Conférence de Bali sur le Climat
Conférence de Bali sur le Climat
Premiers jugements à chaud
Que penser du résultat de Bali?
Le fait que les objectifs chiffrés du Groupe dExperts
Intergouvernemental sur lEvolution du Climat (GIEC) nont
pas été repris explicitement dans la feuille de route
conduit certains à parler de réunion pour rien, de
victoire des USA, etc. Cest le sens de la chronique de George
Monbiot dans le journal britannique The Guardian («We have been
suckered by the US, once again») parue le 17 décembre.
Daniel Tanuro – auteur notamment de larticle «Comment les
mécanismes du marché pourrissent le climat» (cahier
émancipationS du solidaritéS N° 118) –
considère que cette analyse est contestable… Nous publions ici
de larges extraits de sa contribution à ce sujet.1
[…] La conférence nest pas un échec du
point de vue de ses organisateurs. Elle a décidé
délaborer un accord pour prendre le relais de Kyoto.
Lintention affichée est de déboucher en 2009,
à la quinzième conférence des parties (COP 15),
sur un nouvel accord. Celui-ci devra fixer un «objectif de long
terme» pour «renforcer la réalisation de la
Convention» (UNFCCC) «dans le but de réaliser son
objectif» (empêcher une dégradation dangereuse du
climat). Cela nécessitera des «réductions profondes
dans les émissions globales». Le préambule souligne
«lurgence de répondre au changement climatique (CC)
comme indiqué dans le 4e rapport du GIEC». Etc.
Le compromis nest pas à lavantage de Bush
La feuille de route de Bali a été signée par
toutes les délégations présentes. Une lecture
attentive révèle que le compromis avec les USA tourne
principalement autour des points suivants:
- Il ny a pas de référence directe aux
recommandations chiffrées du GIEC dans le corps du texte, mais
une référence indirecte dans le préambule (sous
forme dune note de bas de page qui renvoie aux passages
précis du 4e rapport du GIEC où les recommandations
chiffrées sont formulées). La victoire des USA sur ce
point est largement symbolique (pas seulement symbolique, on y
reviendra plus loin). - La feuille de route maintient lidée dun
traitement différencié des pays développés
(ils devront accepter des «objectifs de réductions
quantifiés») et des pays en développement (ils
devront entreprendre des «actions de mitigation»). - La formule pour les pays développés
(«mitigation commitment OR actions») laisse une marge de
manoeuvre aux USA, qui refusent les contraintes de réduction.
Mais elle est très limitée. En effet, tout de suite
après, le texte pose clairement la nécessité
d«objectifs de réduction et de limitation
quantifiés des émissions». Il est
précisé que ces objectifs doivent être
«mesurables, rapportables et comparables». Or, cest
précisément cela que les USA refusent depuis 10
ans
Le compromis, en fait, nest pas à lavantage de
Bush. Il anticipe plutôt sur le tournant prévisible de la
politique climatique US lorsque Bush sera parti. Pour
lexpliquer, trois facteurs semblent devoir être pris en
considération:
Premièrement, lisolement croissant de la ligne Bush aux
USA même. Alors que la conférence souvrait, le
Sénat US entamait la discussion de la proposition de loi
Warner-Lieberman qui impose des réductions
démissions à une série de secteurs
représentant 80% de léconomie américaine.2[…] De plus en plus, les grandes entreprises veulent des quotas et un plan à long terme.
Deuxièmement, lisolement croissant des Etats-Unis sur la
scène internationale. Le 13e jour de la conférence, non
prévu au programme, a été spectaculaire de ce
point de vue. Lobstruction et larrogance US ont en effet
provoqué une vraie levée de boucliers, notamment des
représentants des pays du Sud. […]
Un tournant majeur: limplication du Sud
Troisièmement, limplication croissante du Sud, en
particulier des grandes économies émergentes
(Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud). Le ton, de ce
côté-là, a changé. Plusieurs
représentants ont dit clairement leur volonté de
participer à leffort commun, mais dans le cadre de la
«responsabilité différenciée». La
ministre de lenvironnement du Brésil: «même
si les pays en développement nont pas de
responsabilité historique dans le changement climatique, ils
doivent agir». Le représentant de la Chine: «Etant
donné la gravité sans précédent,
lampleur et la profondeur des impacts du changement climatique,
il ne peut être résolu par les efforts des seuls pays
développés» (Le Monde, 18/12/07). Comme le notait
le Christian Science Monitor: «Dans le passé, les pays
industriels passaient des accords et pour lessentiel ils
présentaient les résultats aux pays en
développement. Ce nest plus le cas. A Bali, le
«Groupe des 77 plus la Chine» (qui regroupe en fait 123
pays en développement) sest affronté durement aux
USA, notamment lorsque ceux-ci ont refusé un amendement relatif
aux transferts de technologie et au financement de
ladaptation» (Christian Science Monitor, 17/12/07).
En toile de fond de ces évolutions, on ninsistera jamais
assez sur la solidité et le poids sans précédent
que lexpertise scientifique concernant le climat exerce
aujourdhui sur les décideurs politiques. Les
gouvernements qui freinent (USA, Canada, Japon, Russie, Nouvelle
Zélande) ne peuvent plus arguer de lincertitude
scientifique. Il est très significatif quils ne
lont pas fait à Bali. […]
Nouveaux défis, nouveaux dangers
Le jugement dHervé Kempf sur Bali, dans Le Monde daté du 18/12/073
semble donc beaucoup plus proche de la réalité que celui
de Monbiot: «Contrat rempli, écrit Kempf [
] Le
schéma de laccord planétaire qui se dessine pour
Copenhague et la nouvelle attitude des pays du Sud signifient que la
balle est maintenant dans le camp des pays riches. Il ne suffit plus
dinvoquer des chiffres, mais de se mettre en situation de les
respecter». En effet. On nest plus dans la situation de
blocage du dossier. Bali nous fait entrer dans une situation de
transition pouvant déboucher sur une politique sensiblement
nouvelle, avec de nouveaux défis et de nouveaux dangers. [..]
Quels défis, quels dangers? Là-dessus, Hervé Kempf
est muet. Par contre, George Monbiot dit vrai dans une certaine mesure
quand il parle daccord «pire que Kyoto»
même sil ne dit pas en quoi cet accord serait pire. On
pointera trois aspects:
Premièrement, la non mention explicite des recommandations
chiffrées du GIEC nest évidemment pas sans
conséquences. Cela ménage une possibilité de
chipotage. Par exemple sur la question clé de la date de
référence pour les réductions
démission. Aux USA, la proposition de loi Warner-Lieberman4
avance lobjectif de 70% de réduction… mais par rapport
à 2005, pas par rapport à 1990. Schwarzenegger a
déjà joué ce tour de passe-passe: le plan climat
californien vise 25% de réduction en 2020
par rapport au
niveau des émissions en 2020 sans plan. En fait, au-delà
du chiffre choc de 25%, le résultat sera inférieur
à ce que la Californie aurait dû atteindre en 2012 si elle
avait ratifié Kyoto. Angela Merkel, lors du sommet du G8
à Heiligendamm, a parlé de même de 50% sans
mentionner de date de référence. Tous comptes fait,
lUnion Européenne nest peut-être pas
mécontente du fait que les recommandations chiffrées du
GIEC ne soient pas mentionnées explicitement dans la feuille de
route de Bali
La plus grande vigilance est de mise sur ce
point, et sur dautres du même genre.
Deuxièmement, laccentuation de la nature libérale
de la politique climatique est sensible dans les décisions et
les débats de Bali. A cet égard, il faut souligner que
cest bien un nouvel accord global qui va être
négocié. Un accord dans le cadre de lUNFCCC,
certes. Mais un nouvel accord. Cela signifie que certains aspects
relativement positifs du protocole de Kyoto5 ne constituent
plus demblée un acquis. Toute une série de
questions sont donc à nouveau ouvertes. Par exemple:
léligibilité des projets nucléaires dans le
cadre du Mécanisme de Développement Propre (MDP),
labolition des pénalisations pour non-respect des
engagements par les parties, ladditionalité du MDP par
rapport aux efforts «domestiques» de réduction des
émissions, etc. Il sagit évidemment de questions
extrêmement importantes.
Un exemple de remise en cause dun garde-fou inclus dans Kyoto
est dailleurs déjà concrétisé par
les décisions de Bali. Selon Kyoto, en effet, seuls les projets
de plantations nouvelles darbres étaient
générateurs de droits démission dans le
cadre du MDP. La conférence de Bali a décidé
détendre ce mécanisme à la protection des
forêts existantes contre la déforestation, et même
contre la dégradation. Lenfer, ici, est vraiment
pavé de bonnes intentions vertes. Cest ce que ne
comprennent pas les associations environnementales. […] On ne peut
pas se réjouir si ce coup darrêt
génère des droits démission tellement bon
marché quils permettront aux économies
capitalistes développées de différer, voire
déviter à bon compte les efforts de
réduction quelles devraient entreprendre. Or cest
de cela quil sagit, et la protection de la forêt
nest quun prétexte. Selon Stern, la tonne de
carbone générée par la protection des forêts
existantes ne coûtera que 5 dollars (contre 10 actuellement dans
le cadre du système européen déchange de
droits). La Banque Mondiale a déjà mis en place un fonds
spécifique à cet effet. Face à un tel enjeu,
gageons que les droits des communautés indigènes qui
vivent de la forêt ne pèseront pas lourd.6 […]
Lourdes menaces pour les plus pauvres
Troisièmement, un troisième défi et danger
concerne les pays les plus pauvres. Ils risquent fort de faire les
frais, en cas daccord entre les gouvernements des pays
développés et les classes dominantes des grands pays
émergents. Les discussions et les décisions relatives au
«Fonds dadaptation» sont ici très
révélatrices. Mis en place à Nairobi (2006), ce
fonds dadaptation concerne les pays les moins
développés (PMD, selon leuphémisme
officiel). Ces PMD sont les principales victimes du changement
climatique et nont pas les moyens financiers, technologiques et
humains de sy adapter. A Nairobi, il avait été
décidé que le fonds dadaptation serait
alimenté par un prélèvement de 2% sur les projets
dans le cadre du MDP. En soi, ce mécanisme de financement est
injuste, parce quil fait dépendre les budgets disponibles
pour ladaptation des pays les plus pauvres du volume des
investissements des pays développés dans les pays
émergents (où sont localisés limmense
majorité des projets MDP), et pas des besoins des populations
menacées.
Dans les circonstances actuelles, les budgets prévus selon ce
mécanisme de financement sont insuffisants: selon les
estimations de la UNFCCC, le fonds pourrait récolter 300
millions de dollars par an dici 2030. A titre de comparaison:
les dégâts causés par le cyclone qui a
dévasté récemment les côtes du Bangladesh se
montent à 4-5 milliards de dollars. En fait, dans la logique de
Nairobi, laugmentation des moyens du fonds nécessiterait
une extension du MDP
donc une remise en cause du principe
dadditionalité du MDP par rapport aux mesures de
réduction dans les pays développés, principe qui
est inscrit dans le Protocole de Kyoto. Mais ce nest pas tout:
Bali a en effet décidé que le fonds dadaptation
serait dirigé par le Fonds pour lEnvironnement Mondial
(FEM), et que la Banque Mondiale serait associée à sa
gestion. Les PMD se sont opposés à cette décision
parce que le FEM fonctionne selon le principe «un dollar une
voix», ce qui signifie que les bailleurs de fonds – les pays
riches – joueront un rôle déterminant dans la politique
dadaptation des pays les plus pauvres. Sur base de
lexpérience des PMD avec le FEM, on peut sattendre
à ce que cette politique fasse des dégâts au moins
aussi sérieux que ceux du changement climatique
Conclusions provisoires
Que déduire de tout cela? Essentiellement deux choses:
- Une mobilisation sociale pour le climat est plus que jamais
nécessaire, à léchelle mondiale. Les
manifestations qui se sont déroulées dans divers pays le
8 décembre (et en Australie un mois auparavant) constituent un
exemple et un point dappui. Il sagit de travailler
à rassembler le front le plus large possible autour de
lidée simple que laccord climatique en
préparation doit sinscrire intégralement dans les
recommandations chiffrées du GIEC. - Au sein de cette mobilisation unitaire, il est de plus en plus
urgent de construire un pôle anti-libéral, qui couple la
question du climat à la défense de la justice sociale et
à la nécessaire redistribution des richesses. Entre Nord
et Sud, mais aussi au sein des sociétés du Nord et du Sud.
Deux ans nous séparent de la Conférence des Parties de
Copenhague, en 2009. Ce seront deux années décisives.
Pour le climat et pour une alternative au néolibéralisme.
Daniel Tanuro
1 Cet article du 20 décembre a été publié sur le site www.europe-solidaire.org
(ESSF) où nous vous invitons à le retrouver dans sa
version intégrale. On trouvera aussi divers articles récents du même
auteur sur www.solidarites.ch
2 Lire sur ESSF: Kyoto +10: un climat de plus en plus libéral
3 Voir sur ESSF: Climat: le temps de laction
4 V. op. cit. en note 1
5 Lire sur ESSF Laprès-Kyoto risque dêtre très libéral
6 Lire sur ESSF Les nouveaux habits verts de la domination coloniale