Terreur dans les prisons turques

Terreur dans les prisons turques


Quelques jours seulement après avoir signé, à Nice, un «partenariat d’adhésion» avec l’Union eurpéenne, le gouvernement turc ordonnait à ses troupes de prendre d’assaut les vingt prisons insurgées du pays. Bilan officiel : 23 morts, dont certains se seraient, selon les autorités, immolés par le feu. Les milieux de défense des droits humains parlent quant à eux de plus de trente morts, et de plusieurs dizaines de blessés. (rk).


Violence extrême


Le 20 octobre dernier, plus de 1000 prisonniers turcs ont entamé une grève de la faim pour protester contre leur incarcération dans des prisons dites de «Type F». Ces dernières sont aménagées de sorte à éviter tout contact entre les détenus. Là où, préalablement, les prisons étaient équipées de dortoirs de 60 personnes, elles prévoient des cellules de une à trois places seulement.


Officiellement, le gouvernement turc en-tend lutter par ce biais contre l’emprise des «groupes mafieux» sur la population carcérale. De fait, il s’agit bien plutôt de limiter la capacité d’a-ction des organisations politiques de gauche, dont un grand nombre de détenus turcs sont issus. De surcroît, la pratique systématique de la torture sera grandment facilitée par l’is olement absolu de certaines catégories de dé-tenus…


La brutalité de l’intervention des autorités turques a été inouïe. Par exemple, la presse avait annoncé que quinze détenus s’étaient immolés par le feu le 19 décembre dernier, au moment de la prise d’assaut. Or, les témoignages recueillis récemment par l’Association des Droits de l’Homme basée à Istanbul plaident pour une tout autre version. Seuls quatre détenus se seraient immolés, le reste ayant été, tout simplement, brûlés vif par les forces de l’ordre lors de leur attaque. «Les policiers nous ont d’abord arrosées d’un liquide, puis nous ont brûlées», a rapporté une prisonnière gréviste de la faim. Qu’en est-il, dans ces circonstances, de «l’ajustement des conditions de détentions en prison aux règles standards minimales des Nations Unies» qu’ exige le partenariat d’adhésion européen ?


Etat carcéral


Il existe en Turquie quelques 500 prisons, dans lesquelles sont internés 70 000 détenus (toutes catégories confondues). Le nombre des prisonniers politiques s’élève quant à lui à plus de 10 000 personnes. Il est à noter que la catégorie de «prisonnier politique» est très vaste dans ce pays. Elle inclut toute personne qui, d’une façon ou d’une autre, a soulevé des doutes sur la nature «démocratique» du régime en place. Si les activistes kurdes, les militants d’extrême gauche ou les défenseurs des droits hu-mains sont légions dans les prisons, il est fréquent que de simples syndicalistes – fussent-ils de tendance réformiste – soient emprisonnés. Bien pire, quiconque a salué(!) un militant de gauche peut en principe être inculpé, en vertu de la «Loi Anti-Terroriste n° 3713», de soutien actif au terrorisme.


Les cas d’arrestations arbitraires, de tortures ou d’assassinats perpétrés par les forces de l’ordre sont fréquents. Ramazan Tekin, député-maire de la région (à majorité kurde) de Dyarbakir, a été arrêté en janvier 2000 et retenu pendant une dizaine de jours dans les locaux de la gendarmerie locale. Il y a subi divers types de torture, allant du simple passage à tabac à l’administration de chocs électriques. Des médecins ont constatés, après sa relaxe, que plusieurs de ses côtes avaient été broyées, ainsi que ses reins endommagés. Les avocats du député ont déposé plainte contre les responsables de ces mauvais traitements. Sur ordre du gouverneur de la région de Dyarbakir, ils se sont vu opposer une fin de non recevoir.


Un allié stratégique


La Turquie, on le sait, est un allié stratégique de l’OTAN. Elle se situe au cœur d’une région qui connaît, depuis la chute du mur de Berlin, de grandes tensions géopolitiques. Qui plus est, le pays demeure l’un des passages obligés pour l’acheminement du pétrole vers les pays occidentaux. L’énoncé de ces simples faits explique la modération de la condamnation de l’Union Euro-péenne à l’endroit de la Turquie (sans parler de l’absence totale de condamnation américaine). Le Conseil de l’Europe s’est en effet contenté de «regretter la perte de vies humaines». La présidence française de l’Union n’a quant à elle pas fait mention une seule fois des événements. Sans doute était-elle trop occupée par les «affaires» internes dans lesquelles sont empêtrés MM. Chirac et Jospin.