Grèves dans le bâtiment

Grèves dans le bâtiment
L’heure des négociations

Engagée sous les auspices du
médiateur Jean-Luc Nordmann, ex-directeur du SECO
(secrétariat d’Etat à l’économie), la
médiation entre les syndicats (Unia et Syna) et la
Société suisse des entrepreneurs (SSE) entre dans la
phase «diplomatique». Après les premières
escarmouches qui ont mené la SSE à suspendre la
médiation en date du 30 novembre pour, espérait-t-elle,
imposer des conditions qui lui soient plus favorables, les parties
prenantes au conflit ont fixé le délai du 21
décembre pour trouver un accord (ou n’en pas trouver!). Le
syndicat Unia a rappelé ses conditions dans la
négociation: «pas de dégradation sur la question
des horaires et de la flexibilité et qu’il y ait des
augmentations salariales suffisantes».

La SSE, en particulier son président Werner Messmer,
était parti à la bataille tambour battant,
dénonçant la convention et ne cachant pas sa
volonté de passer par-dessus les syndicats et d’imposer
ses vues sans leur accord. Le «partenariat» à la
sauce helvétique est bien terminé pour les patrons style
Messmer. A la veille de la médiation, il a confirmé sa
détermination: pas question de céder sur la
flexibilité.

Actuellement, l’horaire d’été sur les
chantiers est déjà de 45 heures par semaine (le temps de
déplacement jusqu’au lieu de travail n’étant
pas compté), auxquelles s’ajoutent 100 heures exigibles
par l’employeur, et qui sont reprises par le travailleur, sans
supplément, quand ça arrange le patron. C’est 80
heures supplémentaires de flexibilité que les patrons
voudraient encore ajouter, ce qui signifierait, dans les beaux jours
d’été, des horaires quotidiens de plus de 10 ou 11
heures.

Les grèves d’octobre et de novembre ont montré les
capacités organisationnelles d’Unia, la volonté de
résistance des travailleurs du bâtiment, mais elles ont
aussi montré les différences de capacités de
mobilisation suivant les cantons et les régions. Il y a
là un défi considérable pour les syndicats.
L’accord cantonal signé par les syndicats genevois (Unia,
SIT, Syna) qui prolonge temporairement la convention
jusqu’à la fin février, ce qui implique la
renonciation à toute mesure de lutte à Genève
durant cette période, est pour le moins critiquable. En effet,
c’est à Genève que le mouvement est le plus fort:
il est le point d’appui incontestable d’une relance de la
lutte à long terme.

Signature d’un accord ou pas en décembre, la mobilisation
doit se poursuivre, car le coup de semonce tiré par Messmer
n’est qu’un avant-goût de ce qui attend le monde du
travail.

Désormais, la négociation de conventions maintenant
simplement des avantages acquis, voire intégrant des
améliorations salariales, des réductions du temps de
travail ou un renforcement des droits syndicaux, sera infiniment plus
difficile. La mobilisation devra se construire patiemment et se
renforcer partout.

Quand on parle chantiers et bâtiment, on parle dumping salarial.
Cependant, à la différence de l’industrie, la
construction de route et de maisons, comme les services de
l’hôtellerie d’ailleurs, ne peuvent pas être
délocalisées. Ce sont donc les travailleuses et les
travailleurs qui le sont de plus en plus! En particulier, les
entreprises de travail temporaire, de plus en plus nombreuses, jouent
un rôle particulièrement pernicieux pour contourner les
minima conventionnels de salaires ou de temps de travail,
puisqu’elles ne sont pas signataires des conventions collectives
et que leur engagement à les respecter est variable et
aléatoire. La solution serait évidemment
d’interdire les agences de travail temporaire, qui ne sont que
des parasites et pompent au passage une partie du revenu des
salarié-e-s; les offices du travail cantonaux seraient en effet
parfaitement à même de proposer la main-d’oeuvre
dont a besoin l’économie. Mais on n’en est loin, et
le mouvement syndical doit se poser la question de mettre des limites
à l’action prédatrice de ces agences.

Avec le dumping salarial, un autre thème surgit
immédiatement: celui des accords bilatéraux. Les cas de
dumping révélés, et ils sont nombreux, montrent
bien que les employeurs n’ont pas peur de
l’illégalité. Mais c’est un leurre de croire
qu’en fermant les frontières, on puisse bloquer la
circulation des personnes. On fabriquera plutôt des sansdroits en
masse. C’est pourquoi, il ne faudrait pas que les débats
sur la reconduction des accords bilatéraux mobilisent des
énergies désespérées au détriment
d’un renforcement des réseaux militants, seule garantie de
mobilisations futures contre la remise en cause des acquis sociaux.

Henri Vuilliomenet