«Les jeunes et l’extrémisme de droite: victimes, acteurs ou repentis»
«Les jeunes et lextrémisme de droite: victimes, acteurs ou repentis»
Toutes celles et tous ceux
quinquiète la progression du racisme et de
lextrême droite devraient prendre connaissance des deux
brochures que vient de publier le Service de lutte contre le racisme
(SLR). Ces brochures ont été rédigées
à partir de travaux effectués dans le cadre du Programme
national de recherches (PNR 40+ «Extrémisme de droite
causes et contre-mesures»).
Au lendemain délections fédérales où
beaucoup se sont engagés contre le racisme, il peut être
utile de rappeler brièvement la mission de ce service de la
Confédération. Intégré au
Secrétariat général du Département
fédéral de lintérieur, le SLR est
linterlocuteur privilégié de la
Confédération pour toutes les questions relatives
à la lutte contre le racisme, lantisémitisme, la
xénophobie et lextrémisme de droite.
Sa création participe de la même volonté que celle
qui a conduit à la publication du Rapport sur les
réfugiés de la commission Bergier, cette commission
indépendante dexperts mandatée par le parlement
pour faire la lumière sur la politique suisse au moment du
nazisme.1 Le Conseil fédéral a chargé
le SLR de gérer le Fonds de projets contre le racisme et en
faveur des droits de lHomme créé lui aussi
à cette occasion.
A la suite dune recrudescence du nombre dactes de
violence et de délits imputables aux groupements
xénophobes et dextrême droite, un groupe de travail
mis sur pied par le Département fédéral de Justice
et Police proposa au Conseil fédéral dintensifier
les recherches dans ce domaine. Ce dernier décida donc, le 15
juin 2001, le lancement du module «Extrémisme de droite
causes et contre-mesures» du programme national de
recherche dirigé par le Fonds national de la recherche
scientifique.
Comprendre cette ouverture de la Confédération demande de
revenir sur la ratification par la Suisse de la Convention
internationale de lONU sur lélimination de toutes
les formes de discrimination raciale et le contexte qui avait conduit
à la création de la Commission fédérale
contre le racisme en 1995.
Cette année-là, la commémoration de la
capitulation allemande du 8 mai 1945 avait pris un relief exceptionnel.
Le 50e anniversaire de la fin de la guerre en Europe avait réuni
tous les chefs des Etats qui y avaient pris part. La chute du mur de
Berlin en 1989 avait entraîné celles du Pacte de Varsovie
et de lUnion soviétique, bouleversements
géopolitiques qui avaient ouvert la voie à une relecture
du passé.
A cette occasion, les autorités suisses avaient enfin admis le
rôle joué par la diplomatie suisse en 1938 pour imposer
aux autorités nazies le fameux tampon «J» qui devait
permettre aux autorités fédérales de fermer la
frontière suisse aux réfugiés juifs qui fuyaient
lAutriche, puis la Tchécoslovaquie, quannexait
alors le IIIe Reich.
Étouffée grâce aux décennies de la Guerre
froide, la complicité suisse avec lantisémitisme
nazi allait enfin être exposée.
Une fois venue laprès-guerre, les institutions qui ont
mené cette politique nont pas été mises en
question. Après la chute du nazisme elles ont poursuivi leur
activité avec la même législation et sous la
direction des mêmes cadres. Aujourdhui, la prise de
conscience de ce passé doit également interroger la
notion dÜberfremdung,2 lusage quen
faisait alors lextrême droite nationaliste, et
linfluence actuelle de cette conception, qui continue de jouer
un rôle essentiel dans la formation de la «politique des
étrangers», dans les activités de la «police
des étrangers» ou la formulation du «droit des
étrangers».3
Parcours et motivations
Si certaines pesanteurs rendent difficile la recherche sur
lhistoire de ces institutions, la sociologie et la psychologie
sociale découvrent plus aisément les
phénomènes auxquels elles ont contribué.
Lopinion publique en effet, a été fortement
marquée par les valeurs quont portées ces
institutions et cest précisément ce
phénomène que met en évidence la brochure du SLR
«Les jeunes et lextrémisme de droite: victimes,
acteurs ou repentis» qui, sil ne fallait en lire
quune, devrait être lue en priorité.
Les recherches quelle réunit ont été
menées auprès de jeunes adhérents ou sympathisants
des différents groupes racistes ou extrémistes de droite,
quil sagisse des formations fortement politisées
ou des bandes de jeunes qui sidentifient aux valeurs racistes ou
néonazies. Elles ont également analysé les
motivations et le parcours de ceux dentre eux qui quittent ces
groupements.
Elles se sont, enfin, penchées sur les victimes de leurs
agissements: contre qui ces militants exercent-ils effectivement leur
violence?
Le tableau quelles révèlent est clair.
Linfluence des valeurs xénophobes transmises par les
parents et présentes dans la vie publique est
déterminante dans le cheminement de jeunes Suisses
daujourdhui vers le racisme ou lextrême
droite.
final de la Commission Indépendante dExperts
Suisse-Seconde Guerre Mondiale (CIE) explique la responsabilité
capitale du Conseil fédéral dans les mesures
antisémites prises au cours de la Deuxième Guerre
mondiale et notamment celles du Département
fédéral de justice et police (DFJP) et de son Office des
étrangers qui élabore et exécute sa politique, du
Département politique (aujourdhui Département
fédéral des affaires étrangères) et du
Département militaire fédéral (DMF), qui dirigeait
nombre de camps de concentration et assurait la garde des
frontières.
2 Altération excessive de
lidentité nationale. Ce concept, forgé au
début du 20e siècle, a nourri lidéologie
xénophobe qui reste au cur des institutions suisses.
3 https://www.solidarites.ch/index.php?action=20&id=575,
Suisse sans racisme dEtat, une «Révolution
culturelle» Karl Grünberg, Joelle Isler, Anne Weill,
auteur-e-s de «Suisse: un essai sur le racisme
dEtat», Ed. Cora, 1999.
Environnement rural contre modernité
La première enquête
résumée propose trois types de parcours biographiques
pouvant mener à une adhésion à
lextrême droite. Voici des extraits du premier type
évoqué:
«Un grand nombre de ce type dadhérents à des
groupuscules dextrême droite ont grandi dans un
environnement rural ou dans une petite ville. Dans le cas
présent, plusieurs des jeunes sont issus de familles
dagriculteurs. Limités, les contacts avec la population
étrangère interviennent plutôt pendant la jeunesse,
à loccasion dun changement de domicile ou lors de
lentrée dans le monde du travail. Désireux de
souligner quils nont pas de préjugés,
certains jeunes affirment connaître de «bons
étrangers» et même compter des
«étrangers» parmi leurs amis. Ce faisant, ils ne se
rendent pas compte que ce sont précisément ces discours
stéréotypés qui posent problème.
Le fait davoir grandi dans une ferme est considéré
comme un atout par ces jeunes, résolument opposés
à la modernité et à la technicisation de la
société. Ils érigent en idéal la relation
avec la nature et la vie au sein dune communauté
villageoise où habitent aussi parfois de nombreux parents.
[
] Très tôt déjà, linfluence
de la modernité est ressentie comme une menace ou du moins comme
un contrepoint à la culture dans laquelle ils ont
été élevés.»