Aide sociale en Suisse: plus de 12% des bénéficiaires sont salariés à plein temps

Aide sociale en Suisse: plus de 12% des bénéficiaires sont salariés à plein temps

L’Office fédéral
de la statistique (OFS) vient de sortir les chiffres 2006 concernant
l’aide sociale en Suisse, publiés depuis trois ans
seulement.1 Tout aurait dû concourir à faire
baisser le nombre de personnes obligées de recourir aux
prestations de l’aide sociale: une très bonne situation
économique et une statistique «positivement»
modifiée par les nouvelles normes CSIAS.2 Et
pourtant, rien n’y a fait: de 218 000 personnes en 2004 à
245 000 en 2006, la croissance est de plus de 12,5%. Comme les autres,
le capitalisme suisse fabrique du profit et des pauvres.

Pour comprendre cette augmentation, il faut intégrer les effets
de la politique néolibérale en matière
d’assurances sociales. Dans son édito du 14 mai 2008, Le
Courrier (Michel Schweri) note que les réductions des
prestations en matière d’assurance-chômage ou
d’assurance-invalidité ont leur part dans l’envoi
à l’aide sociale de certaines catégories de
personnes, en particulier les 56 à 64 ans. L’OFS ne dit
pas autre chose, lorsqu’en p. 8 de son document, il affirme:
«Les modifications apportées au système de
prestations des assurances sociales ont des répercussions
directes sur l’aide sociale», citant les dispositions de
l’assurance-chômage entrées en vigueur le 1er
juillet 2003. Autres facteurs d’entretien de ce taux de 3,3% de
la population résidante à l’aide sociale, les
difficultés de trouver un emploi pour les jeunes et, plus
généralement les non qualifiés; les temps
partiels, souvent contraints par manque d’infrastructures pour la
garde des enfants; enfin, les bas salaires.

Les bas salaires

Dans son commentaire, Raymond Gremaud, constate dans Entreprise romande
– qui se veut la «voix du patronat et des chefs
d’entreprise» – que «les bénéficiaires
d’aide sociale sont logiquement surreprésentés dans
les branches à bas salaires, restauration en tête»
(16.5.2008). Et ça ne lui fait ni chaud, ni froid au porte-voix
du patronat! Ses amis chefs d’entreprise versent des salaires de
misère obligeant les contribuables à compenser, par
l’aide sociale, le «manque à vivre» de ces
salarié-e-s et notre commis aux écritures ne s’en
étonne pas…

Pourtant, les salarié-e-s représentent près de 29%
des bénéficiaires de l’aide sociale. Parmi eux, 42%
ont un travail à plein temps et 58% à temps partiel. Bien
sûr, on ne peut pas en conclure que toutes ces personnes ont
dû quémander une aide uniquement et directement à
cause d’un bas salaire; les cas sont souvent plus complexes et
enchevêtrés, les accidents de la vie jouant leur
rôle (divorce, par exemple). Reste que les bas salaires ont un
rôle déterminant, directement ou indirectement
(lorsqu’une situation d’endettement en découle, p.
ex.), et que cela déjà est scandaleux.

Pas d’indignation de ce genre pour notre ancien folliculaire de
la défunte «Correspondance politique suisse».
Raymond Gremaud est en fait un obsédé de
l’âge de la retraite qui tient absolument à fourguer
une critique de l’initiative de l’Union syndicale suisse
(USS) «pour un âge de l’AVS flexible» en
parlant de l’aide sociale. Ce qui ne va pas sans mal.

Précarité des travailleurs âgés et âge de la retraite

Bien que lui-même fraîchement retraité, R. Gremaud
reste d’une souplesse étonnante pour son âge. Ce
contorsionniste de la statistique note, comme tout le monde, que la
catégorie qui a connu la plus forte croissance (près de
12% depuis 2005) est celle des 56 à 64 ans. Même
s’ils ne forment que le 6,2% des bénéficiaires,
cette poussée est inquiétante, s’accompagnant de
constatations confirmant une précarisation accrue de cette
couche sociale: 84% d’entre eux-elles touchent des prestations
depuis plus d’un an et, dans la majorité des cas (51%), la
dépendance à l’aide sociale cesse au moment ou
d’autres prestations sociales prennent le relais (AI ou AVS, p.
ex.) et non pas à travers un retour à l’emploi.
Chez ces personnes, l’absence de qualification professionnelle
est bien moins marquée que chez les autres
bénéficiaires; elles sont toutefois bien plus
représentées dans la catégorie des non-actifs que
les plus jeunes (41,8% contre 32,5%). Et 17,8% des non-actifs dans
cette classe d’âge le sont parce que n’ayant
«plus aucune chance sur le marché du travail». De
même, ils-elles sont proportionnellement plus nombreux à
avoir renoncé à s’annoncer auprès de
l’Office de travail (41% des chômeurs-euses
âgés contre 36,7% chez les 26-55 ans). Dans leur
majorité, ce sont des hommes (60,3%).

En regard de ces chiffres, l’idée de repousser
l’âge de la retraite, un des dadas de Couchepin, devient
encore plus absurde. Le marché du travail régurgitant une
part des travailleurs-euses âgés, prolonger
l’âge de la retraite ne fera qu’augmenter le nombre
de personnes ainsi touchées.

Raymond Gremaud le sait bien, qui se précipite sur
d’autres données pour établir, justement, que
«les retraités sont mieux protégés contre la
précarité et très peux d’entre eux doivent
recourir à l’aide sociale». En effet, grâce,
entre autres, aux prestations complémentaires! Mais quel lien
avec la retraite flexible à 62 ans demandée par
l’initiative USS? Aucun. Il faut donc faire un petit tour de
passe-passe et affirmer que cette initiative s’occupe… du
troisième âge et vise à améliorer la
situation de ceux qui n’en ont pas besoin, comprenez les
retraité-e-s! Fortiche, hein, le Gremaud… Allez, on en
reprend un coup, tellement on ne s’en lasse pas: «et
c’est sans compter qu’une telle initiative populaire incite
à dégarnir le marché de l’emploi au moment
même ou l’évolution démographique devrait
engager à conserver un maximum de forces vives pour faire
tourner l’économie et nourrir des caisses sociales de plus
en plus sollicitées.» Si l’on résume la
pensée gremo-patronale, c’est donc lorsque le
marché de l’emploi devient plus sélectif, rejetant
les jeunes sans formation en amont et les salarié-e-s
âgés en aval, qu’il faut contraindre les gens
à faire semblant d’y être. Ils ont des soins pour
les lumbagos idéologiques, à Entreprise romande?

Daniel Süri


1     Selon la Conférence suisse des
institutions d’action sociale (CSIAS) elle-même: «Des
experts estiment qu’en Suisse jusqu’à 50 % des
personnes qui auraient droit à l’aide sociale ne font pas
valoir ce droit, car la dépendance de l’aide sociale est
considérée comme stigmatisante à beaucoup
d’endroits.» (Questions fréquentes au sujet de
l’aide sociale, www.skos.ch)
2     Entrées en vigueur en janvier 2006 dans la
plupart des cantons, les normes CSIAS définissent les besoins
vitaux à la baisse (en référence aux 10 % les plus
pauvres de la population, contre 20 % auparavant). Le besoin
d’assistance qu’elles permettent de calculer devient donc
plus faible et la population concernée par l’aide sociale
se restreint.