«SOIXANTE ANS APRÈS...»

«SOIXANTE ANS APRÈS…»

de Michel Warschawski*

Célébrer les soixante
ans de la création de l’Etat d’Israël est en
soi problématique, car si pour beaucoup il s’agit de la
création d’un refuge pour les rescapé-e-s du
génocide hitlérien, c’est aussi la victoire
d’un projet colonial que l’on fête.

La célébration de cet anniversaire sans mentionner les
victimes directes de la création d’Israël est, quant
à elle, proprement obscène: quand les jeunes citoyens du
récemment né Etat Juif dansaient sur la place de Tel
Aviv, des centaines de milliers d’indigènes prenaient la
route de l’exil, il est important de le rappeler, si on ne veut
pas être accusé, et à juste titre, de
négationnisme. Car la création de l’Etat
d’Israël a deux faces, inséparables l’une de
l’autre: souveraineté juive et dépossession arabe.
L’indépendance des uns a fait des autres des
réfugié-e-s.

Accident tragique de l’histoire? Non, et c’est là un
des nombreux mythes qui entourent le sionisme et la création de
l’Etat Juif. En fait, on peut parler de deux séries de
mythes: ceux concernant la genèse d’Israël et ceux
entourant la réalité présente.

Dans la première catégorie, celui qui décrit la
Palestine des premiers moments de la colonisation sioniste comme
«une terre sans peuple pour un peuple sans terre». Car
s’il est vrai que le peuple juif (concept  lui-même
objet de grandes controverses) n’est nulle part souverain, il est
faux de décrire la Palestine comme une terre vide: un peuple y
vit et contrairement aux images orientalistes, y a
développé une agriculture et depuis les années
vingt, l’embryon d’une industrie. Toujours encore dans la
série des mythes liés à la genèse
d’Israël, la «fuite des réfugiés»:
les Nouveaux Historiens  israéliens ont réglé
son sort à ce colossal mensonge: les Palestinien-ne-s sont
devenus un peuple de réfugié-e-s suite à une
guerre de nettoyage ethnique dûment planifiée et non par
une subite envie de quitter leur patrie pour les tentes des camps de
l’UNRWA.

Quant aux mythes qui entourent la réalité de l’Etat
Juif, ils ont servi d’arrière-fond à une campagne
de propagande qui a duré cinq décennies et dont on ne
peut nier l’efficacité. Mentionnons-en trois:

  • D’abord qu’Israël serait la seule
    démocratie au Proche Orient. Car l’Etat
    d’Israël lui-même ne se définit pas comme une
    démocratie, mais comme un «Etat Juif et
    Démocratique». La nuance est de taille: «Etat
    Juif» implique un statut privilégié, inscrit dans
    les bases constitutionnelles et les lois de l’Etat, pour une
    communauté, au détriment des autres, ce qui est
    contradictoire avec le principe démocratique.
    L’accès à la terre et au droit de résidence
    ainsi que les lois concernant l’immigration ne sont pas les
    mêmes pour les citoyens juifs et arabes, même si ces
    derniers jouissent des mêmes droits civiques et donc parler de
    démocratie est totalement inapproprié.
  • Autre mythe: Israël comme société
    égalitaire, voire comme exemple du socialisme
    démocratique, ce que confirmeraient les Kibboutzim et la place
    centrale de la Histadruth, institution unique au monde qui unit
    confédération syndicale, principal patron de
    l’industrie lourde, seconde banque du pays,
    sécurité sociale, principale confédération
    sportive et bien d’autres choses encore. Le politologue Zeev
    Sternhell a réglé son sort à ce mythe, en montrant
    que toutes ces institutions, y compris le collectivisme
    économique n’étaient que des moyens – provisoires –
    pour mettre en place un Etat moderne par en haut, puisque
    n’existaient pas les moyens d’un développement
    organique par le bas… Comme ça a d’ailleurs
    été le cas dans des dizaines d’Etats nouveaux
    nés de la décolonisation.
  • Mythe aussi que l’«immigration
    spontanée» des Juifs des pays arabes qui, dans leur
    majorité, ont été contraints de quitter leur
    patrie par des manipulations – y compris des attentats
    perpétrés par les Services Secrets sionistes – et des
    accords secrets avec les régimes arabes en place.

Si les Nouveaux Historiens israéliens sont aujourd’hui
connus de par le monde, il n’en est pas de même des
«nouveaux sociologues» et autres critiques de la
société israélienne et de l’Etat qui ont
permis une remise en question radicale des mythes entourant ces
réalités. Ce travail de recherche critique a largement
contribué au développement de mouvements sociaux qui, en
Israël, revendiquent un «Autre Israël», plus
égalitaire et plus ouvert à l’Autre, qu’il
soit Juif ou non.

Le combat pour un Etat démocratique et laïque est,
après 60 ans d’existence d’Israël, plus
nécessaire que jamais. II sera un combat commun
judéo-arabe, un combat de remise en question des fondamentaux
sionistes, ou ne sera pas, et Israël continuera à
développer, toujours davantage, beaucoup des
caractéristiques d’un Etat d’apartheid.

*Ecrivain et militant pacifiste vivant à Jérusalem

A Lire

Programmer le désastre par Michel Warschawski

Le Hamas a-t-il commis un coup d’Etat à Gaza? Est-ce bien
le Hezbollah qui a lancé la guerre du  Liban de 2006? Abou
Mazen est-il un dirigeant responsable ou, comme le dit un chauffeur de
taxi palestinien, «celui qui dilapide l’héritage
d’Arafat et vend nos droits légitimes pour une
demi-portion de falafel»? Qui sont les Anarchistes contre le mur?
Pourquoi le Mouvement de la paix israélien s’est-il
désintégré? Comment Avraham Burg, fleuron de
l’establishment ashkénaze, en est-il arrivé
à écrire qu’«Israël est une
société effrayante»? Et comment l’Etat
hébreu est-il passé du bon vieux colonialisme plus ou
moins collectiviste à un capitalisme mafieux? Ces questions,
Michel Warschawski, militant de toujours pour une paix véritable
en Israël-Palestine, les pose et y répond.

Un livre indispensable pour tous ceux
qui cherchent à comprendre ce qui se passe entre le Jourdain et
la mer et se sentent médiatiquement bafoués.

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Meeting du 15 mai
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Org: Collectif Urgence Palestine et Peace Watch Suisse Romande