« Controverses » au musée de l’Elysée

« Controverses » au musée de l’Elysée

Jusqu’au premier juin, se tient
au musée de l’Elysée une exposition qui tente
d’aborder l’histoire de la photographie à travers
les différentes controverses, d’ordre juridique ou
éthique, qui l’ont jalonnées. Touchant au
problème de l’acceptabilité, elle permet de cerner
le tournant anti-libertaire de notre société depuis plus
de vingt ans. Vous avez dit retour de bâton?!

On trouve beaucoup de choses dans l’exposition
«Controverses». Une main sur le trottoir, des enfants nus,
Staline et ses fantômes, et même des fées. Et
l’on ne peut que se réjouir de ce choix d’une
perspective ouverte. Les images ne concernent pas uniquement le seul
domaine des procès. Cette histoire de la photographie
élargit en effet le cadre du juridique en utilisant la notion,
au combien propre à l’extension d’une
problématique, d’«éthique».

Les thèmes principaux sont au nombre de trois et relèvent
de trois questions fondamentales de notre société: la
guerre, la propriété et la sexualité. Mais toutes
ces images ne posent au fond qu’une seule question: que peut-on
montrer? Les photos de guerre sont controversées car elles sont
censées représenter l’horreur historique. Est-ce
que, par exemple, une photo des camps de concentration permet
réellement de «conce-voir» leur atrocité?
Est-ce que montrer des photos de guerre est fructueux? Est-ce que cela
a pour effet de dégoûter et ainsi de détourner les
hommes de la violence? Ou est-ce qu’au contraire étaler
l’horreur, comme dans cette photo où figure une main
arrachée sur le trottoir lors du 11 septembre, tend seulement
à banaliser la violence ou à exciter les penchants
voyeuristes des gens?

En plus de la question de ce que l’on montre dans le cas de
photos de guerre, se pose également le problème de la
façon dont on le montre. Nous touchons ici à la notion de
propagande. Mais une photographie est toujours politique, par le choix
de ce qui est photographié et la manière dont on le
photographie. On ne peut donc finalement parler de propagande,
seulement quand la mise en scène (ou la retouche) est
grossière. Le maître en la matière ne pouvait
être absent d’une telle exposition. C’est donc tout
naturellement que l’on retrouve deux versions d’une
même photo de Staline accompagné d’autres
responsables russes. Entre les deux, un espace vide a remplacé
le responsable tombé en disgrâce.

La notion de propriété est au cœur de la
photographie. En effet, à qui appartient une image? A celui qui
la prend ou à celui qui est pris? Est-ce véritablement
possible de trancher pour l’un ou l’autre des deux
pôles? D’autre part, la sexualité présente
dans la photographie renvoie directement aux mœurs dominantes
d’une société. Jusqu’à quel point
peut-on montrer de la nudité? Quelles personnes peut-on
photographier nues? Où s’arrête la décence?

Le retour du réactionnaire «mis à nu»

A toutes ces questions, l’exposition du musée de
l’Elysée ne répond pas et n’y prétend
pas. Elle présente au contraire une histoire de la photographie
à travers les différentes façons dont on a
successivement répondu à la difficulté de
déterminer ce qui peut ou non être montré. Et cette
perspective historique met en lumière le retour de bâton
qui est actuellement en œuvre dans notre société.
Après des années 60 et 70, où
l’émancipation des mœurs a progressé, nous
vivons actuellement une période réactionnaire
anti-libertaire où tout mode de vie différent est
d’emblée condamné. Les photos de l’exposition
qui font en fait le plus scandale sont celles qui représentent
des enfants nus. Quoi de surprenant quand on sait que le capitalisme
moderne, pornographique et dénué de justice, a
trouvé dans la figure du pédophile une nouvelle forme du
Mal absolu? De telles photos ne posaient aucun problème, il y a
20 ou 30 ans, elles ne passent plus du tout aujourd’hui. Comment
comprendre ce changement de perception d’une même image? La
libération sexuelle a été
récupérée par le capitalisme qui a
transformé une émancipation qualitative en consommation
quantitative toujours plus violente. De plus, la peur du
pédophile, du pervers a été tellement
répandue notamment par les médias, à tel point que
chacun se sent déjà coupable lorsqu’il regarde un
enfant nu. C’est donc bien une part de liberté humaine qui
a été réprimée. Là où des
photographes ont voulu montrer l’innocence, on ne sait plus voir
que du crime.

Autopsie d’un succès

L’exposition «Controverses» pourrait souffrir du
soupçon qui plane immédiatement sur elle: celui de
vouloir attirer le public en attisant son goût pour le scandale,
pour tout ce qui est «choc». Le succès qu’elle
rencontre semble confirmer cette accusation. Néanmoins on ne
saurait critiquer une exposition pour le simple fait qu’elle
parvient à intéresser un grand nombre de personnes.

Au contraire. Si «Controverses» rencontre un tel
succès, c’est le résultat de deux
éléments: premièrement, une forte
médiatisation, que ce soit en Suisse ou à
l’étranger; deuxièmement, le fait que les images
choisies sont souvent connues, regroupent des périodes et des
styles variés et le fait que la dimension esthétique de
nombreuses d’entre elles n’est pas dominante. Tout cela
fait donc que cette exposition s’adresse à un public
beaucoup plus large que le seul cercle des amateurs de photographie.

Mais qu’en est-il du procès en provocation? Les curateurs
de l’Elysée cherchent-ils le scandale? On peut
répondre à cette dernière question par la
négative, dans la mesure où le musée de
l’Elysée a construit une muséographie forte, et
qu’ainsi il ne tombe pas dans les mêmes travers que
d’autres (cf. la Bibliothèque Historique de la Ville de
Paris et son exposition sur Paris durant l’occupation). Les
textes nécessaires viennent mettre en perspective les
différentes images de l’exposition. On pourrait se
plaindre de la brièveté de ces derniers.
Néanmoins, ce reproche est en fait une qualité. La
concision des textes leur permet d’être accessibles pour un
public large et varié et fait que les images ne sont pas
écrasées sous les mots et restent ainsi les vedettes de
l’exposition.

Léon Hazard