L’égalité salariale, un mythe qui perdure

L’égalité salariale, un mythe qui perdure



Alors que 2011 marquera les 15 ans de
l’introduction de la loi sur l’égalité dans
la Constitution fédérale, on observe en Suisse un
accroissement des inégalités salariales entre hommes et
femmes, une occupation majoritairement féminine des emplois
à temps partiel, la persistance d’un modèle de
division sexuelle du travail et l’existence de métiers
fortement sexués.

La loi fédérale sur l’égalité entre
femmes et hommes (LEg), venue renforcer un article datant de 1981, est
entrée en vigueur en 1996. Cette dernière prévoit
par exemple que « l’interdiction de toute
discrimination s’applique notamment à l’embauche,
à l’attribution des tâches, à
l’aménagement des conditions de travail, à la
rémunération, à la formation et au
perfectionnement professionnels, à la promotion et à la
résiliation des rapports de travail. »
    Qu’en est il aujourd’hui ?
L’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS)
révélait dans son dernier rapport en 2008 que la
situation s’était détériorée en deux
ans, l’écart salarial en défaveur des femmes
passant de 18,9 à 19,3 %. Comment expliquer une telle
régression ?

Normalisation de l’inégalité

Dans l’analyse traditionnelle des causes de ces
inégalités, une différence est effectuée
entre les facteurs « explicables » et les
facteurs « non-­explicables »,
considérés comme discriminatoires. Ainsi, que les femmes
soient sous-­représentées au sein des postes de
cadres, ou qu’elles occupent majoritairement des emplois au sein
des secteurs où les salaires sont moindres est censé
justifier le fait qu’elles gagnent globalement moins que les
hommes (Analyse comparative entre les salaires des femmes et des hommes
sur la base de l’enquête sur la structure des salaires
2008, Büro für Arbeits- und sozialpolitische Studien AG,
septembre 2010).

    Le problème d’une telle grille
d’analyse est que ces facteurs dits
« explicables » – dans le privé,
ils étaient censés en 2008 justifier 61,1 % des
cas d’inégalités, les 39,8 % restants
concernant les facteurs inexplicables (OFS, Niveau des salaires par
sexe, 2008) – conduisent à la normalisation d’une
situation d’inégalité criante. En effet, la
position professionnelle occupée par les femmes est souvent
moins l’affaire d’un choix que d’une adaptation
à une réalité sociale et économique qui ne
favorise pas la conciliation entre vie parentale et parcours
professionnel.

Sous couvert de flexibilisation

La flexibilisation et le temps partiel, qui concernent, pour le premier
trimestre 2010, 58 % des femmes, contre 34 % des hommes
(Enquête suisse sur la population active) comptent parmi les
mesures phares promues par les autorités pour répondre
aux problèmes causés par la difficile conciliation entre
parentalité et vie professionnelle. Mais en
réalité, le temps partiel « est socialement
construit sur la base de l’inégal partage des charges
familiales entre les sexes, hypocritement présenté comme
une souplesse offerte aux femmes et concrètement tourné
vers le profit des entreprises. L’idéologie
libérale utilise la main d’œuvre féminine
comme une variable d’ajustement de la fluctuation de
l’activité. » (Christiane Marty, Attac France,
2006).

    Quant aux facteurs « non
explicables », qui représentent environ 40 %
des inégalités salariales, ils varient selon les
secteurs, la taille de l’entreprise ou encore l’état
civil. Cette hétérogénéité
témoigne de l’absence de législation stricte et de
son caractère arbitraire : dans les secteurs
majoritairement masculins comme le transport ou la construction par
exemple, la part discriminatoire est nettement plus
élevée qu’au sein des professions
« mixtes ». Cette forte variation signifie
que les femmes, au sein de ces secteurs masculins, devraient, au vu de
leurs qualifications, gagner davantage que les hommes mais que dans la
réalité, si elles intégraient ces secteurs, elles
subiraient des inégalités plus fortes encore que dans
d’autres branches d’activité (Vers
l’égalité des salaires, brochure
éditée par le Bureau de l’égalité
entre femmes et hommes) ! De quoi assurer une longue vie au
mythe du caractère sexué des métiers.

Responsabilité collective

Les explications traditionnelles justifiant les écarts
salariaux, l’alibi que constitue la prétendue
flexibilisation du travail au travers du temps partiel ou encore le
leurre que représente la distinction entre facteurs explicables
ou non face à ces inégalités en disent long sur la
faille du marché de l’emploi tel que le conçoit le
système actuel, qui repose sur la division sexuelle du travail.
En ce sens, les tâches domestiques dévolues aux femmes
font l’objet d’une invisibilisation totale qui convient aux
milieux dirigeants, parce qu’elle décharge ces derniers
d’une responsabilité collective : celle de la mise
en place de structures publiques de qualité qui prendraient en
charge les tâches considérées aujourd’hui
comme relevant de la sphère privée mais qui, en
réalité, concernent la société dans son
ensemble.

    De fait, des revendications telles qu’une
réelle égalisation des salaires, l’instauration
d’un salaire minimum, l’amélioration de
l’offre et la gratuité des services publics, une meilleure
accessibilité des femmes aux emplois
« masculins », une reconfiguration du travail
productif et reproductif ou encore la reconnaissance par la
société du travail domestique sont plus que jamais
nécessaires. Enfin, la baisse du temps de travail
généralisée, sans intensification du travail et
sans perte de salaire, doit intégrer l’objectif de
réduction de l’emploi à temps partiel et permettre
aux travailleuses et travailleurs de bénéficier des
avantages permis par l’amélioration de la
productivité. Cette mesure permettrait par ailleurs de diminuer
le chômage et de valoriser un partage équitable des
revenus. Autant de revendications qui doivent être mises en avant
lors de la grève des femmes prévue le 14 juin 2011,
20 ans après celle de 1991 qui avait permis
d’arracher des conquêtes décisives mais fragiles.

Maïla Kocher