L’Etat du mouvement après Gênes


L’Etat du mouvement après Gênes


Les réactions des institutions et des forces politiques aux événements de Gênes, l’état du mouvement et la question de la violence.

Christophe Aguiton*

Pour tirer tous les enseignements de Gênes, il faudra croiser les bilans et lire avec attention les textes venant de réalités militantes différentes, ceux des italiens bien sûr, mais aussi ceux des autres délégations, des militants de nombreux pays étant présents aux différentes manifestations. Ce texte traitera de trois problèmes. Tout d’abord les réactions des institutions internationales, des gouvernements et, à partir de là, celles du parti socialiste, ensuite l’état du mouvement pendant et après Gênes, et enfin la question de la violence pendant les manifestations. Chacun d’entre eux mériterait de plus amples développements, Gênes représentant un tournant très important. C’est vrai pour les institutions et les gouvernements qui sont arrivés à la fin d’une phase : ils ne peuvent décemment plus continuer à se réunir à l’abri de grilles et de murs, et il ne sera politiquement pas longtemps possible de se réfugier au fond des montagnes ou des déserts. Mais Gênes représente également un tournant majeur pour les mouvements qui sont confrontés à une croissance considérable, mais sans que les acteurs traditionnels, et en particulier les syndicats, ne soient prêts à prendre leurs responsabilités ; des mouvements qui doivent, dans le même temps, se positionner face à la violence.


A – Du côté des institutions et des gouvernements


Si Gênes restera un moment important dans l’histoire des mobilisations et des luttes, c’est à cause de la violence de la répression et de l’ampleur des manifestations, mais aussi à cause de l’écart énorme entre les attentes de l’opinion et des manifestants et les décisions prises par le G-8. Celui-ci n’a pu que constater les désaccords entre les Etats-Unis et les autres grands sur le protocole de Kyoto, texte pourtant analysé par la plupart des associations environnementalistes comme notoirement insuffisant pour lutter contre l’émission de gaz à effet de serre. Et pour la seule décision prise, la création d’un fonds d’intervention pour la santé, les sommes annoncées (1,3 milliards de dollars) sont considérées comme ridicules par tous les mouvements travaillant dans ce domaine. Cette panne du G-8 renvoie aux divergences et aux contradictions entre grands pays, divergences qui apparaissent de façon récurrente et qui sont une des explications de l’échec de l’OMC à Seattle. Mais la panne du G-8 prend une dimension particulière de par la faible légitimité de cette instance. Lionel Jospin rend public son doute sur l’utilité de telles réunions, et François Hollande enfonce le clou en annonçant la «mort politique du G-8». Klaus Schwab, le fondateur du «World Economic Forum» et des réunions annuelles de Davos, elles aussi en perte de légitimité, estime de son côté que le G-8 n’est pas l’instance la plus adaptée pour discuter des «grandes questions concernant la globalisation».


Les voix du Sud


Malgré cette panne du côté des grands, la voix des pays du Sud ne s’est que peu exprimée à Gênes. Si Abdoulaye Wade, le président de la République du Sénégal, a pris en compte l’ampleur du mouvement, pronostiquant même, comme en 1968, son extension au Sénégal, il n’a, pas plus que ses homologues présents à Gênes, pu s’appuyer sur l’ampleur du mouvement pour formaliser une politique alternative ni permettre d’avancer vers une alliance des pays pauvres pouvant faire pièce au concert des pays riches. Les raisons de cette faiblesse sont connues. Les pays du sud sont confrontés, eux aussi, à une panne d’orientation stratégique – les modèles tiers-mondistes de développement autocentrés ont montré leurs limites. Les élites des pays du sud ont massivement adhéré au crédo néolibéral en même temps qu’existe l’illusion que dans le «nouvel ordre du monde» ils pourraient jouer un rôle en profitant de la concurrence entre les grands. Mais l’émergence d’une opposition à la mondialisation libérale, portée par des états du sud, serait pourtant un élément décisif dans le rapport de force international.


Que disent les maîtres du monde ?


Si, entre les pays du G-8, les divergences se sont exprimées nettement, celles-ci ne sont pas le seul problème qu’auront à résoudre les gouvernements et les classes dominantes. Une fois de plus, le plus frappant, dans les discours des responsables politiques, est la faiblesse des argumentations cherchant à convaincre les opinions du bien fondé de leur orientation. On a vu, à Gênes, se dessiner deux types d’orientations. La première, portée par George Bush et Tony Blair, assume clairement le choix de la mondialisation libérale, présentée comme la seule solution, y compris pour les pauvres de la planète qui sont sensés y trouver leur compte. Cette orientation ne pourra s’appuyer que sur une fraction minoritaire d’une opinion publique qui manifeste de plus en plus nettement ses inquiétudes face à la «mondialisation libérale». Pour tenter de se rallier l’électorat conservateur, George Bush et Tony Blair ont condamné les «casseurs» avec une grande fermeté. Mais, là aussi, le bilan de Gênes montre les limites d’une telle orientation : le gouvernement Berlusconi, fidèle soutien de la ligne libérale de l’administration Bush, paie aujourd’hui le prix politique de sa politique répressive.


La deuxième orientation ne s’est exprimée que sur une question d’apparence tactique : Jacques Chirac, vite rejoint par Lionel Jospin, a manifesté sa «compréhension» pour les manifestants. Les responsables politiques français n’ayant fait en cela que suivre Bill Clinton qui avait eu des propos similaires à Seattle. Une compréhension qui a ses limites : les autorités françaises n’ont pas, à cette date, condamné l’attitude des autorités italiennes. Pour Jacques Chirac, le problème est strictement tactique : il s’agit, comme il l’a fait sur les questions environnementales, de prendre date sur tous les terrains qui pourraient permettre à la gauche de se délimiter pour tenter, comme en 1995, de gagner la présidentielle en mordant sur un électorat qui n’est pas celui de la droite traditionnelle. Mais, derrière les évidentes préoccupations électorales, les responsables politiques français essaient de formaliser une réponse aux inquiétudes de l’opinion. Ils ne sont pas les seuls à penser qu’il faudra bien s’engager, d’une façon ou d’une autre sur la voie de réformes. Dans son éditorial, le Financial Times du 11 août abondait en ce sens. Mais aujourd’hui, aucun signe concret ne montre que l’on s’engage pratiquement dans cette voie : il faudrait pour cela un consensus entre les grands, avec en premier lieu l’assentiment des Etats-Unis. Cependant, ce débat ne fait que commencer et il se nourrira des contradictions entre les différents Etats et de l’intervention des institutions internationales, FMI, BM, OMC et ONU, qui ont besoin d’espace pour exister face aux différents gouvernements et, en particulier, l’américain.


B – Le mouvement après Gênes


Avant d’entrer dans le bilan de la mobilisation, il vaut la peine de s’arrêter sur le sigle choisi par les mouvements italiens pour désigner leur cadre unitaire : le GSF, le «Genoa Social Forum», filiation assumée du «World Social Forum» de Porto Alegre. Ce choix est significatif d’une généalogie, certes courte, mais riche de moments fondateurs et de lieux de cristallisation d’alliances et de mouvements. Il y a deux ans, à Paris en juin 1999, les rencontres internationales organisées à l’initiative d’ATTAC et de la CCC-OMC avaient connu un succès qui indiquait l’émergence d’un mouvement qui s’est clairement manifesté, en novembre de la même année, à Seattle. Quelques mois plus tard, c’est à Bangkok que la première «alliance internationale» commençait à se formaliser avec beaucoup des partenaires que l’on retrouvera partout : ATTAC bien sûr, mais aussi les diverses coalitions pour l’annulation de la dette des pays du tiers monde, Via Campesina, Focus on the Global South ou la KCTU coréenne.


De Genève …à Porto Alegre


A Genève, en juin 2000, le «Comité suisse de l’appel de Bangkok» répondait à l’appel du même nom et organisait une conférence qui sera très importante pour les mobilisations comme Prague mais aussi pour la construction du mouvement : c’est là que se sont forgés des mouvements comme le «Movimiento de Resistancia Global», très implanté en Catalogne et dans quelques villes espagnoles, et c’est surtout là qu’a été lancé l’appel pour le Forum Social Mondial de Porto Alegre. Porto Alegre a représenté un tournant décisif. Les différents mouvements ont pu, là, se coordonner pour préparer les mobilisations à venir, Buenos Aires, Québec et, bien sur, Gênes. Plusieurs délégations nationales ont profité de l’évènement pour renforcer leurs liens et décider d’un cadre commun de travail, au niveau national. Ce fût le cas des forces italiennes qui ont, à Porto Alegre, défini le cadre qui sera celui qui préparera la mobilisation de Gênes. Ce court rappel n’a pas que pour but de restituer l’histoire d’un mouvement qui comporte bien d’autres étapes et filiations (c’est à Nice, par exemple, que beaucoup de militant-e-s et de mouvements français ont décidé de préparer Gênes). Il ne faudrait surtout pas y voir le moindre déterminisme militant : les grandes mobilisations auraient certainement eu lieu, avec ou sans cette série de conférences et de rencontres. Mais le maillage ainsi réalisé a été déterminant pour créer un réseau de confiance et de solidarité entre les responsables des mouvements sociaux et militants des différents continents. Et surtout, un cadre a été donné, qui allie la défense sans concession des revendications de ces mouvements et une volonté unitaire permanente, qui a permis au mouvement de s’élargir régulièrement, sans pour autant se fragmenter. C’est cet acquis qu’il nous faut préserver au travers des initiatives et des rencontres à venir.


Un tournant essentiel pour le mouvement italien


Gênes a représenté un tournant par le nombre des manifestants, mais cela n’a été possible que parce que le rassemblement des forces qui étaient dans le GSF était tout à fait nouveau. La fin des années 1970, la montée de l’autonomie puis les «années de plomb» avaient accéléré la dispersion des équipes militantes, y compris dans la gauche radicale. Le début des années 1990 avait vu le retour de luttes ouvrières (elles avaient entraîné la chute du 1er gouvernement Berlusconi), une recomposition politique à gauche, avec l’apparition des DS et de Refondation Communiste et la croissance des syndicats non-confédérés, grâce à l’essor des COBAS, en même temps que les «centres sociaux», des anciens locaux industriels occupés par des militants souvent issus des courants autonomes, connaissaient un développement important en offrant des espaces festifs et militants à la jeunesse. Mais tous ces nouveaux cadres militants travaillaient peu ensemble. Gênes a marqué une rupture à cet égard, en même temps qu’une nouvelle génération militante s’affirmait, en liant ces structures radicales au monde associatif italien (ManiTese, Lega Ambiante, ARCI, etc.) particulièrement actif et implanté. Le succès qu’a rencontré ATTAC-Italie, dès sa création officielle en juin, est significatif de ce renouveau militant. Nous le verrons dans les mois et années qui viennent, car il n’y a aucun automatisme en la matière, mais Gênes pourrait bien être le point de redémarrage des luttes en Italie dans un cadre de recomposition bien plus favorable que celui des années 1990.


Le mouvement syndical à Gênes


Plus difficile est la place du syndicalisme dans cette recomposition. Les trois confédérations italiennes (CGIL, qui était liée au PCI, la CISL, anciennement proche de la démocratie chrétienne et l’UIL, liée aux socialistes) ont été hors du coup. Si des pesanteurs propres au syndicalisme en général et au syndicalisme italien, en particulier, ont pu jouer un rôle dans cette absence, la responsabilité première en incombe aux responsables confédéraux.


Ainsi, le 19 juillet, le syndicalisme international et européen (la CISL et la CES) avaient organisé un débat sur la mondialisation avec plusieurs centaines de participants, en grande majorité des responsables de syndicats italiens. Vittorio Agnoletto, le porte parole du GSF avait été invité et son intervention avait été extrêmement bien accueillie, avec un tonnerre d’applaudissements sauf du côté des responsables confédéraux. Le secrétaire général de la CGIL, Cofferatti, enfonçait le clou le lendemain, dans une interview au Corriere de la Serra, en expliquant pourquoi il ne fallait pas participer aux manifestations de Gênes : celles-ci n’apporteraient pas assez de propositions positives, ce qu’un syndicat, parce qu’il est là pour négocier, doit d’abord prendre en compte ! Cette absence confédérale va donner de l’espace aux secteurs de la gauche syndicale, qu’ils soient ou pas membres des confédérations (les COBAS et la CUB sont indépendants et, dans la CGIL, la tendance de gauche «Alternativa Sindacale» avait appelé aux manifestations avec la FIOM, la puissante fédération de la métallurgie). On peut espérer que cela pousse les confédérations à entrer dans la bataille contre la mondialisation libérale, comme l’AFL-CIO l’a fait aux Etats-Unis. L’exemple de Barcelone, où les Commissions Ouvrières et l’UGT, les deux principales confédérations du pays, ont été obligées d’appeler, au côté de la CGT anarcho-syndicaliste, aux manifestations contre la tenue d’une conférence de la Banque mondiale, montre que cela est possible. C’est un enjeu important parce qu’il conditionne l’alliance, qui ne pourra être que conflictuelle, entre la mobilisation de la jeunesse et le mouvement syndical, qui représente encore l’essentiel des forces organisées du mouvement populaire.


Les partis sociaux-démocrates pourront réagir plus vite que les confédérations qui leurs sont proches. C’est en tout cas ce que montrent les cas italiens, mais aussi français. En Italie, la direction des DS (Démocrates de Gauche), le parti qui dirigeait, il y a quelques mois encore, le gouvernement qui préparait le G-8, s’est divisé pour savoir s’il fallait appeler aux manifestations de Gênes et a participé à toutes celles qui ont suivi. En France, Vincent Peillon, porte-parole du PS, regrette ainsi l’absence du PS à Gênes et, dans une tribune publiée par «Le Monde» et signée avec Christian Paul, secrétaire d’Etat à l’outre-mer, prend nettement partie pour les mouvements qui s’opposent à la mondialisation libérale. Par-delà les évidentes préoccupations électorales, ce positionnement du PS ne pourra qu’encourager les mouvements en légitimant leur action. (…)


C – A propos de la violence


Un des éléments du bilan de Gênes a été la manière dont le GSF s’est construit et a fonctionné. Les Italiens ont montré, à cette occasion, qu’ils étaient les maîtres dans la gestion de l’unité dans la diversité. Le pari n’était pas tant de faire tenir ensemble des composantes dont l’origine était diverse, cas de figure somme toute assez classique, mais de faire tenir sans craquer un édifice dont les composantes avaient des buts et des stratégies assez différents. Le GSF allait en effet de la campagne «dette», très modérée et marquée, en Italie, par le poids des religieux, jusqu’aux COBAS et aux Tute Bianche, qui entendaient pénétrer dans la zone rouge et utiliser des moyens de défense certes défensifs, mais qui les faisaient plus ressembler à des chevaliers du moyen âge qu’à des Gandhi modernes.


Recherche du consensus au sein du GSF


Au prix d’heures et d’heures de discussion, l’alliance a fonctionné et s’est même renforcée au fil du temps. L’alliance ainsi créée a permis d’intégrer dans un cadre commun des cortèges totalement pacifiques pendant que d’autres pratiquaient une «violence symbolique», et ainsi de représenter l’écrasante majorité des manifestants. L’envers de cet accord a été la difficulté à «gérer» les relations avec ceux qui étaient extérieurs au cadre du GSF. L’accord, dans un contexte compliqué par les tensions liées à l’élection de Berlusconi et à l’installation, en juin, de son gouvernement, s’est fait au prix de tensions avec les composantes les plus radicales du GSF. Cela a d’abord été le cas avec les Tute Bianche, qui avaient, de façon métaphorique, «déclaré la guerre» aux autorités italiennes. Les COBAS ont été ensuite sur la sellette, leurs liens avec d’autres composantes des centres sociaux faisant craindre des violences dépassant le cadre fixé par le GSF. Le GSF avait, en plus de ces débats, à gérer les relations avec les gouvernements successifs. Cela explique le temps mis à prendre réellement en compte les composantes européennes et internationales de la mobilisation et la difficulté à expliciter les problèmes rencontrés avec des composantes (issues d’un petit nombre de centres sociaux) qui ne se reconnaissaient pas dans le GSF.


Un bilan largement positif


En final, le bilan du GSF est tout à fait positif. Il a été légitimé, en Italie et bien au-delà, par sa capacité à se démarquer des violences commises par certains groupes de manifestants tout en dénonçant fermement les autorités italiennes, réelles responsables de l’incroyable déchaînement de violence qu’à connu Gênes les 20 et 21 juillet. Et s’il est utile de comprendre les difficultés que le GSF a pu connaître, son fonctionnement unitaire et sa capacité d’intégration en font un exemple pour les mobilisations à venir. Mais Gênes, après Göteborg, obligent à une réflexion sur la violence qui risque d’accompagner les manifestations. Il faudra être capable d’analyser les situations pratiques et concrètes de chaque manifestation, tout en ayant un point de vue plus général, nécessaire pour donner une orientation visible au mouvement.


GSF et «black block»


A Gênes, la délimitation entre le GSF et ce qui a été appelé le «black block» était claire. S’il ne faut pas criminaliser celui-ci (il y avait à l’évidence des agents provocateurs, policiers voire militants d’extrême droite, mais la majorité du milliers de participants de ce «black block» étaient des jeunes radicaux, italiens dans leur grande majorité), son orientation était clairement différente de celle du GSF. Cela était net sur le plan idéologique, le GSF étant taxé de «réformisme», comme sur le plan politique : le «black block» n’entendait pas encercler la zone rouge ou même y pénétrer, mais voulait s’attaquer aux «symboles du capitalisme», façades de banques, voitures «luxueuses», etc. Si, à Gênes, la responsabilité des violences incombe, d’abord et avant tout, aux autorités italiennes qui ont commis, ou laissé faire, des actes que l’on pouvait croire impossibles dans un pays démocratique, la séparation nette entre les manifestants du GSF et de ses alliés européens et ceux du black block en a facilité la démonstration publique. Les attaques contre les cortèges pacifiques, les violences commises contre les manifestants arrêtés et le passage à tabac des militants dans l’école Diaz ont ému le monde entier.


Violence et crédibilité du mouvement


A un niveau plus général, s’il est très important de rappeler la volonté non violente de la très grande majorité des manifestants, la délimitation avec ceux qui refuseraient cette orientation ne sera pas toujours facile. En effet, de la rage compréhensible contre un système qui produit, à grande échelle, des inégalités, de la misère et de la violence contre les plus pauvres, à l’idée que le mouvement peut se construire malgré ou avec la violence, il n’y a qu’un pas.


A l’appui de cette idée, le fait que Prague, pas plus que Göteborg, n’ont été des points de retournement à partir desquels le mouvement serait retombé, marginalisé par les violences. Si, à une échelle internationale, ce constat est réel, il faudra étudier de plus près les réalités militantes après ces manifestations. A Prague, par exemple, le bilan n’est pas probant. Cela s’explique probablement par le fait – un cas unique – que les manifestants venaient, dans leur écrasante majorité, d’autres pays. Mais il faudra attendre le bilan qu’établiront les militants suédois, avec un peu de recul, pour tirer des leçons plus générales.


Et il existe un risque qui est, lui, tout à fait certain : celui d’un décrochage du mouvement d’avec l’opinion publique, avec comme conséquence évidente le retrait des forces les plus réticentes à s’engager dans la lutte contre la mondialisation libérale, à commencer par les confédérations syndicales. A Gênes, l’attitude des autorités italiennes a été telle que l’opinion lui fera porter la responsabilité des violences, mais cela ne sera pas toujours le cas et le soutien qu’apporte l’opinion publique aux manifestants est une des clés de la réussite du mouvement.


Refus de la violence et cortèges déterminés


L’exemple du GSF a cependant une portée plus générale. Il montre qu’il est possible de refuser la violence et donc de se démarquer de ceux qui ne partagent pas cette stratégie tout en acceptant des cortèges déterminés, les militants se protégeant des charges policières par des moyens passifs (casques, boucliers plastiques, etc.).


Une autre piste, qui présente l’avantage de manifester encore plus nettement la détermination mais aussi la non-violence du mouvement, existe du côté des méthodes nord-américaines, qui ont été présentées à Gênes par Liza, une militante californienne (ses formations ont été largement médiatisées). Il s’agit d’aider les manifestants, organisés en «groupes d’affinité», à résister, pacifiquement, le plus longtemps possible, aux interventions policières, mais là, sans casques ou autres moyens de défense personnels.

* Responsable des relations internationales d’Attac-France. Vient de publier Le monde nous appartient, Paris, Plon, 2001. Titre et intertitres de notre rédaction. Texte original intégral publié dans le Grain de Sable (Courrier électronique francophone d’information d’Attac) n° 260.