Bâtiment: un dumping salarial sans vergogne

Bâtiment: un dumping salarial sans vergogne



Avec la sous-traitance, les grandes
entreprises de la construction ont trouvé un moyen idéal
pour contourner les droits conquis par les travailleurs du
bâtiment au cours de nombreuses mobilisations et inscrits dans la
Convention collective nationale (CCNT).

Le phénomène de la sous-traitance a explosé ces
dernières années dans le canton. En particulier dans les
secteurs du ferraillage (la pose des éléments
métallique d’une construction en béton armé)
et du coffrage (coulage et moulage du béton) : dans les
années 90, 6 entreprises de ferraillage et de coffrage ont
été créées, contre 48 entre 2000 et
2008 ! Si les entreprises du gros œuvre ont ainsi
massivement externalisé ces tâches, c’est
qu’au final, les entrepreneurs y trouvent leur compte. En effet,
en mettant les petites entreprises sous-traitantes en concurrence les
unes avec les autres, elles poussent à une baisse
effrénée des prix, qui au final se répercute sur
les salaires. Ainsi, selon Pietro Carobbio, responsable du secteur de
la construction à Unia Vaud, « un travailleur
qualifié, qui se donne à fond et risque de se casser le
dos, pose au maximum 1 tonne de fers à béton en une
journée. Cela représente – sur la base du salaire
minimum de la Convention nationale qui est de 23,35 CHF net de
l’heure – 230 francs de salaire par jour, sans compter les
charges sociales, ni les coûts de l’entreprise. Or,
aujourd’hui, les contrats de sous-traitance se négocient
entre 220 et 280 francs la tonne, contre 600 à 800 dans les
années 90. » (Evénement syndical,10 juin
2009). Conséquence de cette sous-enchère : les
travailleurs ne touchent souvent pas plus de 16 francs l’heure,
voire 13 francs pour certains ouvriers travaillant à la
journée, soit 50 % du salaire minimum
conventionnel ! Pire encore, certains patrons
d’entreprises sous-traitantes se mettent sciemment en faillite
pour éviter de payer les salaires, et ouvrent à nouveau,
quelques jours après, sous une autre raison sociale… Ce
genre de manœuvres patronales se multiplient d’autant plus
souvent que beaucoup de travailleurs engagés sont des
sans-papiers, venus notamment des Balkans, qui craignent
d’être expulsés s’ils dénoncent les
pratiques de leur employeur. Cela explique aussi pourquoi 60 %
des travailleurs de ces secteurs ne sont pas déclarés aux
assurances sociales, ce qui peut conduire à des situations
catastrophiques pour eux et leur famille en cas d’accidents de
travail, qui sont malheureusement fréquents dans la profession.

Agir ensemble contre le dumping salarial

Les intérêts de petits employeurs sous-traitants,
réussissant à contourner les dispositions obligatoires
des CCNT, et ceux des grandes entreprises du gros œuvre ne se
recoupent pas toujours. La CCNT a, dans la construction, la fonction de
fixer des règles communes pour éviter de trop fortes
distorsions de concurrence. C’est la raison pour laquelle, suite
à une initiative législative déposée au
Grand Conseil par le groupe A Gauche Toute !, il a
été possible d’obtenir une majorité pour
fixer dans la loi cantonale sur l’adjudication des marchés
publics le principe que le soumissionnaire ainsi que toute entreprise
sous-traitante sont solidairement responsables en cas de non respect
des règles fixées par des conventions collectives, mesure
indispensable pour permettre aux salariés des petites
entreprises de sous-traitance qui
« disparaissent » rapidement (les faillites
se multipliant…) de pouvoir agir à l’encontre des
grandes entreprises de la construction pour réclamer leur
dû devant les tribunaux.
    Mais cette mesure n’est pas la panacée,
notamment parce qu’elle est limitée aux marchés
publics. Mettre un terme au dumping salarial passe avant tout par le
renforcement de l’organisation collective des ouvriers, y compris
sans-papiers. Un travailleur isolé, sans-papiers de
surcroît, n’a aucune chance contre son employeur. Mais
l’action collective des ouvriers sur les chantiers, avec
l’appui de leur syndicat, peut contraindre les employeurs
à respecter les règles conventionnelles et les
empêcher de profiter de l’externalisation de tâches.
De plus les pouvoirs publics doivent exiger qu’en cas de faillite
d’une entreprise sous-traitante, ce soient les entreprises
donneuses d’ordre qui paient les salaires et les charges sociales.


Hadrien Buclin