains arguments
lepénistes. Heureusement l’Italie ne dispose pas d’un
appareil aussi efficace que l’Office fédéral des étrangers
et l’expérience politique et sociale des salarié-e-s
italiens rend plus difficile la manipulation et l’application
d’une telle loi.

Combattre toutes les frontières

Aujourd’hui, le rouleau compresseur impérialiste
broie les avancées économiques et sociales impulsées
par les mouvements de libération nationale.
L’hypocrisie du néocolonialisme (l’idéologie de l’aide
au développement) n’a plus cours. Si les habitant-e-s
de vastes étendues d’Afrique, d’Amérique latine,
d’Asie et d’Europe orientale ne sont pas (pas encore?)
des sujets coloniaux, ils ne sont déjà plus des hommes
et des femmes « né-e-s libres et égaux en dignité
et en droits », et bien souvent leurs Etats, quand ils
existent encore, subissent la tutelle du Fonds monétaire
international, de la Banque mondiale ou de leurs
anciennes métropoles.

Par dizaines de millions, ils fuient pour échapper à la
faim et à la mort. Certains rejoignent, à leurs risques
et périls, les pays occidentaux qui invoquent des critères
racistes pour justifier l’inégalité imposée au Sud
et à l’Est et pour légitimer la misère qu’ils infligent aux
ressortissants de ces pays.

Par exemple, dans le discours officiel, la diminution
de l’accès aux prestations médicales et sociales destinées
aux « requérants d’asile » est censée réduire leurs
conditions de vie au niveau de celles qui règnent dans
leurs pays d’origine, afin que la Suisse ne leur paraisse
pas attractive! Le canton de Soleure nie, dans cette
logique, l’identité personnelle des requérants d’asile
en calculant les prestations qui leur sont allouées
selon le barème établi pour des personnes d’une
même famille. Tous africains, tous cousins!

Faire connaître et combattre toutes ces discriminations,
saisir chaque fois que cela est possible les
instances judiciaires suisses et internationales pour
les dénoncer, s’inscrit dans une lutte d’ensemble
contre le racisme d’Etat, sa nouvelle législation en
préparation – la LEtr (loi sur les étrangers) et la révision
de la LAs (loi sur l’asile) – et dans le combat pour
la régularisation collective des sans-papiers. La présentation
aux Chambres du projet de future LEtr fin
février 2002 devra être dénoncée. Il n’est pas acceptable
que le parlement entre en matière sur la discussion
d’un texte raciste.

La Suisse ne prend toujours pas l’engagement
de ne pas commettre d’acte de
discrimination raciale

Il y a plus de douze ans, le Conseil fédéral décidait de
proposer l’adhésion à la Convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale. Conscientes des obstacles que représentait le
« droit des étrangers » pour satisfaire aux exigences formulées
par ce texte, les autorités ne prévoyaient pas
de véritable loi contre le racisme. Elles mettaient l’accent
sur des dispositions pénales qui réprimeraient
certaines formes de discrimination raciale. En réduisant
l’application de cette Convention à la répression
des néonazis et des négationnistes, les autorités ont
alors donné l’impression de faire un véritable pas en
avant, alors même qu’elles s’efforçaient en fait de verrouiller
leur « politique des étrangers ».

En effet, l’acte d’adhésion de la Suisse à la Convention
précise que celle-ci « se réserve le droit d’appliquer ses
dispositions légales relatives à l’admission des étrangères
et des étrangers sur le marché du travail suisse
« ,
c’est-à-dire en particulier sa politique de lutte
contre l’altération excessive de l’identité nationale
(Ueberfremdungspolitik) qu’exprime notamment la
discrimination, selon leur origine, des bénéficiaires
d’une autorisation de séjour.

La constitution en Suisse d’une part importante de la
classe ouvrière soumise au statut de sans-papiers résulte
de l’application de cette politique discriminatoire.

La suppression de cette politique est la condition de la
régularisation collective des sans-papiers. L’élaboration
d’une véritable loi pour lutter contre les discriminations
racistes est aussi à l’ordre du jour. En mars
2002, le CEDR devra à nouveau condamner la « politique
des étrangers ».

Le 30 mars 1998, le Comité pour l’élimination de la
discrimination raciale (CEDR) exprimait sa préoccupation
après avoir pris connaissance du Rapport
initial que la Suisse a présenté conformément aux
engagements pris lors de l’adhésion à la convention
antiraciste de l’ONU: « Tout en notant que la politique
actuelle de la Suisse en matière d´immigration peut
faire l´objet d´une révision, le Comité exprime son
inquiétude devant la politique actuelle qui est construite
« sur la base de trois cercles », car elle classe les
étrangers en fonction de leur origine nationale. Le
Comité considère que la conception et les effets de
cette politique sont dégradants et discriminatoires et,
par conséquent, contraires à la lettre et à l´esprit de la
Convention.
« 

Le représentant de la Suisse avait assuré à cette occasion,
lors de son audition, que la législation est en
train d’évoluer. Qu’en est-il ? Le rapport diffusé en juin
2000 par les services du Département de Ruth
Metzler, avec le projet de Loi sur les étrangers,
explique que la loi actuelle accorde une délégation de
compétence excessive au Conseil fédéral. Le projet de
nouvelle LEtr prévoit donc de faire adopter par les
Chambres fédérales la discrimination selon l’origine
nationale. En mars 2002, le CEDR devra se prononcer
sur le suivi donné par la Suisse à ses recommandations.
A nous de l’alerter!

Karl Grünberg et Jean-Michel Dolivo

  1. Yiddish Arbeit Bund, l´Union des ouvriers juifs de Pologne, de Lituanie et de Russie, constituée en 1897
  2. Néologisme yiddisch « Doykay » signifie être-là (« là-ité ») et dit le droit de vivre là où on est.
  3. L’Office fédéral central des étrangers était institué par ordonnance en 1917 et la Loi sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) était adoptée par le parlement le 26 mars 1931, suite à la modification constitutionnelle de 1925 qui donnait à la Confédération de légiférer en matière de « droit des étrangers »
  4. Gerhart Riegner, ancien dirigeant du Congrès juif mondial est décédé à Genève le 17 décembre 2001. Alors qu’Hitler avait décidé le massacre des Juifs de France en juillet 1942, Riegner avait informé le Conseil fédéral de leur sort. De surcroît, le 30 juillet 1942, un rapport confidentiel sur la situation des Juifs persécutés est remis à la division de police. Il donne des précisions sur « les conditions terribles qui règnent dans l´est et qui ne permettent plus guère d´envisager des refoulements […] La situation des Juifs paraît aujourd´hui particulièrement grave en Europe occupée par l´Allemagne, dans le Protectorat (la Bohême-Moravie), la Hollande, la Belgique et la France septentrionale. Les Juifs qui y vivent ignorent à chaque instant si, dans l´heure suivante, ils ne seront pas déportés, emprisonnés comme otages ou même exécutés, sous un prétexte quelconque… » Extrait du rapport établi par M. Jetzler, chef du bureau des réfugiés, cité par Anne Weill et Karl Grünberg, in La police des étrangers, de l’Ueberfremdung à la politique des trois cercles ou les métamorphoses d’une idée fixe, Lausanne, 1998.