Le «cadeau» de Hillary Clintonaux femmes

Le «cadeau» de Hillary Clintonaux femmes

Dans le New York Times de vendredi 10 mai, Susan Faludi1 se
réjouissait de la destruction, par Hillary Clinton, du mythe
d’une supériorité morale innée et
d’une ultra correction des femmes, saluant la pugnacité
sans frein de Hillary Clinton et sa réputation médiatique
de «mauvaise» et «sans scrupule». Faludi
écrivait que des candidates futures à la
présidence devront beaucoup à la manière dont
s’est passée la course présidentielle en 2008 quand
«Hillary Clinton a cassé
le “plancher de verre” et est descendue dans
l’arène au même niveau que les hommes.»

Je partage cette jubilation de Faludi mais jusqu’à un
certain point seulement. Certes, personne n’osera plus
défendre l’idée que les femmes manquent du
tempérament nécessaire au combat politique. Mais en
menant une campagne à connotation raciale, en mentant concernant
son expérience en matière de politique
étrangère et en paraissant de manière
répétée être plus favorable au candidat
républicain McCain qu’à son opposant
démocrate, Hillary Clinton n’a pas seulement brisé
le «plancher de verre», elle est descendue à un
niveau vers le bas jamais atteint en matière de plancher en
général et, si elle avait pu le faire, elle aurait
frotté le visage d’Obama avec le verre brisé du
plancher en question.

Il y a une petite décennie, Francis Fukuyama2 se
préoccupait dans la revue Foreign Affairs du fait que le monde
était selon lui trop dangereux pour l’Occident pour
qu’on en confie la responsabilité à des dirigeantes
grisonnantes, dont l’aversion pour la violence était,
comme il tentait de l’établir avec de nombreux exemples
tirés de la société des chimpanzés,
«enracinée biologiquement». Le contre-exemple de
Margaret Thatcher, peut-être la première cheffe
d’Etat à déclencher une guerre à la seule
fin d’augmenter sa popularité dans les sondages, l’a
conduit à concéder que «la biologie n’est pas
la destinée». Mais c’était quand même,
selon lui, une bonne raison de voter pour des mâles du type
préhistorique traditionnel prompts à manier le gourdin.

Ne t’en fais pas pourtant Francis. Loin d’une
féministe pacifiste stéréotypée telle que
tu l’imaginais, la femme qui se rapproche aujourd’hui le
plus de la Maison Blanche a promis
«d’anéantir» les gamins de
Téhéran avec, bien sûr, les fabricants de bombes et
les supporters du Hezbollah. Avant cela, Clinton a juré
qu’elle ne parlerait jamais avec les supposés
«méchants», malgré le fait que les femmes
sont censées être les accros au dialogue de notre
espèce. Attention – a été son message
distinctement «peu féminin» adressé à
Hugo Chavez, Kim Jong-Il et aux autres – ou je vous en collerai encore
une.

La raison pour laquelle il a été si facile aux hommes de
ne pas relever la capacité des femmes en matière
d’agression est la suivante. Comme chaque étudiant-e en
études genre élémentaires le sait, ce qu’on
appelle agression chez les hommes est habituellement trivialisé
et considéré chez les femmes comme un comportement de
mégère: les hommes se mettent en colère, les
femmes souffrent d’épisodes d’hostilité
inexplicable et conduite par leurs hormones. Ainsi on peut donner acte
à Hillary Clinton du fait qu’elle a défié ce
stéréotype qui rabaisse les femmes, elle est visiblement
en colère depuis des mois, si ce n’est des
décennies, et ça ne peut pas tout être
attribué à un syndrome pré-menstruel.

Mais avions-nous vraiment besoin d’une autre leçon quant
à la capacité des femmes à se livrer à des
agressions sans pitié? Toutes les illusions que j’ai pu
avoir à propos de la supériorité morale des femmes
se sont effondrées pour de bon, il y a quatre ans, avec Abou
Ghraib. Rappelons que 3 des 5 gardien-ne-s de prison, qui ont
été poursuivis en justice pour torture et humiliation
sexuelle de prisonniers, étaient des femmes. La prison
était dirigée par une femme, la générale
Janis Karpinski et le principal officier des renseignements des
Etats-Unis en Irak, qui était aussi responsable pour la
révision du statut des détenus avant leur
libération était la major-générale Barbara
Fast, sans parler du fait que la responsable US en charge de
l’organisation de l’occupation de l’Irak était
alors Condoleeza Rice.

Toutes les choses violentes et mauvaises que les hommes peuvent faire,
les femmes peuvent le faire aussi, et si la capacité
d’être cruel était un critère de
capacité de direction, comme l’a suggéré
Fukuyama, alors Lynndie England devrait envisager à sa sortie de
prison de se présenter au Sénat.

Il est peut-être important – même parfois exaltant – 
pour les femmes d’embrasser la «chienne» qui someille
en elles, mais le but de l’exercice devrait être
d’étendre notre sens des possibilités humaines, non
pas de sanctifier l’agressivité comme une vertu. Les
femmes peuvent se comporter comme la reine guerrière Boadicea,
à qui l’on attribue l’exécution de 70 000
personnes, beaucoup d’entre elles civiles, ou comme Margaret
Thatcher qui a entrepris de démanteler l’état
social britannique. Les hommes, pour leur part, sont libres de prendre
comme modèles des leaders pacifistes comme Martin Luther King ou
Mahatma Gandhi. La biologie nous conditionne de toutes sortes de
manières dont on n’est pas forcément conscient
encore aujourd’hui, mais la vertu est toujours un choix.

Hillary Clinton a brisé le mythe de la supériorité
morale féminine innée de la pire des manières
possibles, en démontrant une infériorité morale
féminine. Nous n’avons pas vraiment besoin de ses
sous-entendus raciaux et de sa belliquosité
débridée pour établir le fait que les femmes ne
sont pas des «lavettes». Comme une génération
de jeunes féministes s’en rend compte, les valeurs qui
étaient par le passé considérées comme
étant uniquement et génétiquement féminines
– comme la compassion et une aversion pour la violence – peuvent
être trouvées dans chacun des genres et parfois
c’est un homme qui s’y tient le mieux.  

Barbara Ehrenreich *
* Tiré de son blog sur ZNet, traduction et notes de notre rédaction


1     Susan Faludi, féministe, est
écrivaine et journaliste. Elle a remporté le prix
Pulitzer et collabore à plusieurs journaux américains.
2     Philosophe et professeur d’économie
à l’Université John-Hopkins, Francis Fukuyama a
travaillé étroitement avec Bush en siégeant au
Conseil présidentiel de bioéthique.

A propos de l’auteure de ce commentaire

Journaliste, Barbara Ehrenreich collabore à Time,
Harper’s, The Nation, The New York Times. Essayiste politique,
militante engagée, socialiste et féministe, elle est
l’auteure de nombreux ouvrages dont Le sacre de la guerre
(Calmann-Lévy, 1999). L’Amérique pauvre, comment ne
pas survivre en travaillant (Grasset 2004), On achève bien les
cadres, l’envers du rêve américain (Grasset &
Fasquelle 2007). Elle n’hésite pas à se confronter
directement aux réalités sociales qu’elle
décrit, elle a ainsi passé une année à
faire des boulots mal payés aux 4 coins des USA, pour
écrire son livre sur l’Amérique pauvre. (met)