Un sursis Swiss(id)air
Un sursis Swiss(id)air
On attribuera la crise des compagnies aériennes au dumping que leur concurrence acharnée exacerbe, aux craintes des clients suite aux accidents, détournements ou attentats, aux plaintes des riverains des aéroports, à lémission de gaz à effet de serre, à lencombrement des couloirs aériens. Et si le mal était ailleurs…
La raison de cette crise, la tendance au renchérissement du carburant fossile, est plus profonde, car laviation na pas dénergies de remplacement. Ainsi, les transports aériens auront été un luxe éphémère dont nous devrons progressivement nous passer. Laviation civile est très récente: il y a 40 ans, les 2/3 des passagers étaient transportés sur lAtlantique Nord par paquebot. Dès cette date, le business du transport aérien na cessé daugmenter: de 1960 à 1987, le trafic passager a décuplé passant de 106 millions de passagers par an à 1040 millions! Cette progression vertigineuse ne peut se poursuivre sans dégâts.
Routes et voies deau
Pour lexpliquer, situons tout dabord laviation par rapport aux divers moyens de transport. Les voies terrestres nous permettent de circuler par train, voiture, camion. Ces engins sont certes lourds, mais peuvent rouler facilement sur le sol aménagé qui les supporte. Pour se déplacer, leurs moteurs nont à vaincre que la résistance des côtes, de lair et du frottement des roues. Les énergies disponibles sont variées: plusieurs combustibles fossiles, électricité, gaz, hydrogène, peuvent être utilisées. De plus, leur consommation dénergie peut encore être réduite: le projet Swissmétro, par exemple, cherche à réduire les dénivellations par la circulation en tunnel, la résistance de lair en créant le vide dans ces tunnels et le frottement des roues en faisant glisser les wagons sur des coussins magnétiques.
Libres comme lair ?
Les voies fluviales, lacustres ou maritimes permettaient de relier des contrées plus éloignées, mais les péniches, paquebots, pétroliers, doivent être plus légers que leau douce ou salée, ce qui implique une réserve dair dans leurs coques. Lénergie nécessaire à déplacer ces engins flottants est moindre: il suffit de vaincre la résistance de leau, du vent et de la houle. Le choix des énergies de propulsion reste large: fossile, nucléaire, solaire (sous forme dénergie éolienne) et même photo-voltaïque pour quelques cas. Les voies aériennes, elles, empruntent lair, un milieu recouvrant toutes les contrées de la planète. Dépourvues dobstacles et de limites, cest la voie royale des transports intercontinentaux. Il suffit de construire des aéroports pour que les aéronefs rejoignent le sol et sy élèvent. Deux types dengins ont été conçus. Avant les avions «plus lourds que lair», les «plus légers que lair»: montgolfières et zeppelins gonflés de gaz légers comme lair chaud, lhydrogène ou lhélium. Les descendants du ballon des frères Montgolfier se déplacent par la force et la direction aléatoires des vents alors que les zeppelins, rejetons de Ferdinand Zeppelin, peuvent êtres dirigés – doù leur nom de «dirigeables» – grâce à leur moteur à essence ou à gaz.
Les inconvénients des zeppelins, gros transporteurs de passagers et de fret dans lentre-deux guerres, sont leur relative lenteur, la prise au vent de leur volumineuse «bouée de flottaison» et lexplosibilité de lhydrogène. Ces tares ont causé deux accidents majeurs qui ont arrêté net le développement si prometteur des dirigeables: lexplosion du «Hindenburg» à New York en 1937 et, en 1960, la destruction au sol, dans le Massachusetts, par une tempête, du plus grand dirigeable au monde (120 m. de long). Aujourdhui, lhélium ininflammable remplace lhydrogène et la précision des prévisions météorologiques permet de déjouer les tempêtes. Mais cest surtout le développement de laviation militaire qui a incité le capitalisme à tirer profit de ces engins en marchandisant le transport aérien.
Des avions trop gourmands
Les avions empruntent le milieu aérien, mais sont plus lourds que lair. Sils volent, cest quà partir dune certaine vitesse, leurs ailes les portent. Cette vitesse, nécessaire à leur sustentation, nécessite une importante quantité dénergie: deux fois plus dénergie pour rester en lair que pour sy déplacer.2 Mais cette énergie ne peut être que des dérivés du pétrole, et cest là que le bât blesse, car le nucléaire – à supposer que cette folie soit envisagée – exigerait des moteurs bien trop lourds. Quant au solaire, qui vient délever un avion expérimental ultra léger à des altitudes jamais atteintes, il ne pourrait faire décoller le moindre avion de passagers.
Les coûts dexploitation dun avion se décomposent grosso modo ainsi 40% pour lamortissement dachat et lassurance de lappareil, 20% pour les frais du personnel naviguant, 15% pour les frais de maintenance et 25% pour le carburant fossile. Bien que le rendement des moteurs nait cessé dêtre amélioré, le moindre renchérissement du plein de kérosène peut clouer les avions au sol (teknea.com/av13pres.htm).
Par contre, pour transporter une même charge, un dirigeable moderne consommerait 60% de moins dénergie quun Boeing 747. Volant à 150 km/h, il serait certes 6 fois moins rapide mais nettement plus écologique, sûr et silencieux. Ainsi les avions civils sont les otages du pétrole. Alors que le passager dun bus interurbain consomme 1 unité dénergie pour parcourir un kilomètre, il en consommerait 2 en bus de ville, 3 en train, 5 en voiture, 7 en avion à réaction et 17 en Concorde.3 Si des milliers davions sillonnent le ciel, transportent une multitude de passagers et des montagnes de marchandises dun point à lautre de la terre, ce nest quen brûlant une ressource non renouvelable, considérée à tort comme abondante, bon marché ou inoffensive pour lenvironnement. Comme ni le prix des ponctions dans les ressources ni celui des effets désastreux de leur combustion ne sont payés par les compagnies aériennes, laffaire semblait hautement profitable pour leurs actionnaires tout en étant précaire pour les salarié·e·s et catastrophique pour lespèce humaine et son environnement.
Chercher des alternatives
La moindre hausse du prix du baril clouera laviation au sol. Comme la pénurie dhydrocarbures à bon marché sapproche à grands pas, laviation traditionnelle est inévitablement condamnée à décliner. Il faudrait donc rechercher sans tarder dautres moyens de transport aériens et planifier à léchelle planétaire la gestion des ressources pétrolières qui restent pour que la voie royale des transports reste à lavenir ouverte aux transports indispensables aux populations. Lacharnement thérapeutique visant à «sauver» les compagnies daviation ne conduira quà limpasse, à dilapider des fonds publics et à retarder davantage encore la recherche de moyens de transport alternatifs.
Si lEtat défendait réellement les intérêts de la majorité des citoyens et du personnel de Swissair, il financerait, non pas des banques et une compagnie daviation privée, mais un «programme dimpulsion» public qui, avec le concours des scientifiques et des salarié-e-s, chercherait et développerait les moyens de transport aériens alternatifs, écologiques et sûrs, comme elle la fait pour promouvoir les économies dénergies ou former les professionnels à la rénovation des bâtiments.
- «Trafic aérien: comment éviter le chaos», La Recherche, avril 1999
- «Le retour des plus légers que lair; Science & Vie, 7.1995. Voir aussi «Les zeppelins du XXIe siècle», Pour la science, mars 2000
- «Énergie, pollution, environnement»; Claude Ronneau, De Boeck, 1993.
Les libéraux et Swissair
La dernière séance du Grand Conseil a vu le vote dune motion initiée par lADG pour une plainte pénale des autorités genevoises contre les organes de Swissair, du Crédit Suisse et de lUBS, cette motion a bien sûr été refusée par les libéraux, au motif quelle était inutile.
Par contre ceux-ci avaient signé une autre motion de la présidente du parlement, élue du PS, invitant les autorités fédérales à tout mettre en oeuvre pour quune compagnie nationale puisse renaître dans les meilleures délais. Le problème cest que cette invite était défendue par M. Halpérin, chef de groupe libéral, pour qui Swissair est une compagnie nationale, dans le sens que vers elle convergent nos pensées, quelle que soit sa forme juridique (sic!) …et par le président du PS, au nom de la prise de pouvoir par lEtat sur un service public essentiel.
Avec les Verts nous avons shooté cette invite ambiguë, ouvrant la voie à un financement à fond perdu et sans contre-partie dune compagnie privée par la collectivité, pour maintenir lexigence dun refus des licenciements massifs et dun engagement des banques dans le sauvetage de Swissair. Commen-taire dépité dHalpérin: Vous avez amputé le seul élément essentiel de cette résolution. Les postes de travail à sauver et les banques à faire rendre gorge, ça nest évidemment la tasse de thé des libéraux… (pv)