« les statistiques, c'est comme le bikini : ça donne des idées mais ça cache l'essentiel ! » (coluche)
« les statistiques, c’est comme le bikini :
ça donne des idées mais ça cache
l’essentiel ! » (coluche)
Dans largumentaire
défendant son initiative populaire « pour le renvoi
des étrangers criminels », lUnion
démocratique du centre (UDC)
avance fièrement des chiffres tirés des statistiques
criminelles de 2005 et les présente comme autant de preuves
irréfutables de la nature profondément criminelle des
étrangers vivant en Suisse.
«Ils commettent des
délits graves, menacent notre propriété et
même notre intégrité physique et notre vie »,
scandent-ils, chiffres à lappui. Il peut être
tentant, pour le citoyen inattentif, de se fier aux statistiques
avancées, dautant plus quelles sont
élaborées par une source sérieuse, lOffice
fédéral de la statistique. Toutefois, les statistiques ne
sont que des chiffres et il est possible de leur faire dire à
peu près tout ce que lon veut.
La représentation des étrangers dans les statistiques de criminalité
Selon les chiffres publiés par lOffice
fédéral de la statistique parus le 30 juin 2009,
51,2 % des condamnations pénales prononcées en
Suisse concernent des personnes de nationalité
étrangère.
Il serait toutefois faux den tirer la
conclusion selon laquelle les étrangers sont plus criminels que
les citoyens suisses. Pour André Kuhn, la
surreprésentation des étrangers dans les statistiques
« provient notamment du
fait que les immigrés sont en majorité de jeunes hommes,
soit la catégorie de personnes qui [
] commet le plus de
crimes » (Sommes-nous tous des criminels ?
Editions de lHèbe, 2002). En effet, si nous nous penchons
sur les statistiques élaborées en 2009 par lOffice
fédéral de la statistique, nous constatons que
84,8 % des condamnations pénales ont été
prononcées à lencontre dhommes. De
même, nous pouvons y constater que 65,3 % des personnes
condamnées pénalement avaient entre 18 et 39 ans.
Autrement dit, limmense majorité des infractions
pénales sont commises par des hommes jeunes.
Les statistiques élaborées par
lOffice des statistiques sur létat et la structure
de la population permettent de constater que 58,9 % des
personnes de nationalité étrangère ont entre 0 et
39 ans, alors que la proportion des Suisses représentés
dans cette catégorie dâge
sélève à 44,5 %. En outre, les
étrangers de sexe masculin représentent 53 % de la
population étrangère, alors que les mâles suisses
représentent 48,1 % de la population suisse. De plus, les
personnes de nationalité étrangère sont
généralement plus défavorisées que les
membres de la population suisse.
Comme le constate André Kuhn, « si
lon compare le taux de criminalité des étrangers
à celui des nationaux du même sexe, de la même
classe dâge et de la même catégorie
socio-économique, la différence est beaucoup moins
importante ». La faible différence qui
subsiste sexplique par le fait que les personnes en question
peuvent avoir subi des conflits dans leur pays de provenance et ne pas
avoir accès au marché du travail. Sur ce point, on peut
renvoyer à la théorie de la brutalisation,
élaborée et vérifiée par W. C. Bailey
(Deterrence, Brutalisation, and the Death Penalty : Another
Examination of Oklahomas Return to Capital Punishment,
Criminology, vol. 36, 1998). Cette étude démontre que
lorsquune population vit dans un pays où lEtat est
violent (pratiquant la peine de mort ou pays en guerre), ses membres
auront une plus forte tendance à adopter des comportements
violents.
Ces diverses remarques permettent donc de comprendre
que si les étrangers sont surreprésentés dans les
statistiques criminelles, ce nest pas en raison de leur
qualité détranger, mais bien en raison du fait
quils sont majoritairement de sexe masculin, jeunes et
appartiennent à une catégorie socio-économique
moins favorisée.
Inefficacité de linitiative en matière de lutte contre la criminalité
Espérer une baisse de la criminalité en renvoyant des
personnes de nationalité étrangère
savère illusoire : la population
étrangère ne commet pas plus dinfractions en
raison de la nationalité de ses membres, mais bien en raison de
ses caractéristiques socio-économiques et
démographiques. Puisquil est impossible dagir sur
les deux variables que sont le sexe et lâge des personnes,
une meilleure solution pour lutter contre la criminalité, et
certainement la seule, serait dagir sur la troisième,
à savoir la situation socio-économique.
Les initiants et les partisans du contre-projet
présentent un projet qui non seulement savère
inefficace en matière de lutte contre la criminalité,
mais qui de plus a pour effet direct de stigmatiser les
étrangers en faisant deux des criminels en puissance et
des abuseurs de la (prétendue) tradition humanitaire suisse.
Cette politique du bouc émissaire ne peut que renforcer leur
sentiment dexclusion et nuire à leur intégration.
Il peut également être utile de
rappeler, trivialement, quune fois linfraction commise,
linfraction reste commise. Eliminer son auteur (par un renvoi
notamment) ny change rien. Il est paradoxal de prétendre
agir en faveur dune baisse de la criminalité sans
proposer aucune mesure pour la prévenir et
léviter. On nous rétorquera inévitablement
que la disposition constitutionnelle proposée permet à
tout le moins de prévenir toute récidive de la part des
personnes renvoyées. Cette remarque est peu pertinente puisque
lon peut constater que le taux de récidive des personnes
condamnées pénalement sélève
à 22,8 % seulement. Autrement dit, le système
pénal suisse permet de sortir de la criminalité plus des
trois quarts des personnes ayant commis une infraction par le
passé. Sur cent personnes de nationalité
étrangère ayant commis une infraction, plus de 77 ne
repasseront pas à lacte et ne présenteront plus de
danger pour la population. On peut considérer pour elles que la
peine subie les a définitivement écartés de toute
activité délictuelle. Les renvoyer est donc à la
fois inutile et profondément injuste.
Extrait de l’argumentaire du Mouvement de lutte contre le racisme (Vaud)(MLCR)