Affaire UBS: Lutte contre la fraude fiscale ou hiérarchisation du système financier international ?

Affaire UBS: Lutte contre la fraude fiscale ou hiérarchisation du système financier international ?

La lutte contre la fraude fiscale
apparaît actuellement au centre des interventions des Etats-Unis,
du G20 et de l’Union européenne. Il s’agit en
réalité d’une réorganisation du
système financier international qui menace la place
financière Suisse.

Le 2 février, la Commission européenne a
présenté deux nouvelles propositions de directives qui
visent à améliorer l’assistance mutuelle entre les
autorités fiscales des États membres. Si ces projets sont
adoptés, ces pays ne seront plus en mesure d’invoquer le
secret bancaire, afin de refuser les demandes de coopération en
matière fiscale. La Suisse serait également
concernée par ces règles internes à l’Union
européenne.

A l’ordre du jour du G20

Le contrôle des marchés financiers est également
à l’ordre du jour du G 20 des plus importants pays,
industrialisés ou émergents, du 2 avril prochain à
Londres. Le premier ministre britannique Gordon Brown, qui
présidera ce sommet, a appelé à « une
action mondiale contre les paradis fiscaux ». Le fait que,
sur 31 paradis fiscaux recensés par l’OCDE, 9 soient des
territoires britanniques et 14 des ex-colonies de la couronne, montre
que la lutte contre la fraude fiscale ne saurait être
l’objectif réel de ce sommet.
    Les choses commencent à se dessiner si
l’on sait que la Suisse, l’une des principales places
financières mondiales, n’est pas invitée. Il
s’agit en fait d’une tentative de réorganisation du
système financier international, dont elle risque de faire les
frais. Les choses sont déjà apparues clairement à
travers l’affaire UBS. L’action de l’administration
étasunienne contre cette banque helvétique est une
utilisation d’une opération contre l’évasion
fiscale de ses nationaux, afin de modifier, à son avantage, les
règles de fonctionnement du système bancaire mondial.

Cafouillages helvétiques

Rappelons que le 18 février, la banque UBS a d’abord
accepté, au mépris du droit helvétique, de livrer
à la justice américaine le nom d’environ 250
clients qu’elle a aidés à échapper au fisc
américain. Elle a aussi accepté de verser 780 millions de
dollars d’amendes. Cette liste, l’administration
américaine aurait pu l’obtenir en respectant la
procédure judiciaire helvétique et l’accord
d’entraide administrative qui lie les deux pays. La Finma,
l’autorité helvétique de surveillance des banques,
a immédiatement couvert cette procédure. Il
s’agissait de court-circuiter la voie judiciaire normale pour
éviter une plainte pénale du Département de
justice américain. Dans le passé, aucune entreprise
n’y a pratiquement survécu.

    Cependant, malgré cela, la justice
américaine est revenue à la charge. Elle exige maintenant
que l’UBS livre au fisc l’identité de quelque
52 000 clients américains titulaires de
« comptes secrets illégaux ». Ces
exigences s’appuient maintenant sur une plainte
déposée par l’administration US devant le tribunal
civil de Miami. Le 20 février, le Tribunal administratif
fédéral de la Suisse a communiqué sa
décision d’interdire  la transmission des
données bancaires des clients UBS aux autorités fiscales
américaines. Cependant, les données des 250 clients
d’UBS ont d’ores et déjà été
transmises.

Que veulent les Etats-Unis ?

L’avocat d’affaires de Washington, George Clarke, pense que
« cette liste de clients était sans doute
déjà connue par le fisc américain ».
L’objectif est donc moins de mettre en œuvre des poursuites
fiscales que d’obliger l’UBS et les autorités de
régulation suisses à violer leur propre
légalité. Il s’agit ainsi d’un
véritable acte de souveraineté internationale, dans la
mesure ou l’administration américaine a la capacité
d’imposer une décision qui viole le cadre légal
dans lequel elle s’inscrit.

    La réponse positive d’UBS, ainsi que sa
légitimation par les autorités de contrôle
helvétiques, placent l’administration américaine
dans une position qui lui permet de formuler de nouvelles exigences, de
nouveau en dehors de toute légalité. La
souveraineté américaine se définit ainsi, non
seulement comme capacité à poser l’exception, mais
surtout à imposer un état d’exception permanent.
    Le fait que l’administration américaine
dispose, à travers le serveur de la société Swift
situé sur le sol des Etats-Unis, de l’ensemble des
informations relatives aux transactions financières
internationales, permet de supposer qu’ils ont
déjà, en grande partie, les coordonnées
exigées de USB sur les 52 000 fraudeurs du fisc
américains. Rappelons également que les autorités
étasuniennes disposent, grâce à Remotegate,
d’une entrée spéciale leur permettant de surveiller
les échanges interbancaires internes à la Suisse.

Le droit du plus fort

Le système de cryptage utilisé par la banque ne pourrait
pas non plus résister aux investigations de la NSA,
l’agence d’espionnage étasunienne étant
particulièrement spécialisée en la matière.
Ce n’est pas, non plus, le langage codé utilisé par
les gérants d’UBS, par exemple :
« orange » pour euro,
« vert » pour dollar,
« cygne » pour un million, qui pourrait
tromper longtemps un enquêteur.

    Dans leurs dernières exigences,
l’essentiel, pour les autorités américaines, est de
faire abandonner à la Suisse ses prérogatives
régaliennes afin de les transférer à
l’administration étasunienne. Cette nouvelle
souveraineté américaine s’inscrit dans une
réorganisation du système financier international qui,
à travers la lutte contre la fraude fiscale, distingue les
« paradis fiscaux », dont la Suisse ferait
partie, des centres « offshore », comme par
exemple les places financières des Caraïbes.

    Entièrement contrôlées par les
autorités étasuniennes, ces dernières pourraient
conserver toutes leurs activités, au détriment de leurs
concurrents mal notés. Les Etats-Unis et leurs satellites des
Caraïbes contrôlent un marché de
l’« argent gris » presque égal
à celui de la Suisse, puisqu’ils viennent en
deuxième position en matière de gestion des
« fortunes transfrontalières ». Suite
à l’offensive étasunienne, la Suisse, qui
détient encore le tiers du marché de
l’épargne mondiale gérée hors du pays de
résidence, pourrait rapidement abandonner le terrain à
son principal concurrent.

Jean-Claude Paye*


* Auteur de La fin de l’Etat de droit, Paris, La Dispute, 2004. Intertitres de notre rédaction.