Combattre la xénophobie sans arrière-pensée
Combattre la xénophobie sans arrière-pensée
Notre débat visait à dégager les grandes lignes
dune politique alternative à la spirale répressive
des contrôles des populations migrantes.
Emmanuel Terray1 a clairement établi que la
difficulté à remettre en question cette dérive
tient pour lessentiel au partage par la «classe
politique» dune vision basée sur:
- le spectre dun inépuisable flot de migrant-e-s
alimenté par une conjoncture économique mondiale
où nos pays font figure dîlots prospères
dans un océan de misère,
- lexigence den protéger les ressortissant-e-s
de nos Etats par une avalanche de mesures administratives et
policières toujours nécessaires mais jamais
suffisantes, - limpératif dun développement
économique des pays dorigine conditionnant tout
assouplissement des modalités daccueil. - En Suisse aussi, ce consensus politicien entre partis de
gouvernement a imprégné les esprits et
érigé limmigration en bouc émissaire des
impasses rencontrées par nos sociétés.
Cette vision se nourrit de contre-vérités.
Lémigration ne découle ni logiquement ni
historiquement du simple dénuement économique2.
Conflits et catastrophes exceptés, sa croissance, lente et
régulière, suit labaissement des coûts des
transports, des communications et les tendances de la
démographie. Multifactorielle, lexpatriation ne part pas
systématiquement des régions les plus pauvres pour
aboutir dans les plus prospères. La mobilité est un droit
millénaire, une liberté humaine essentielle conquise sur
lesclavage et le servage:
- Lattrait de nos pays tient moins à lespoir
dune protection généreuse quà la
certitude de survivre, souvent au prix dune
précarité scandaleuse, en comblant des besoins
économiques et démographiques patents. Les barricades,
aux frontières de lUE ou sous-traitées
au-delà, cent fois plus meurtrières que le mur de Berlin,
restent des passoires incapables darrêter qui a
décidé de tenter sa chance ailleurs par
désespérance ou, refoulé, est prêt à
recommencer. - Les fonds rapatriés par les migrant-e-s évitent la
captation de laide officielle par des élites corrompues
ou inefficaces, lui sont supérieurs en volume3, et
forment souvent la principale source de développement des pays
dorigine. Assécher les flux migratoires équivaut
à réduire laide effective. A ses débuts, le
développement économique a de plus tendance à
accroître les exodes plutôt quà les freiner.
Les populistes nhésitent pourtant pas à peindre
dans limmigration une vague de fond saturant les
capacités daccueil, déséquilibrant les
comptes sociaux, concurrençant les emplois et bousculant les
traditions. Il est impossible de sopposer efficacement à
ce chantage sans critique radicale de sa matrice idéologique.
Contestant cette démarche, des camarades taxent la revendication
de droits spécifiques à la mobilité
transfrontalière de moralisme abstrait,
dcuménisme abandonnant lélectorat
autochtone, aux populistes. Dissocier flux migratoires et
paupérisation nierait une crue incontournable sans rassurer le
«camp des travailleurs-euses», cible prioritaire victime de
précarisation. Lorientation alternative réduit les
déplacements de populations à une recherche de travail
décent, les impute abstraitement à la mondialisation
financière et suspecte toute nuance de subjectivisme
anhistorique. Lafflux de main duvre devient un
fléau jumeau des délocalisations! Sous couvert
d«unité des travailleurs-euses», on noie la
lutte spécifique pour les droits professionnels et familiaux des
migrant-e-s dans celle de la précarité sur le
marché de lemploi, rendant à tous un bien mauvais
service. Pourquoi opposer des combats qui gagnent à leur
diversité? Cet anticapitalisme sommaire conforte des peurs
irrationnelles à fins d’audience4, décourage
les revendications locales sous couvert dimpuissance des Etats,
et cache mal le vide des propositions. En cautionnant une vision
hostile à des flux perçus comme vecteurs de
misère, il ouvre un boulevard à la xénophobie.
Cest pourquoi nous persistons à penser que
lemprise sur une opinion hypnotisée par le dogme central
des politiques actuelles de limmigration, sa contamination des
fractions de la gauche sensibles à largument
socio-protectionniste, font du combat de ce verrou conceptuel une
priorité.
Nous invitons qui partage cette conviction à élaborer
ensemble, dans le cadre du large regroupement unitaire ayant combattu
les lois sur lAsile et les Etrangers5, une charte fédératrice des libertés pour les migrantes préconisant sans ambiguïté de:
- réfuter le chantage populiste au raz-de-marée,
- dénoncer lirréalisme des stratégies de maîtrise,
- organiser le retour aux libertés de circulation et détablissement.
Pour collaborer à cette initiative, contacter par e-mail ladresse suivante: Charte_immigration@cisl.ch
- Voir lintroduction du débat dans le cahier
émancipation du No 111 du journal ou dans le présent
dossier Brochure_Immigration_240207.Introduction.pdf. - Voir sa conférence ainsi que le débat qui a suivi dans www.solidarites.ch/dossiers/070224/. La démonstration qui suit est un condensé de son argumentation.
- Seule la «désespérance» face aux
blocages des sociétés dorigine pousse à
franchir volontairement des frontières au prix de sa vie et du
racket des passeurs. - Laide des pays de lOCDE aux pays en
développement était en 2006 de 100 milliards de dollars,
alors que lannuité de leur dette en comporte 360. Les
transferts des travailleurs migrants des pays développés
atteignaient 230 milliards, voire 575 réseaux traditionnels
compris (Le Monde 16 août 2007). - Rappelons que Laurent Fabius sest distingué
en France en prétendant que Le Pen posait les bonnes questions
auxquelles les socialistes se devaient simplement damener des
réponses adéquates. La réponse est hélas
souvent sous-entendue dans la question.