Le droit au retour des Palestinien-ne-s


Le droit au retour des Palestinien-ne-s


Le Badil Ressource Center de Bethléem est au coeur de la lutte pour le droit au retour des réfugié-e-s palestinien-ne-s, Ingrid Gassner se trouvait début mars en Suisse. Nous avons profité de sa présence pour l’interviewer.

Birgit Althaler: Le droit au retour, en tant que revendication centrale des Palestiniens/ennes, est depuis un certain temps à nouveau en discussion. Que comprend ce droit, et sur quelles bases s’appuie-t-il?


Ingrid Gassner: Par droit au retour, on entend le droit des réfugié-e-s palestinien-ne-s à retourner dans leur propriété et leurs maisons, dont ils ont été expulsés en 1948. A ce droit est également lié le droit à la restitution de la propriété perdue, ainsi que la compensation pour la propriété qui ne peut être restituée, et pour les dommages et souffrances qui ont découlé de l’expulsion.


Ces revendications sont clairement fondées au niveau du droit des peuples. D’une part, une sorte de droit au retour existait déjà en 1948, donc au moment de l’expulsion. Au cours de ces 50 dernières années, ce droit a été renforcé à l’échelle mondiale dans de nombreux autres cas. La base légale repose sur divers articles de loi dans le droit des peuples. La partie capitale est en particulier celle qui s’attache à la base légale des Etats successeurs, c’est-à-dire à la question de savoir ce qu’il advient des droits de la population d’un Etat, lorsque ce dernier surgit à la place d’un autre Etat. Il apparaît clairement que l’Etat successeur est obligé de se charger de la population concernée, et de lui accorder la citoyenneté. C’est précisément ce qu’Israël n’a pas fait, au contraire. Après l’expulsion des réfugiés, une loi sur la nationalité et la citoyenneté a été promulguée, selon laquelle toutes les personnes qui avaient fui à une certaine période, ou qui ne se trouvaient pas en territoire israélien (désormais majoritaire), étaient privées du droit à la citoyenneté. Les réfugiés n’étaient donc pas seulement expulsés physiquement, mais leur existence légale était niée, et ils étaient exclus du groupe humain auquel la citoyenneté était proposée.


D’autre part, il y a le droit des peuples, qui s’attache particulièrement aux droits humains individuels. L’exemple le plus connu en est la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dans laquelle est fixé le droit de l’individu à sortir de son pays et à y retourner. En outre, une partie essentielle du droit humanitaire s’attache aux droits de la population civile sous occupation militaire, en particulier les Conventions de Genève. Elles définissent également le fait qu’une force d’occupation n’a le droit ni d’expulser la population civile hors du pays, ni de la déporter ou de l’expulser dans le pays même.


De plus, une résolution spéciale de l’ONU sur les réfugiés palestiniens a été votée, dans laquelle ces droits sont une fois de plus renforcés. Il s’agit de la résolution 194 de l’ONU, qui date de décembre 1948. Elle stipule qu’il faut autoriser les réfugiés à retourner le plus tôt possible dans leurs maisons et leur pays, et que des dédommagements doivent être versés à tous ceux qui ne veulent pas rentrer, ainsi que pour les dommages causés par l’expulsion.


La base légale est donc évidente. Malgré tout, cette exigence a longtemps été passée sous silence. Comment se fait-il que la question du droit au retour soit redevenue d’actualité?

Il est vrai que, par moments, ce thème était peu présent. Cependant, il faut préciser que pour les palestiniens et l’OLP, le droit au retour a toujours été un élément central de leur lutte et de leur politique. Ce fut particulièrement le cas entre 1948 et 1967, où le droit au retour était l’un des facteurs principaux des tentatives d’organisation des Palestiniens/ennes et de leur résistance.


En 1967, l’attention s’est déplacée vers les territoires occupés à l’époque par Israël en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Les efforts visaient principalement à mettre fin à l’occupation. D’un autre côté, Israël était très intéressé à présenter le conflit, après 1967, comme s’il ne s’agissait dans cette guerre que des nouveaux territoires occupés, et comme s’il était possible de trouver un accord dans ce cadre et de mettre entre parenthèses la question des droits des réfugiés. Cela correspondait à la finalité de la propagande israélienne, ce qui explique justement que les forces sionistes de gauche ont ressenti comme une panne le fait que cette question redevienne un sujet de négociation et que l’histoire de 1948 soit questionnée à nouveau.


Lorsque le premier accord d’Oslo a été signé, en 1993, la question du retour était mentionnée comme l’un des problèmes centraux qui doivent être résolus dans le cadre des négociations sur le statut final. Pourtant, les Israéliens surtout, mais aussi les Américains, espéraient contourner ce thème ou le rejeter le plus possible dans l’ombre.


Ce fut d’emblée un énorme problème pour le camp palestinien, du fait que les deux tiers des Palestiniens/ennes sont des réfugiés, et que la marginalisation des droits des réfugiés a tout de suite représenté un gros problème de légitimation pour l’OLP. En raison des mobilisations et de la pression des réfugiés dans les territoires occupés en 1967 et en exil, l’OLP a dû remettre fortement le droit au retour au premier plan des négociations sur le statut final.


Depuis plusieurs années, il existe une campagne et de nombreuses activités de base en lien avec le thème du droit au retour. Quel est le caractère de ces mobilisations?


La mobilisation pour les droits des réfugiés a commencé entre 1995 et 1996 et est clairement partie de la base: des organisations dans les camps de réfugiés, mais aussi des réfugiés qui vivent en Israël. Lors de plusieurs conférences de base des débuts, on a beaucoup discuté des priorités et des exigences qui résultent du nouveau cadre créé par Oslo. Celles-ci ont à nouveau fortement réintroduit le droit au retour dans la conscience des réfugiés concernés. Ces initiatives se sont progressivement étendues d’Israël même et des territoires occupés en 1967 vers le Liban, la Jordanie et la Syrie, puis au fil du temps également vers les Palestiniens qui se trouvent aux Etats-Unis, au Canada et en Europe. Ensuite il y a eu une série d’activités qui visaient d’abord à rendre les réfugiés et le reste de la société palestinienne conscients des droits des réfugiés. Il y a eu beaucoup d’initiatives culturelles qui rappelaient l’expulsion et la fuite de 1948.


Plus tard ont été organisées des visites collectives des villages et terres abandonnés et détruits, afin de se demander dans quelles conditions il serait possible de vivre, aujourd’hui, dans l’actuel Israël. Il est apparu clairement que beaucoup de ces villages étaient détruits, certes, mais que, depuis 1948, personne n’y vit et que la terre n’est pas colonisée. Cela a encore plus motivé les réfugiés à renforcer leurs exigences, et cela a aussi montré que leurs revendications sont non seulement justifiées, mais aussi, dans de nombreux cas, relativement faciles à réaliser. En même temps, des recherches plus systématiques ont été menées sur les exigences des réfugiés, leur origine, etc. Il y a eu beaucoup de mises en réseau, notamment par le biais d’internet, ainsi que des rencontres entre organisations de réfugiés, lors desquelles a été mise au point la stratégie pour une campagne de plus longue durée. Il a aussi été discuté de la base sur laquelle le droit au retour peut être revendiqué aujourd’hui.


Un élément des initiatives consistait aussi à prendre de l’influence sur la position de la direction palestinienne et de la délégation de négociateurs. Lorsque les négociations sur le statut final ont commencé, en 1999, la position palestinienne quant à la question des réfugiés était très clairement définie: elle s’appuie sur le droit international et est en même temps l’expression de l’exigence des réfugiés à la base. Le fait que cette position soit représentée en été 2000 à Camp David n’a donc en fait pas été une surprise. Mais de nombreux Palestiniens eux-mêmes ont été surpris de voir que cette position était représentée de façon si conséquente, malgré l’énorme pression politique exercée par Israël, les Etats-Unis et les gouvernements européens.


Lorsque après l’échec des négociations la nouvelle intifada a éclaté, la question du droit au retour y a aussi été incluse comme élément central.


Bien que la base légale de l’exigence du retour ne puisse pas être remise en question, le camp israélien réagit par un clair refus. Comment peut-on évaluer les réactions de la population israélienne?


Ni la société israélienne, ni le gouvernement et la direction politique n’étaient préparés à ce resurgissement de la question et à la véhémence avec laquelle la concrétisation est exigée. Les réactions ont été significativement passionnées, bien que non uniformes. Désormais, au sein de la société israélienne elle-même, du mouvement pacifiste et des médias, il y a confrontation sur le thème du droit au retour. Ce fait est très positif, parce que cela n’a plus été le cas depuis les années 50. Ce n’est pas surprenant que les réactions, en particulier celles des forces politiques organisées, soient majoritairement réticentes ou négatives.


Certains activistes palestiniens ont toutefois été surpris par la réaction du mouvement pacifiste israélien. Ce dernier ne s’est pas montré prêt à se confronter réellement à ce droit, mais a plutôt répondu par réflexe: «Il n’en est pas question. La pérennité de la majorité démographique juive en Israël est un tabou que l’on ne doit pas ébranler. Le peuple juif a un droit inaliénable à cette majorité démographique.» Par contre, d’autres cercles israéliens et activistes étaient absolument prêts à se confronter à cette revendication. Il est encore très difficile d’estimer comment la discussion va se développer. En comparaison avec le passé, il y a aujourd’hui de toute évidence plus de points de connexion et de possibilités de discuter de ce sujet. Mais beaucoup dépendra de la force avec laquelle le camp palestinien continuera d’exercer une pression pour sans cesse réintroduire ce thème. Parce que si la pression n’est pas maintenue avec détermination, c’est avec plaisir qu’Israël laissera à nouveau tomber cette revendication.


Quelle est la position de la droite israélienne par rapport à cette question du droit au retour?


Ce qui est spécifique à la droite israélienne, c’est que ce thème a toujours été moins tabou pour elle que pour la gauche sioniste. L’argument qui dit que les réfugiés palestiniens et l’OLP n’auraient pas d’objectif plus important que de retourner dans leurs maisons a toujours été avancé par la droite pour déclarer d’emblée qu’un compromis est impossible. Pour la droite, il est impensable que ces gens reviennent, et c’est pourquoi ils estiment qu’une discussion avec l’OLP et les Palestiniens n’est pas indispensable.




Propos receuillis par Birgit Althaler, solidaritéS Bâle. Du matériel d’information sur la campagne en cours est disponible sur: badil.org
BADIL Ressource Center for Palestinian Residency Rights, PO Box 728, Bethlehem, Palestine, Tél. et Fax : (009722) 274 73 46
Between the Lines, un mensuel antisioniste publié à Jérusalem, informe régulièrement sur la situation politique, les campagnes et les forces actives en Palestine et en Israël.