Elections européennes : La droite domine une Europe impopulaire

Elections européennes : La droite domine une Europe impopulaire

Avec un sens tout britannique de la litote, le Financial Times du lundi
8 juin évoquait « l’embarras »
dans lequel l’Union européenne se trouvait du fait de
l’abstention croissante aux élections européennes.
Alors que 61,9 % des électeurs et électrices se
déplaçaient en 1979, ce taux n’est plus que de
43 % trente ans plus tard. Un cheminement de prime abord
paradoxal, puisque les pouvoirs du Parlement européen se sont
peu à peu renforcés.

    Mais le paradoxe n’est qu’apparent. Si
la désillusion est grande, cela provient bien sûr de ce
que les débats du Parlement européen apparaissent opaques
et les votes prédéfinis par le consensus entre la droite
du Parti populaire européen (PPE) et les
sociaux-démocrates du Parti socialiste européen (PSE).
Mais c’est surtout que la construction de l’Europe,
imposée d’en haut, n’a rien de démocratique.
Il suffit d’évoquer les mascarades des votes du
Traité de Maastricht (avec le rejet danois en
référendum populaire tenu pour nul et non avenu), de
celui de Lisbonne — reprenant l’essentiel de la
Constitution européenne rejetée en France et aux Pays-Bas
en 2005 — sur lequel on s’apprête à faire
revoter les Irlandais.

    Cette construction renvoie à
l’autoritarisme propre aux politiques bourgeoises, mais aussi et
surtout à
l’hétérogénéité
économique et politique des acteurs de ce qui est surtout un
marché unique. L’Europe ne s’est pas construite
comme des Etats-Unis d’Europe, mais comme un espace
économique unifié servant de marchepied vers la
mondialisation aux transnationales et à leurs réseaux de
sous-traitance.

    C’est dans ce cadre que se manifeste le
renforcement de la droite regroupée dans le PPE, qui devrait
disposer de plus de 267 sièges 736, soit un peu plus de
35,7 %. Parler de vague bleue, couleur des conservateurs, est
toutefois inapproprié : même dans un pays comme la
France, où la victoire de l’UMP de Sarkozy est
incontestable, elle se fait dans le contexte d’une droite
affaiblie, qui ne rassemble que 39,5 % des suffrages (dix points
de moins qu’en 2004) et d’un Modem (François Bayrou)
à la dérive. En Italie, Berlusconi l’emporte, sans
atteindre son objectif déclaré de 40 % et ne
récolte que 35 % des suffrages. En Allemagne, la CDU
d’Angela Merkel a certes gagné, mais en reculant, tout en
perdant pied dans plusieurs élections municipales. En
Grande-Bretagne, la défaite du New Labour de Gordon Brown est
historique. Mais les conservateurs britanniques envisagent de quitter
le PPE, pour former un nouveau groupe avec les Tchèques de
l’ODS (droite libérale). En fait, en terme de suffrages,
le PPE est stable, voire en léger recul.
    Placés plutôt au centre, les
libéraux-démocrates régressent, alors que les
Verts progressent, en particulier en France, où leur campagne,
menée par Daniel Cohn-Bendit, visait explicitement
l’électorat de François Bayrou, avec son
positionnement « ni gauche, ni droite » et
son europhilie prononcée.

    Si l’illusion de la vague bleue existe,
c’est qu’il y a un gros creux : celui de la
social-démocratie, qui a vécu « une triste
soirée » pour reprendre l’euphémisme
du président du groupe socialiste européen, Martin
Schulz. Laminée en Grande-Bretagne, talonnée par les
Verts en France, passant au deuxième rang en Espagne, KO debout
en Autriche, en déroute au Portugal, elle se fait durement
secouer dans les pays du centre et de l’Est de l’Europe.
Sans que cela change sa position de deuxième force du Parlement,
le Parti des socialistes européens (PSE) devrait perdre plus
d’une cinquantaine de député-e-s et n’en
rassembler plus que 161 (soit 21,9 % des suffrages, selon les
résultats provisoires). L’engluement dans le soutien aux
politiques néolibérales est payé au prix fort.

Si l’illusion de la vague bleue existe, c’est qu’il y
a un gros creux : celui de la social-démocratie
    Pourtant, l’effondrement de la
« gauche molle » n’a pas
systématiquement profité à la gauche radicale. Au
Portugal, le rejet du PSP du premier ministre José Socrates, a
permis au Bloc de gauche de passer de 4,9 à 10,5 % des
suffrages et de remporter 3 sièges. En France, le NPA
d’Olivier Besançenot a obtenu un résultat
inférieur aux sondages, avec 4,9 % des suffrages,
dépassant partout la barre des 5 %, sauf en
Île-de-France et dans le Sud-Est. Il représente tout de
même le double de celui recueilli aux dernières
européennes, où la LCR présentait une liste
commune avec Lutte ouvrière. Le Front de Gauche se place juste
devant, avec 6,1 % des suffrages et 4 élus. Le NPA a
incontestablement souffert du taux d’abstention
particulièrement élevé de son électorat. Le
Front de Gauche en revanche a bénéficié de son
image « unitaire », captant à gauche
les voix de celles et ceux qui, face à la droite et la crise
économique, donnent la priorité à
l’unité, reléguant au second rang les
clarifications politiques nécessaires.

    L’inquiétude vient de ce qui se passe
à l’autre bout de l’échiquier politique. A
l’extrême droite, un conglomérat
hétéroclite de nationalistes, de xénophobes et de
mouvements fascisants devrait détenir une centaine de
sièges au Parlement. Autriche, Finlande, Hongrie,
Grande-Bretagne, Roumanie, Pays-Bas, Danemark, Italie, Lituanie :
les exhalaisons fétides se sont répandues partout.
Incapable d’avancer une politique cohérente,
l’extrême droite martèlera sa haine, aubaine
bienvenue dans l’Europe forteresse des Berlusconi, Merkel et
Sarkozy. A combattre de toute urgence et sans répit. 

Daniel Süri