Femmes migrantes: Précaires parmi les précaires

Femmes migrantes: Précaires parmi les précaires



Le concert d’autosatisfaction
qui nous a été asséné après le vote
du 8 février sur l’extension de l’accord sur la
libre circulation (« maturité »,
« esprit d’ouverture » du peuple
suisse, etc.) est d’autant plus irritant qu’il fait office
d’écran de fumée derrière lequel la
législation migratoire et en matière d’asile
adoptée par ce même peuple suisse lors du vote du 24
septembre 2006 continue à faire des ravages, et va même
encore subir un durcissement selon un projet récemment mis en
consultation par le Conseil fédéral.

Une fois de plus – c’est décidément une
constante dans la politique suisse à l’égard des
étranger·e·s – le Conseil
fédéral propose un durcissement de la Loi sur les
étrangers et de la Loi sur l’asile (qui ne mérite
d’ailleurs plus son nom depuis longtemps…) sous la
pression de l’UDC, en particulier de son initiative populaire
« pour le renvoi des étrangers
criminels ».

    Ainsi, dans le même temps que nos
autorités tenaient un discours d’apparence progressiste
sur « l’ouverture » aux ressortissants
bulgares et roumains, elles préparaient une modification de la
Loi sur l’asile pour endiguer « la forte
augmentation des requérants en provenance de la région
subsaharienne (notamment d’Erythrée, du Nigeria et de
Somalie), du Proche-Orient (notamment d’Irak (1)) et du
Sri Lanka.» (2) Une belle illustration du modèle
«d’immigration choisie» pratiqué par la
Suisse, à l’instar des autres pays européens…

Circulez, y’a rien à voir…

Du côté des forces politiques traditionnellement
attachées à la défense des droits des
migrant·e·s, on ne peut que regretter de ne pas les avoir
entendues davantage, au cours de la campagne sur l’extension des
bilatérales, rappeler que la «liberté de
circulation» tant vantée était niée à
certaines catégories de migrant·e·s, notamment les
travailleurs-euses sans statut légal, qui ne peuvent se rendre
dans leur pays de crainte de ne pouvoir ensuite revenir en Suisse.(3)
Il est vrai que cette catégorie de migrant·e·s,
même si elle représente, selon certaines estimations,
entre 200 000 et 300 000 personnes en Suisse, et
qu’elle contribue activement à la vie économique du
pays, reste très largement
« invisible » et sans représentation
politique (ou si peu).

    Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les
entraves à la liberté de mouvement (4) des femmes
migrantes, avec ou sans papiers. Si l’on inclut dans la
liberté de mouvement, comme il semble légitime de le
faire, celle de se séparer d’un conjoint violent, il faut
constater que la législation helvétique, loin de
favoriser ce droit élémentaire, accumule au contraire les
obstacles pour les femmes migrantes victimes de violences conjugales.

Rester avec un conjoint violent ou perdre son permis

En matière de regroupement familial, la loi instaure en effet un
lien entre le droit au permis et le statut matrimonial, et fait de la
vie commune des conjoints une condition à l’octroi et
à la prolongation de l’autorisation de séjour du
conjoint étranger.(5)

    Si l’article 50 de la LEtr prend en
considération les situations de violences conjugales, il exige
cependant de la femme (6) qui voudrait obtenir la prolongation
de son permis, malgré la fin de la vie commune, qu’elle
prouve que sa « réintégration sociale dans
son pays de provenance semble fortement compromise »
(sic). Autant dire que cette disposition laisse une totale
liberté d’appréciation aux autorités de
police des étrangers, et que les femmes risquent bien de devoir
« choisir » de rester auprès
d’un mari violent de peur de perdre leur permis si elles se
séparent.

Les femmes migrantes, premières victimes de l’insécurité d’Etat

Précaires parmi les précaires, les migrantes sans statut
légal, majoritairement actives dans ce qu’il est convenu
d’appeler l’économie domestique
(c’est-à-dire les ménages privés), et dont
le travail vient bien souvent palier les carences des services sociaux
(en matière de garde d’enfants, de prise en charge des
personnes âgées ou malades, etc.), sont exposées
à toutes les
« insécurités » : dans
les rapports de travail (7), dans le domaine social (nombreuses
sont celles qui renoncent à consulter en cas de maladie, faute
de couverture d’assurance, ou qui n’osent pas se faire
hospitaliser par peur d’être dénoncées et
renvoyées), face aux autorités (peur de sortir ou de
fréquenter certains lieux de crainte de faire l’objet
d’un contrôle de police), mais aussi face à la
violence « de genre » à laquelle elles
peuvent, comme toutes les femmes, être exposées… y
compris de la part de leur mari/compagnon/compatriote. On le voit, la
solidarité avec les femmes migrantes implique de se confronter
à une pluralité de contradictions, et met en échec
toute vision simplificatrice de la réalité.

    Il n’en reste pas moins que pour combattre la
précarisation et l’insécurité auxquelles
sont exposées les femmes migrantes, deux revendications sont
essentielles : celle de la régularisation des
migrant·e·s sans statut légal qui vivent et
travaillent en Suisse, et celle de la dissociation entre le statut
matrimonial et le permis de séjour.

Anne-Marie Barone


1    … tiens donc, on se demande pourquoi !
2    Rapport du DFJP relatif à la modification de la LAsi et de la LEtr
3    Voir à ce sujet le beau documentaire
réalisé par le Centre de contact Suisses-immigrés
intitulé Un train qui arrive est aussi un train qui part
4    Expression qui devrait être utilisée
pour les êtres humains, la « liberté de
circulation » s’appliquant aux marchandises, comme
l’a très justement fait remarquer Marie-Claire
Caloz-Tschopp lors d’une récente conférence
5    « Etranger » au sens de
la LEtr, bien sûr, ce qui n’inclut pas les ressortissants
de l’Union européenne…
6    Cela est également valable, formellement,  pour le conjoint (homme) étranger
7    A noter que le plus souvent, l’employeur est
une employeuse, ce qui ne change rien aux rapports d’exploitation