« Persepolis »: à la découverte de l’Iran et de ses luttes

« Persepolis »: à la découverte de l’Iran et de ses luttes



Le 7 décembre dernier, les
universitaires iraniens manifestaient leur opposition au régime,
à l’occasion de la journée nationale des
étudiant-e-s. Cette date est célébrée
chaque année en commémoration de la mort de trois jeunes
gens lors d’affrontements avec la police du Chah. Ces
événements remontent à 1953, quelques mois
après le coup d’Etat ourdi par les Etats-Unis et
l’Angleterre, qui avait destitué le leader nationaliste de
gauche Mohammad Mossadegh. Il y a 56 ans, les étudiant-e-s
protestaient contre le voyage de Richard Nixon, Vice-président
des Etats-Unis, en Iran; aujourd’hui, ils manifestent contre le
régime ultra-conservateur de Mahmoud Ahmadinejad. Toujours la
lutte contre l’oppression! C’est à cette enseigne
que l’on peut lire la bande dessinée en quatre volumes de
la jeune iranienne et française Marjane Satrapi,
« Persepolis ». Retour sur un succès
de librairie.

«Déjà à
l’âge de six ans, j’étais sûre
d’être la dernière des prophètes […].
Je voulais être prophète car notre bonne ne mangeait pas
avec nous à table, car mon père avait une Cadillac et
surtout parce que ma grand-mère avait toujours mal au genou

C’est ainsi que Marjane Satrapi entame le premier volume de
Persepolis, une narration simple, soutenue par un dessin sobre en noir
et blanc et par des éclats d’humour qui entraînent
le lecteur·trice dans l’univers d’une petite fille
qui grandit. Célébrée parfois comme un
« choix en faveur des valeurs occidentales »
ou comme un « hymne à la liberté des femmes
dans les pays musulmans », l’œuvre de Marjane
Satrapi s’avère bien plus complexe.

Lutter en Iran et ailleurs

C’est tout d’abord à une découverte de
l’Iran que l’auteure nous invite en prenant prétexte
de sa propre histoire. Un pays qu’elle aime et qu’elle
entend rendre accessible à un public occidental trop enclin
à ne voir dans cette partie du monde que fanatisme et
terrorisme. A la lecture de sa bande dessinée, cette
volonté de mise au point apparaît presque
immédiatement. Ainsi, dresse-t-elle un tableau sans concessions
de la dictature du Chah et de la répression des
oppo­sant·e·s. Sa famille communiste, issue pourtant
de la bourgeoisie iranienne, mais aussi les amis de ses parents en
offrent déjà quelques exemples de choix. Elle donne ainsi
un cadre pour comprendre la révolution iranienne et surtout sa
légitimité : « Je
suis tellement contente – fait-elle dire à sa
grand-mère dans le volume 1 – que ce soit enfin la
révolution, parce que le Chah…
 ».
    Marjane Satrapi produit en outre une série de
comparaisons qui ne laissent pas d’étonner celles et ceux
qui n’ont pour première approche de cette œuvre que
les comptes-rendus de la presse occidentale :
« Puis j’ai étudié l’histoire de
la Commune [la Commune de Paris de 1871, S.P.] –
écrit-elle dans le troisième volume –
j’en ai déduit que la droite française de cette
époque valait bien les intégristes de mon
pays ». Jouant sur la naïveté de
l’enfant ou de l’adolescente, Marjane Satrapi
réussit à rapprocher les expériences historiques
de l’oppression, de la répression et des mouvements de
lutte pour l’émancipation de plusieurs époques et
continents. Ne faisant pas de l’Iran un ailleurs, mais bien un
ici de la lutte.

La double absence

Lorsque Marjane Satrapi entame l’écriture de Persepolis en
2000, elle a alors trente-et-un ans ; elle a quitté l’Iran
pour la deuxième fois en 1994, dans l’intention de ne plus
y revenir. Son inspiration, elle la doit en grande partie à
cette « double absence » – de son lieu
d’origine, mais aussi de son lieu de destination – qui
frappe toute expérience migratoire. Aussi, le volume 3 de
Persepolis, où elle relate son premier exil en Autriche, alors
qu’elle n’est âgée que d’une quinzaine
d’années, est particulièrement intéressant.
Se trouvant seule dans une société le plus souvent
hostile, elle cherche à s’échapper par tous les
moyens ; la consommation de drogue fait notamment partie de cette
expérience traumatisante.

    Trouvant trop pénible l’absence de ses
parents, mais aussi l’éloignement de son pays en guerre,
elle tente de s’inventer des liens avec la société
iranienne en reconstruisant minutieusement chacune des étapes de
sa vie au pays. Mais ce troisième volume n’éclaire
pas seulement l’épreuve de la migration ; il est aussi
l’occasion de tenter de questionner, si ce n’est de mettre
en cause, les valeurs prétendument démocratiques sur
lesquelles reposent les sociétés européennes. Une
distance critique et humoristique bienvenue, il faut bien
l’avouer, particulièrement aujourd’hui.

Un hymne à l’émancipation des femmes… et à celle de tous les opprimés

Dans les comptes-rendus consacrés à Persepolis, la
focalisation exclusive sur la condition des femmes dans l’Iran
des mollahs a occulté l’un des messages sans doute les
plus importants de cette œuvre. En effet, Marjane Satrapi
dénonce la condition faite aux femmes en la liant
étroitement à la répression de toute forme
d’opposition ou de résistance aux différents
régimes réactionnaires qu’a connus le pays. Elle
montre également comment les femmes iraniennes ont pu (et
peuvent encore) ruser avec les prescriptions qui leur sont faites.

    Loin de dessiner une société
figée et monolithique, l’auteure dévoile les
failles d’un système agissant sur un pays jeune qui voit
aussi chaque année augmenter le nombre de femmes dans les cursus
universitaires. Une société où couve la
révolte dans laquelle les femmes, avec ou sans voiles, ont un
rôle cardinal à jouer.

Stéfanie Prezioso