États-Unis & guerre: point de vue de Counterpunch
États-Unis & guerre: point de vue de Counterpunch
Counterpunch est lune des revues les plus en vue de la gauche radicale américaine1. Nous nous sommes entretenus avec ses deux éditeurs, Alexander Cockburn et Jeffrey St. Clair, par ailleurs coauteurs de Whiteout. The CIA, Drugs and the Press et The Five Days that Shook the World: Seattle and Beyond2. Leur dernier ouvrage Journalism That rediscovers America est sorti de presse le 16 septembre.
Les Etats-Unis et leurs alliés sont sur le point dattaquer lIrak. Quelles sont les raisons qui les poussent à le faire?
La guerre contre lIrak ne sest jamais véritablement terminée, les médias ont simplement cessé de sy intéresser. Depuis 1990, des avions américains et britanniques bombardent lIrak tous les trois jours. De plus, les sanctions économiques ont paralysé le pays et entraîné la mort de centaines de milliers dinnocents. Certes, on assiste aujourdhui à une recrudescence des discours dénonçant le régime de Saddam Hussein, mais tout ceci na rien de vraiment nouveau. Bush père et Clinton avaient déjà autorisé la CIA à assassiner Saddam, ainsi que dautres leaders irakiens. Beaucoup des protagonistes de lactuelle administration Bush, Dick Cheney et Colin Powell notamment, étaient partie prenante de la première guerre du Golfe.
La résistance du régime irakien est un témoignage de leur échec passé. Pourquoi veulent-ils sen débarrasser? Le pétrole, bien entendu, est une raison. Le problème est que léconomie américaine est si fragile quune guerre durable contre lIrak, suivie dune occupation militaire du pays, pourrait entraîner le pays dans une récession plus profonde encore. Cest une crise économique de ce type, on sen souvient, qui avait empêché la réélection de Bush père. Il y a une réelle lutte au sein de ladministration actuelle, et lissue nen est pas si certaine. Létat de léconomie américaine sera un argument important pour décider de la nature des actions à mener. Y aura-t-il une guerre totale ou seulement des frappes aériennes?
Lopinion américaine accepte-t-elle les arguments de Bush en faveur dune offensive contre lIrak?
La plupart des sondages montrent quune majorité de la population est favorable à un renversement du régime de Saddam Hussein, mais aussi quelle soppose à une guerre totale contre lui. Les Américains préfèrent dhabitude les guerres télécommandées, à base de missiles longue distance et de bombes guidées au laser. Ils sont effrayés par lidée dune guerre sur le terrain, qui entraînerait de lourdes pertes dans leurs rangs. Une fois la guerre commencée, lopinion évoluera inévitablement. Mais le soutien à loffensive militaire est plutôt faible, et saffaiblira encore dans léventualité peu plausible de pertes humaines substantielles du côté américain.
Comment lopinion publique a-t-elle réagi aux événements du 11 septembre? La population est-elle aussi unie quil paraît de lextérieur?
On ne peut parler dune «opinion américaine» en général. Le pays est très hétérogène, et lopinion évolue. Les Américains, comme toute nation dans des circonstances similaires, ont été horrifiés par les événements du 11 septembre, qui ont produit une solidarité entre eux. Dans ce contexte, la réaction de Bush a été perçue favorablement, et carte blanche lui a été donnée pour poursuivre ses attaques contre Al-Qaida et les Talibans. Mais les Américains nentendent pas pour autant se laisser entraîner dans un conflit global plus large, qui comprendrait des attaques contre les Philippines, le Pakistan, lIndonésie, la Palestine et lIrak. De surcroît, de plus en plus dAméricains commencent à se sentir mal à laise concernant lérosion des libertés civiles dans le pays. Un an après le 11 septembre, les débats et les désaccords concernant la politique menée par ladministration Bush se sont indéniablement accrus. La popularité du Président dans les sondages sest aussi considérablement amenuisée.
Les médias sont un allié de taille pour ladministration Bush. Leur pouvoir idéologique a-t-il augmenté depuis le 11 septembre?
Les médias dominants sont évidemment débordants de patriotisme. Il nest toutefois pas difficile de trouver des opinions divergentes, même dans les médias les plus orthodoxes. Le journaliste Phil Donahue, qui officie sur la chaîne MSNBC, a ainsi régulièrement présenté, dans ses émissions, les opinions de celles et ceux qui sopposent à la guerre. Il faut dire également que laccès à Internet étant de plus en plus aisé, chacun peut désormais sinformer librement des idées de ceux qui sont en désaccord avec la politique menée par ladministration Bush.
Suite aux manifestations de Seattle, le mouvement social américain semblait renaître de ses cendres. Quels ont été les effets du 11 septembre sur ce mouvement?
Le mouvement social américain a clairement diminué en intensité. Beaucoup de ses leaders sont en quelque sorte entrés en hibernation après le 11 septembre, cest indiscutable. Mais le mouvement existe toujours. Par exemple, de grandes manifestations se préparent en vue de la réunion du FMI et de la Banque mondiale en octobre prochain à Washington. Tout lenjeu désormais est de faire fusionner le mouvement contre la mondialisation et celui contre la guerre.
Ladministration Bush a profité du 11 septembre pour restreindre drastiquement les libertés civiles. Ces restrictions ont-elles déjà servi à réprimer le mouvement social?
Il est difficile de dire jusquoù ladministration ira dans lapplication de ces restrictions. Elle est déjà revenue delle-même sur certaines dentre elles. Dautres ont été déclarées illégales par différentes cours de justice du pays. La plupart des restrictions sappliquent en fait dans le domaine de limmigration, et permettent aux autorités de détenir des migrant-e-s sans que ceux-ci puissent faire valoir leurs droits. Mais récemment, ladministration a essayé de réprimer une grève du syndicat des dockers en prétextant quelle se rendait complice du terrorisme
Propos recueillis et traduits par Razmig Keucheyan
- La revue peut-être consultée sur le site www.counterpunch.org
- The CIA, Drugs and the Press (Jour blanc. La CIA, les drogues et la presse), Verso, 1999, et The Five Days that Shook the World: Seattle and Beyond (Les cinq jours qui ont ébranlés le monde: Seattle et au-delà) Verso, 2000.