France : bilan d’étape de la grève des cheminots

France : bilan d’étape de la grève des cheminots

Non, le même scénario ne
s’est pas répété à douze ans de
distance. Alors qu’en 1995, le gouvernement Juppé avait
dû retirer son plan de réforme de la
Sécurité sociale, la mise au pas des régimes
spéciaux du gouvernement Fillon-Sarkozy est toujours en vigueur,
malgré la grève de dix jours des cheminots. 2003, qui vit
François Fillon (déjà!) imposer un premier recul
à la fonction publique (mais pas aux régimes
spéciaux) était passé par là, comme la
victoire de Sarkozy à la présidentielle.

L’invraisemblable campagne de propagande des médias, toute
entière dirigée contre les grévistes, ainsi que
les divergences internes au mouvement – à ses
directions surtout – auront fait le reste. En même temps,
ce n’est pas non plus un scénario à la Thatcher qui
s’est déroulé, lorsque la Dame de fer terrassa les
mineurs britanniques en 1985, écrasant durablement et
profondément le mouvement ouvrier et syndical de ce pays. Au vu
des conditions politiques d’ensemble, de l’absence de
convergence des différentes luttes de la fonction publique et
des stratégies syndicales d’évitement, voire
d’abandon du conflit, un retrait pur et simple du projet de
réforme semblait bien hors de portée. Est-ce à
dire alors que cette lutte était inutile? Pas si simple! La
Ligue communiste révolutionnaire (LCR), par le biais de son
secrétariat cheminot, tire ci-dessous un bilan plus
nuancé de cette action. Les intertitres, sauf le premier, sont
de la rédaction (ds).

«Une grève qui fait du bien!

Nous venons de connaître à la SNCF la plus grande
grève depuis celle de l’hiver 1995. Depuis le 18 octobre,
nous avons explosé par deux fois les records de taux de
grévistes. C’est un encouragement précieux pour
l’avenir, notamment par la présence massive des jeunes
dans ce conflit. En effet, la direction de la SNCF avait largement
parié sur le fait que les jeunes embauchés après
les grèves de 1995, et passés à la moulinette du
management, allaient devenir les béni-oui-oui de
l’entreprise. Peine perdue, tous les jeunes embauchés qui
ont connu la précarité dans leur cursus professionnel
antérieur, ne veulent pas revivre la même chose à
la SNCF et sont prêts à se mobiliser.

Divergences sur les revendications

Si l’unité syndicale a été un
élément précieux pour débuter le mouvement,
rapidement sont apparues des divergences sur les revendications
à porter. Sur les revendications essentielles: maintien des 37,5
annuités, pas de décote par années manquantes,
maintien de l’indexation des retraites sur les salaires et refus
d’un double statut pour les nouveaux embauchés, on sentait
bien que ça coinçait au niveau des directions syndicales.
La CFDT a dès le début annoncé la couleur en
reculant d’emblée sur les 37,5 annuités, ce qui
n’a pas empêché quelques équipes syndicales
de rester dans la grève jusqu’à la fin. A Force
Ouvrière, la fédération cheminote maintenait le
cap sur les revendications essentielles, mais les déclarations
de son secrétaire confédéral ne pouvaient que
mettre le doute sur les objectifs réels de FO. Pour la CGT, la
volonté affichée de Thibault de trouver un accord avant
même le début du conflit est apparue comme une
volonté de contourner le mouvement. La fédé
cheminote apparaissait plus combative, notamment sous la pression forte
de sa base, mais nous avons eu souvent droit à un discours
alambiqué, parfois volontairement incompréhensible,
notamment sur les 37,5 annuités «comme un
élément important, mais dont il ne faut pas trop
parler». La fédération SUD-Rail, quant à
elle a maintenu ferme les principales revendications, par ailleurs
portées par les assemblées générales.

Les cheminots ont-ils perdu?

D’emblée, la lutte s’annonçait serrée
et rien ne dit que la victoire était au bout de la grève.
Il est vrai que pas mal de cheminots avaient un doute sur leur
capacité à faire reculer le gouvernement sur les 37,5
annuités ou la décote. Mais le manque de volonté
affichée pour se battre sur les points essentiels ne pouvait
donner suffisamment de confiance à la grande majorité des
cheminots, déjà sous pression médiatique et
gouvernementale. Le rôle des syndicats est de préparer les
cheminots à la hauteur de la lutte à mener et non pas
à apparaître en retrait par rapport aux attaques.

La question que l’on peut se poser après 10 jours de
grève est simple: les cheminots ont-ils perdu? Nous pensons que
non. Non pas que nous ayons gagné, bien sûr. Même
s’il y a eu quelques avancées à la marge (ouverture
de négociations jusqu’au 18 décembre,
intégration de certaines primes dans le calcul de la prime de
fin d’année, ou rajout d’un échelon
d’ancienneté, etc.), il n’y a pas de quoi monter sur
les tables pour crier victoire.

En fait, l’enjeu de cette grève était double: il
s’agissait avant tout pour le gouvernement d’infliger une
défaite en rase campagne à un secteur combatif de la
classe ouvrière du pays. Sarkozy avait prévenu: il
était prêt à nous envoyer l’armée, il
allait nous casser en deux et nous mettre K.-O. debout. Et de
ça, il n’en est rien. Il ne s’agit pas de se
raconter des histoires pour se rassurer à bon compte, mais le
climat dans l’entreprise n’est pas à
l’abattement, au contraire. Pour beaucoup, nous avons fait la
démonstration que nous sommes toujours là, et que
l’action collective est une force que nous devrons de nouveau
utiliser.

Nombre d’assemblées générales en votant la
reprise du boulot votaient des motions demandant des préavis de
grève pour le mois de décembre ou la tenue d’une
manifestation nationale de cheminots le premier jour de
l’ouverture des négociations. Déjà circule
une proposition d’action sous forme de rassemblements le 4
décembre.
Bref, les cheminots n’ont pas dit leur dernier mot et sortent
renforcés de ces dix derniers jours: les négociations
à venir se feront sous pression.»

Le secrétariat cheminot de la LCR (Rouge no 2229 du 28 novembre)