Nouvelle croisade contre l’avortement en Suisse…
Nouvelle croisade contre lavortement en Suisse
Fin janvier un comité
chapeauté par la PDC soleuroise Elvira Bader, lUDC
schwytzois Peter Föhn et la co-présidente du Parti
évangélique genevois, Valérie Kasteler-Budde, a
lancé une initiative populaire fédérale
intitulée : « Financer lavortement
est une affaire privée ». Pour la combattre
efficacement, il nous faut défendre un élargissement du
droit à lavortement et à la contraception, mais
aussi une assurance maladie plus solidaire.
Les initiant·e·s veulent faire inscrire dans la
Constitution fédérale que, « sous
réserve de rares exceptions concernant la mère,
linterruption de grossesse et la réduction embryonnaire
ne sont pas couvertes par lassurance obligatoire ».
Leur proposition viserait quatre objectifs : renforcer
« la liberté de lindividu »,
décharger lassurance-maladie obligatoire de
« prestations discutables », renforcer les
« droits des parents » et faire baisser les
primes maladie.
Elvira Bader et Peter Föhn nen sont pas
à leur premier coup dessai. Le 10 juin 2009, ce tandem
avait déposé une motion au Conseil National demandant que
lassurance de base cesse de prendre en charge lIVG et
« la pilule du lendemain ». Même pour
le Conseil fédéral, ladoption de cette motion nous
aurait ramené à la situation davant la
dépénalisation de lavortement : elle a
heureusement été balayée par 104 voix contre 37.
Bousculer lagenda de la droite traditionnelle
Le comité dinitiative est co-présidé par la
soleuroise Elvira Bader (PDC) et la genevoise Valérie
Kasteler-Budde (PEV). Il compte une dizaine de membres de lUDC,
dont linévitable Oskar Freysinger, quatre du PDC et trois
du PEV. Pourtant, le PDC et lextrême droite sont
divisés. Des élu·e·s PDC auraient
souhaité que leur parti soit consulté au
préalable : pour Reto Wehrli (PDC, Schwytz),
linitiative conduirait à une inégalité
entre les femmes qui peuvent se payer une IVG et celles qui nen
ont pas les moyens. Pour Jürg Stahl (UDC, Zurich), ce projet
mélange coût et éthique; des femmes UDC se
désolidarisent
En 2008, il ny a eu que 10 800
interruptions de grossesse en Suisse, ce qui correspond à 69
femmes en âge de procréer sur 1000 (un taux
inférieur à celui des pays voisins). Mais en mettant en
cause le droit à lavortement (0,02 % des
coûts de la santé !), lextrême droite
sefforce de relooker le vieux cheval de bataille de ses
initiatives « Oui à la vie » et
« Pour la mère et lenfant ».
Comme pour linterdiction des minarets, elle entend bousculer
lagenda politique de la droite traditionnelle.
« Linterruption de grossesse
nest pas une maladie », nous assène-t-on.
Mais le droit à une IVG dans de bonnes conditions fait partie
des droits à la santé sexuelle et reproductive reconnus
par le Conseils des Droits de lHomme de lONU. Vouloir
radier lIVG de la liste des prestations des caisses est une
attaque de plus au principe de solidarité,
déjà bien mal défendu par la LAMal. Selon ces
milieux bien sûr, les femmes nont quà
prévoir une grossesse non désirée et conclure une
assurance complémentaire.
LIVG est un droit
Nous estimons que le droit de contrôler sa
fécondité et, le cas échéant, de pratiquer
une IVG dans de bonnes conditions, ne saurait être remis en
cause. Ceci dautant plus quune large majorité du
corps électoral (72,2 %) sest prononcée en
2002 en faveur dune solution des délais, il est vrai
relativement timide (12 semaines daménorrhée au
lieu de 14 en France).
Nous revendiquons au contraire que lIVG soit
accessible à toutes les femmes, en particulier mineures,
chômeuses, démunies, migrantes, sans statut légal,
etc. En amont, linformation sur les moyens contraceptifs
pourrait aussi être améliorée, notamment en
direction des femmes immigrées (50 % des IVG en Suisse).
La contraception devrait aussi être remboursée
intégralement par lassurance maladie (solidairement par
les femmes et les hommes) et mise gratuitement à disposition des
femmes non assurées.
Certes, les femmes libérales-radicales ont rejeté cette
initiative. Selon leur présidente, Jacqueline de Quattro, il
serait erroné de « raviver de vieux
démons » sous prétexte dune
réduction des coûts. Le Courrier, La Tribune de
Genève, Le Temps et LHebdo lont aussi
dénoncée. Maria Roth-Bernasconi (PS, Genève)
dénonce enfin « les fondamentalistes [qui]
attaquent un droit fondamental » et veulent que les femmes
de condition modeste passent à la caisse
Passons à loffensive !
Aujourdhui, le droit à lavortement a certainement
toujours le soutien dune large majorité de
lopinion publique, même si des sites internet exposent ad
nauseam « les souffrances du ftus victime
dune IVG », et que des femmes membres du
comité déclarent quun avortement est pire
quun viol… Mais cela ne garantit pas
léchec de cette initiative en votation populaire. En
effet, le thème de la « responsabilité
individuelle » en matière de santé a
été constamment mis en avant par les milieux dominants
afin de reporter une part croissante des coûts sur les
usager·e·s.
Dans tous les cas, il faut prendre au sérieux
les forces qui alimentent cette nouvelle croisade et les ressorts
politiques sur lesquels elles sappuient. Toujours à
laffût dune occasion pour attaquer le droit
à lavortement conquis par 40 ans de lutte, elles fondent
leur campagne sur la mise en cause des mécanismes de
solidarité élémentaires de lassurance
maladie. Cette initiative scelle ainsi lalliance entre
ultra-conservateurs et néolibéraux de choc.
Nous devons évidemment lui opposer une
mobilisation pour la défense du droit des femmes à
disposer de leur propre corps. En même temps, il nous faut
appeler à lextension du droit à lavortement
et à la contraception, en partant des problèmes actuels
rencontrés par les femmes, en particulier les plus
défavorisées. Enfin, ces batailles sont
inséparables dune lutte de longue haleine pour le
développement dune assurance maladie véritablement
solidaire.
J. Batou, H. Buclin, A. Nahory, A. Spillmann-Andreadi, M.-E. Tejedor, P. Vanek