Amiante et néolibéralisme: lutter à mort, pour la vie
Amiante et néolibéralisme: lutter à mort, pour la vie
La vie humaine, menacée par les guerres, la violence, la misère, la souffrance au travail, la pollution de lenvironnement, la privation des moyens dexistence, lexposition aux substances toxiques
était au cur des débats du Forum social européen à Florence.
Dans la plupart des séminaires, conférences et ateliers que nous avons suivis, la défense de la vie était directement ou indirectement présente. Michel Warschawsky, par exemple, en parlant de la Palestine, disait que face à la banalisation de la mort, intrinsèque aux fascismes Viva la muerte et à la mondialisation néo-libérale, la réponse devait être: Nos vies avant leurs profits ! Quant à Riccardo Petrella, il concluait son exposé par cinq propositions dont le refus daccepter que la vie soit monnayable, vendable et jetable au gré des aléas du marché: La vie nest pas une marchandise!. Enfin cest sur 6 kilomètres de rues de Florence quentre 700000 et un million de manifestants ont exprimé le mieux leur volonté de protéger la vie de tous, quitte à appeler à une grève générale si la guerre contre le peuple irakien était déclenchée.
La défense résolue de la vie, le refus obstiné de linvalidité, de la maladie, de la souffrance et de la mort provoquée par la guerre et le travail imposés ou refusé, concerne lhumanité tout entière. Pourtant celle-ci est divisée entre une minorité qui défend sa propre santé au détriment de celle des autres et ceux qui comme nous, ne concevons davenir que dans lépanouissement de la vie de lensemble des êtres humains.
Ce projet de vie, ce refus des risques professionnels, des expositions aux toxiques et de toute soumission à la fatalité des champs de bataille et de travail, sinscrit aussi dans la formule «Un autre monde est possible». La formule restrictive du FSE «Une autre Europe est possible» pouvant conduire au dérapage Européo-centristes dune Europe saine et florissante dans un monde malade et misérable, Annick Coupé préférait à juste titre lexpression : «Une autre Europe est possible dans un autre Monde».
Le sujet social au Forum
Ce projet de vie est porté par tous les exploités et les opprimés, organisés dans les «mouvements sociaux», les organisations de travailleurs, et nombre de des syndicats et de partis révolutionnaires. Le fait que le Forum ait réuni essentiellement des jeunes autant de femmes que dhommes ne signifie pas que la «vieille» classe ouvrière traditionnelle y fut absente: on a constaté que dune part, elle rejoignait progressivement les mouvements sociaux et que dautre part, le mouvement social constituait une composante du prolétariat.
Les jeunes participants aux forums nationaux, continentaux et mondiaux sont de fait les victimes du nouveau mode dexploitation capitaliste dans sa phase néo-libérale. Pour cette génération, lexploitation se traduit par la privation demplois un tant soit peu stables, rémunérés et gratifiants. Ces jeunes sont les premières victimes de lexclusion professionnelle, de la non reconnaissance des compétences, de la précarisation des conditions de travail et des rétributions arbitraires. Ils ne constituent donc pas une «multitude» socialement et politiquement informe, mais un pan du prolétariat qui prend maintenant la tête des mobilisations densemble des exploités et opprimés de la Planète. Comme le disait Annick Coupé, le mouvement antimondialisation ne sest pas développé «contre» mais «à côté» des syndicats, des mouvements des femmes, des immigrés et de tous les «sans»: sans emploi, sans abri, sans papiers, sans formation, sans droits, sans avenir. Christophe Aguiton montrait la dynamique de ce «mouvement des mouvements»: «Le défi de Florence était de lier la nouvelle génération dactivistes née à Porto Alegre avec les organisations traditionnelles européennes, comme les syndicats. Il me semble que nous sommes en train de réussir ce projet». En effet, la présence massive des COBAS, de la CGIL et la participation applaudie à tout rompre des travailleurs de FIAT , confirme que le rapprochement entre mouvement ouvrier traditionnel et mouvement antiglobalisation suit la dynamique dune recomposition de lunité de la classe ouvrière.
Défendre la santé au travail
Lastreinte au travail ou la privation de travail constitue un des facteurs de dégradation de la santé du prolétariat, soit des hommes et des femmes forcés de vendre leur force de travail pour survivre. Dans le monde, le travail est la cause de plus de 5000 morts par jour (OIT, Congrès de Vienne 2002) : un «11 septembre» chaque jour! Mais lespérance de vie longue et en bonne santé est menacée par de nombreuses autres contraintes qui affectent aussi les non salariés telles que le manque deau, délectricité, de logement ou daliments dont la plupart découlent de la privation de revenus, soit demploi.
Au FSE, la défense de la santé au travail était abordée lors de plusieurs séminaires sous laspect de la privatisation et du démantèlement des services publics sanitaires, de la déréglementation, de la marchandisation des soins et des médicaments. Cette question a été traitée de façon plus pratique dans latelier «Droit à la santé sur les lieux de travail et le territoire» qui sest prolongé par le thème «Amiante: une urgence sanitaire et environnementale». Ces deux ateliers ont réuni une trentaine de participants, tous engagés professionnellement ou syndicalement dans la défense de la santé au travail. Nous étions trois syndicalistes suisses du SIB et du SSPVPOD, membres du Comité daide aux victimes de lamiante CAOVA à participer à cet atelier et y défendre le projet dune campagne mondiale pour linterdiction de lamiante et lindemnisation de toutes ses victimes.
Les jeunes, majoritaires dans le FSE, étaient peu présents sur les questions de santé au travail. Cela sexplique par le fait quils nont, pour la plupart, pas encore subi ou souffert des ravages de lintensification du travail, quils ne perçoivent pas encore que le chômage, les bas salaires, le travail précaire, sont dangereux et quil est possible de sy opposer. Comme dirait Fulvio Aurora, lun des animateurs de cet atelier : «Il faut leur transmettre la mémoire historique de la défense des droits au travail, au salaire et à la santé».
Une campagne mondiale contre lamiante!
Le choix de lamiante comme thème de campagne mondiale a été proposé pour plusieurs raisons:
1. Lamiante comme objectif de mobilisation
Parmi tous les toxiques et cancérogènes qui menacent les travailleurs et la population, lamiante en est:
- le plus ancien : exploité depuis un siècle à plusieurs décennies selon les pays,
- le plus utilisé : présent dans des centaines de produits de consommation courante,
- le mieux connu : ses méfaits sont prouvés et dénoncés depuis un siècle pour lasbestose et depuis un demi-siècle pour les cancers liés à lamiante,
- et le plus meurtrier: 100000 morts par an selon lOIT.
Pour lancer une campagne mondiale contre la dégradation de la santé des travailleurs qui regroupe les forces salariées et sociales du Nord au Sud, il faut un point fort, une cible, un symbole. Or lamiante symbolise le mieux les multiples toxiques auxquels les travailleurs et la population sont exposés.
2. Mondialisation de lamiante
La diffusion planétaire criminelle de ce toxique a été programmée par des multinationales sur le modèle généralisé actuellement par le néo-libéralisme. La principale et la plus ancienne dentre elles est Eternit de la famille multimilliardaire suisse Schmidheiny qui a promu lamiante ciment dès 1904 et dont les derniers rejetons sont MM Thomas et Stephan. Celui-ci tente depuis 10 ans de se débarrasser définitivement de sa gigantesque «dette sanitaire externe» envers les travailleurs et les populations avoisinant ses usines que lui et sa famille ont exploitées et empoisonnés. Il vient de désigner Hans-Rudolf Merz actuel candidat à la présidence au parti radical pour liquider laffaire à sa place mais il ne sera pas question pour nous et les victimes de traiter avec des hommes de paille: on na jamais vu quun accusé envoie son représentant au tribunal!
Cette lutte pour exiger que les Schmidheiny reconnaissent leur responsabilité et indemnisent leurs victimes pourrait stimuler toutes les luttes actuelles et futures quil faudra mener contre dautres multinationales des OGM, des médicaments, des armements, de leau, etc.
3. Intoxication collective consciente
Loin de cesser dexposer les travailleurs contre les risques mortels connus et prouvés dès 1960, ces multinationales ont décuplé lusage de lamiante et lexposition des travailleurs jusquà son interdiction plusieurs décennies plus tard. En Suisse, par exemple, elles ont importé et fait manipuler par les salariés deux fois plus damiante après que ses cancers spécifiques ont été prouvés en 1960 que depuis le début du siècle. Mais cest dès 1940, alors que les risques mortels de lamiante étaient déjà fortement suspectés que la multinationale Eternit a implanté la plupart des quelques 25 succursales dans le monde, souvent avec la complicité de dictatures militaires. Stephan Schmidheiny ne proclamait-il pas à propos du dictateur chilien Pinochet: «Un pays du tiers-monde qui choisit une économie de libre marché doit avoir un état fort» (Cité par Benedetto Terracini au Congrès mondial de lamiante à Osasco au Brésil en septembre 2000).
Une campagne mondiale sur lamiante permettra dexiger que les entreprises fournissent toutes leurs données sur le nombre de travailleurs exposés, quelles les informent des risques quils encourent, quelles financent les contrôles médicaux et indemnisent les victimes et leurs proches. Le refus de livrer de telles informations pourrait être poursuivi pour non assistance à personnes en danger.
4. Pollution de lenvironnement.
Si lamiante a cessé dêtre utilisé dans la plupart des pays riches ce toxique, non dégradable, continuera à tuer tant que les produits et les déchets de leurs productions et de leur usage nauront pas été neutralisés, ce qui est difficile et coûteux. En Suisse, par exemple la quantité damiante «en service» est en moyenne de 100 kg par habitant dont seule une faible partie a été détruite ou enterrée. Comme chaque milligramme damiante peut se décomposer en millions de fibres mortelles, de nouvelles intoxications ne sont pas exclues.
Le choix de lamiante comme point fort dune campagne permettra dassocier les organisations écologistes aux côtés des travailleurs et des mouvements sociaux dans la dénonciation de la responsabilité des multinationales tant face à la santé des travailleurs que de celle de la population et de lenvironnement.
5. Indemnisation indispensable
Bien que non simultanée le temps de latence est de 30 à 40 ans , la relation entre exposition à lamiante et apparition des cancers spécifiques dus à linhalation de ses fibres est suffisamment démontrée. Les subterfuges utilisés par les responsables pour ne pas payer dindemnités sont:
- léloignement, lisolement, la perte de contact avec les travailleurs temporaires, licenciés ou immigrés rentrés dans leur pays,
- la négation ou la sous-estimation par des médecins corrompus de la gravité des maladies, comme cela a été le cas chez Nicalit au Nicaragua.
- la temporisation par des manuvres dilatoires des procédures en vue dobtenir la cessation des réclamations suite au décès des victimes.
Cest que le montant des charges de réparation actuelles et futures est extrêmement élevé bien que lon ne sache pas encore combien de travailleurs ont été exposés dans le monde, combien sont déjà malade, quelle est leur espérance de vie et par conséquent quel sera le coût social final de la réparation des dégâts provoquées par lamiante. De plus, la mort dun travailleur des suites dune exposition professionnelle entraîne dautres victimes: sa femme, ses enfants, ses proches qui doivent porter la charge non seulement dun salaire perdu, des frais en médicaments et soins souvent mal ou non remboursés, mais aussi de la souffrance dun être cher, mourant puis injustement disparu.
La revendication dune indemnisation de toutes les victimes de lamiante et ceci tant quelles se manifesteront ne vise pas seulement laide financière mais contribue aussi à la reconnaissance des dommages subis contre leur gré et à celle de leur dignité. Pour ce faire la mobilisation est indispensable car nous savons dexpérience que la seule action juridique ne suffira pas à forcer les employeurs à rembourser leur dette.
6. Les scientifiques et lamiante
Au fond de la salle dans laquelle se tenait notre atelier était tendue une banderole: «Medico o padrone non fa differenza se la scienza del medico è quella del padrone» (Il ny a pas de différences entre médecin et patron quand la science du médecin est celle du patron). Cette vérité sest vérifiée tout au long de laffaire de lamiante où trop de scientifiques se sont tus ou ont repris à leur compte les intérêts des patrons: «lamiante est indispensable et irremplaçable»; «il faut vivre avec lamiante», «seule lamiante crocidolite est dangereux»; «les cancers sont dus au tabac», «lamiante na jamais fait de victimes», etc.
La campagne sur lamiante permettra de dénoncer le silence, la complicité ou la collaboration de certains scientifiques dont la responsabilité est dautant plus grande que la population leur fait encore confiance et attend deux des réponses aux problèmes de santé dont elle souffre.
7. Inutilité de lamiante
Enfin, lusage de lamiante savère avoir été le plus souvent inutile contrairement à ce que prétendent les multinationales qui lon extrait et commercialisée. Les performances des plaques actuelles en fibres ciment sans amiante sont bien meilleures que celles en amiante-ciment et les bâtiments se passent fort bien de flocages. Cette évidence devait être dite depuis quon en connaît les risques. Pourtant les fournisseurs damiante nont cessé de proclamer son prétendu caractère indispensable et irremplaçable et sa possible utilisation sans risques trompant ainsi les travailleurs et retardant son abandon. En fait lamiante naura engendré que des profits pour le capital et des souffrances pour le travail.
Traquer les multinationales de lamiante permettrait de poser la question de la finalité de toute production, de lutilité du travail, de la nécessité de prendre des risques, des conséquences sanitaires et écologiques des marchandises produites par léconomie capitaliste, soit du droit de regard et de contrôle sur les choix productifs dictés par les chefs dentreprise et les actionnaires.
Pour la délégation CAOVA au FSE
François Iselin