Les femmes de Gaza
Les femmes de Gaza
«En temps de crise, la condition des femmes se détériore dramatiquement…» Ainsi, la violence défensive de lIntifada, dont Israël porte toute la responsabilité, nest pas sans conséquences douloureuses pour les femmes au sein de la société palestinienne.
(…) A Gaza, quelques femmes ont commencé à élaborer une théorie sur les récents événements en faisant le lien entre le grand nombre de jeunes martyrs et le niveau accru de pauvreté dans les camps de réfugiés et les villages.
Les femmes de Gaza sont parvenues à cette conclusion: la plupart de nos martyrs viennent des camps et des villages, leur milieu social révèle un haut seuil de pauvreté, la taille de leur famille est élevée, avec une moyenne de douze personnes par ménage. La plupart de ces familles vivent dans une petite chambre individuelle qui tient lieu de séjour, salle à manger, cuisine et de chambre à coucher. Aussi, les enfants participent à lIntifada parce quils nont rien à perdre, leur vie na aucune signification; ces enfants préfèrent la promesse dun paradis à une vie denfer sur cette terre.
De ladolescence perturbée à la mort
Dans une certaine mesure, je pourrais être daccord avec cette analyse, mais je suis certaine que ces gamins étaient à leur apogée, pleins dimagination. Qui sait combien de rêves peuplent ces enfants? Qui peut dire ce quils avaient en tête lorsquils jetaient des pierres? Comment surmontaient-ils leurs peurs et sont-ils allés à leur mort? Pourquoi sourient-ils comme des anges? (…) Et quand arrêterons-nous de compter nos martyrs?
Chaque enfant était un cadeau pour ses parents; même avec leur pauvreté, les mères avaient pris lhabitude de renoncer à leurs besoins et à leur faim pour pouvoir remplir les estomacs vides de leurs oisillons. Comment pouvons-nous lexprimer? Quelle langue peut révéler la douleur des mères? Comment pouvons-nous compter leurs larmes? Comment pouvons-nous compter lincalculable? Il ne se disputera plus avec elle désormais, elle ne le réprimandera plus parce quil na pas fait ses devoirs. Sa petite amie ne recevra plus sa poésie. Il est parti trop tôt, sans même avoir essayé de lui donner son premier baiser.
Conséquences de lIntifada sur les femmes
Maintenant, quel impact a lIntifada sur les femmes? Je nai pas fait denquête, et nen ai pas lintention, mais je suis sûre que le fait davoir 4000-5000 personnes blessées, avec leurs problèmes et handicaps, va affecter principalement la vie des mères. La mère qui avait lhabitude denvoyer son fils au marché le plus proche pour lui apporter du pain ou des légumes, se retrouvera à le soigner, et cela pourrait continuer pendant plusieurs années. Loisillon qui avait lhabitude de courir partout autour de la maison et être très bruyant, qui la faisait le supplier dêtre moins vif, est maintenant paralysé, et elle prie Dieu quil puisse au moins bouger un simple orteil.
Une économie de survie
Auparavant, avec la fermeture de Gaza de 1996, et quand le chômage a atteint son taux le plus élevé, les femmes ont eu tendance à continuer à pratiquer un petit commerce de misère, parce que le père sans travail ne pouvait plus fournir un revenu. Elles ont pris lhabitude de congeler des légumes ou coudre des vêtements pour les vendre ensuite directement aux consommateurs, ou par lintermédiaire de marchands, afin de pouvoir nourrir leur famille, y compris lhomme qui était considéré comme le garant des moyens de subsistance de la famille. Maintenant, avec un enfant handicapé, la mère se retrouve supportant les vingt-quatre heures de présence dun père chômeur et frustré; soccupant du ménage, nourrissant lenfant nouvellement infirme et trouvant une façon de récupérer du travail. Sans compter le problème du manque deau et des coupures quotidiennes délectricité. Les médias ne sintéressent pas au sort de ces femmes, elles napparaissent sur nos écrans de télévision que quand elles sont supposées jouer le rôle de martyres, ou de mère de la personne qui a été blessée. Mais après cela, tout le monde les oublie parce que la liste est passablement longue et que chaque jour apporte de nouveaux sujets à traiter.
Dans ce contexte, vous pouvez trouver un stupide journaliste interrogeant une représentante des femmes sur ce que ces dernières ont fait pour soutenir les hommes dans lIntifada. Ce qui rend sa question plus tragique, cest la réponse de cette femme lui disant avec une grande fierté que les femmes font tout pour soutenir leurs hommes. Elle ne proteste même pas contre la façon dont la question a été conçue, liée à léchec du mouvement à développer un discours qui reflète clairement les rôles et les douleurs des femmes.
Nos maîtres les patriarches
(…) Durant lIntifada, nos maîtres sont les mêmes que ceux des années précédentes. Ils ont en plus, changé leur discours pour ladapter aux nouvelles circonstances et pour garantir leurs intérêts. Il y a un proverbe arabe qui dit que chaque époque a sa propre direction. Cependant, cela fait plus de trente ans que les dirigeants actuels sont au pouvoir, bien que durant toute cette période, beaucoup deau soit passée sous les ponts. Et les circonstances sont en ce moment plus mauvaises pour les femmes; ce sont nos maîtres qui à toutes les époques, sont les patriarches qui définissent chaque partie de notre existence. En temps de crise, la condition des femmes se détériore dramatiquement et en ce moment nous nous confrontons à la question des problèmes spécifiques des femmes.
Partout, la violence
Actuellement la principale occupation est la violence. Tout le monde lencourage fortement parce quen combattant lutilisation massive de la violence par notre ennemi, cela en démontre la légitimité et le succès. Comment un jeune homme peut-il faire la différence entre linteraction avec un ennemi et linteraction au niveau social? Comment pouvons-nous entretenir un tel double discours, qui dun côté encourage lutilisation de la violence contre notre ennemi national, et en même temps ne lautorise pas comme moyen pour résoudre des conflits sociaux? Sommes-nous théoriquement et politiquement capables daccomplir une telle tâche? Et qui mènerait une telle mission?
Je me sens vraiment impuissante dans ma tentative de répondre à ces questions. Je suis à peu près sûre que cest dans la sphère domestique que la violence se manifeste le plus fréquemment, étant donné que tant de maisons ont été démolies et par conséquent de nombreuses familles ont dû se déplacer pour aller vivre avec leurs parents. De plus, un autre problème sy ajoute avec laugmentation du chômage chez les hommes, particulièrement parmi les familles pauvres.
Une telle situation soulève la question de la violence domestique et de labus sexuel. Comment quinze à vingt personnes peuvent-elles vivre ensemble dans un espace extrêmement réduit, et maintenir des rapports sains dans un environnement aussi difficile? Comment les hommes sy prennent-ils et comment les femmes peuvent-t-elles le supporter?
Aucune voix de femme
En outre, du fait de la prédominance du discours nationaliste, aucune femme ne peut élever la voix pour dénoncer labus auquel elle fait face, quil soit sexuel ou non. Les femmes doivent sy confontrer silencieusement et celles qui sont supposées les représenter sont occupées à dautres activités, ou redoutent lembarras de débattre de sujets susceptibles de créer des divisions.
Je suis entièrement daccord avec largument affirmant que nous devons concentrer nos efforts pour se débarrasser définitivement de lOccupation. Cependant, nous devons nous rappeler que pendant que certains dentre nous jettent des pierres à loccupant, les relations sociales basées sur des relations de pouvoir, continuent daffecter les gens les plus vulnérables. Jai déjà rencontré la veuve dun martyr dont les enfants ont été enlevés par sa belle-famille et elle, renvoyée à la maison de sa famille.
* «Women in Gaza» paru le 26.11.00 dans Znet, traduction réd.