Nouvelles de l’âge glaciaire lausannois

Nouvelles de l’âge glaciaire lausannois

On ne sait plus très bien si cela s’appelait le Red Bull
Crashed Ice Lausanne ou encore le Ice Cross Downhill et peu
importe : il s’agissait surtout pour la firme produisant
cette boisson énergisante à base de sucre, de
caféine et de taurine (aux effets douteux dans tous les sens du
terme) de se faire un coup de pub majeur. La Municipalité de
Lausanne avait accepté le projet, assurant la mise à
disposition gratuite de l’espace public pour cette
opération de marketing. Une piste de glace de 400 m de long
et 5 m de large fut donc installée, reliant la place du
Château à celle de la Riponne. 180 km de tuyaux pour
réfrigérer 200 000 litres d’eau, la consommation en
énergie de 16 ménages durant un an, des travaux de nuit
et bruyants durant près de deux semaines : pas de doute
on était en plein développement durable à la sauce
Brélaz.
    La quasi-unanimité du Conseil communal
lausannois critiqua avec virulence cette manifestation appelée
« ére glaciaire au bord du Lac
Léman » par le site de la Ville. La droite
témoigna d’une conscience écologiste aussi
féroce que récente et faillit même verser dans
l’anticapitalisme, lorsqu’elle condamna le mercantilisme de
la manifestation. Même les critiques justifiées d’A
Gauche toute ! n’ébranlèrent pas le municipal
chargé de défendre l’opération, le popiste
Marc Vuilleumier, chargé des Sports. Courageux, mais pas
téméraire, le PS lausannois s’en remit pour sa part
au jugement du public.
    Les jeux du cirque attiraient la foule à
Rome. La performance des
« descendeurs-patineurs » sur leur toboggan
de glace aussi. Sûrement pas les 40’000 personnes
annoncées triomphalement par l’organisateur, mais
au-delà des 20’000 prévues. A tel point que la
légèreté du dispositif de sécurité
encadrant cette foule donna rétrospectivement des sueurs
froides. On a effet connu une police lausannoise autrement plus
pointilleuse lors de manifestations différentes, politiques par
exemple. Qui il est vrai, ne célébraient pas les noces
sacrées du fric et du « sport ».
    Faut-il conclure de ce « succès
populaire » que l’opposition politique à
cette manifestation était erronée et que selon le vieil
adage : « vox populi, vox dei » ?
Nullement. L’ex-Paris-Dakar était et reste une
ânerie à tous points de vue, succès populaire ou
pas. Il en va de même du Crashed Ice du limonadier autrichien,
« honoré » ou non de la
présence du champion Stéphane Lambiel. Car ce qui est
fondamentalement critiquable dans ce cas, c’est trois choses.
D’abord la promotion d’une forme d’amusement des
foules reproduisant les vieux poncifs du néolibéralisme
(la compétition virile, l’élimination des autres
par la force, etc.); ensuite la légitimation, sur le plan de
l’utilisation des ressources, d’une attitude
irresponsable : si c’est
« fun », si ça fait
« bouger Lausanne », tout est permis; enfin
une conception des loisirs et des divertissements à mille lieues
de tout projet émancipateur – donc critique à
l’égard de la marchandisation du temps libre – et
susceptible d’amener les hommes et les femmes à construire
eux-mêmes
leur avenir. Une conception qui s’appelle
l’éducation populaire. Pas vraiment la tasse de thé
de la Municipalité rose-verte.

Daniel Süri