Que se passe-t-il en Côte d’Ivoire ? double présidence de la République et enjeux troubles

Que se passe-t-il en Côte d’Ivoire ? double présidence de la République et enjeux troubles



Depuis la tentative de coup
d’Etat de septembre 2002, la Côte d’Ivoire est
plongée dans une crise politico-militaire. Les élections,
longtemps attendues comme moyen de sortir de la crise, se sont
tenues à l’hiver 2010. Elles n’ont cependant pas
répondu à ces attentes puisqu’elles ont
débouché sur la situation politique actuelle d’une
double présidence de la République. Que se passe-t-il en
Côte d’Ivoire ? Qu’en est-il des
résultats électoraux ? Quels sont les
véritables enjeux de cette crise politique ?

Depuis un mois, la Côte d’Ivoire est dans une situation de
double présidence de la République. Côté
pile, Alassane Ouattara est considéré comme élu
par la Commission électorale indépendante (CEI) et par
l’ensemble de ladite « communauté
internationale ». Côté face, le
président élu, cette fois selon le Conseil
constitutionnel, certain·e·s nationalistes africains et
quelques éléphants du Parti socialiste français
(Henri Emmanuelli, Roland Dumas etc.), c’est Laurent Gbagbo.
Alors que chacun des deux hommes s’appuie sans en démordre
sur les résultats contradictoires du scrutin, une
comptabilité macabre s’ajoute aux décomptes des
voix, qui dénombre un à deux cents mort·e·s.

L’imbroglio juridique du décompte des voix

Gbagbo s’accroche au pouvoir. Il dit qu’il y a eu fraude.
Il invoque, de fait, l’invalidation des résultats de
nombreux bureaux de vote dans le Nord du pays, considéré
comme fief de Ouattara. Dans cette région,
l’électorat de Gbagbo aurait été
dissuadé par intimidation de lui donner ses votes par les Forces
Nouvelles, milice de la rébellion armée de M. Guillaume
Soro (premier Ministre sortant de L. Gbagbo, et actuel premier Ministre
de A. Ouattara). Le Conseil constitutionnel a prêté
l’oreille aux arguments de Gbagbo et a invalidé ces votes,
alors que la CEI, de son côté, n’en avait pas tenu
compte. Or ce sont les résultats proclamés par cette
dernière qui ont été certifiés par la
mission de l’ONU en Côte d’Ivoire. D’un revers
de main, la « communauté
internationale »révoque cet imbroglio juridique et
réfute l’appel de Gbagbo à recompter les voix
(selon la procédure du Comité d’évaluation
du processus électoral). Elle ne demande qu’une
chose : le départ de L. Gbagbo.

Les positions fermes de Gbagbo face à la « communauté internationale »

Gbagbo refuse de se plier à cette exigence. La
« communauté internationale », tient
le bâton ferme et a laissé entendre, il y a quelques
semaines, voire quelques jours encore, qu’elle obtiendrait ce
départ par tous les moyens. Autre acteur, autres
intérêts : la Communauté économique
et douanière des États d’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO). Celle-ci a fait savoir au départ, accordant ses
violons, tant que faire se peut, à une menace subliminale de N.
Sarkozy et de M. Alliot Marie, qu’elle le ferait partir aux
forceps s’il le faut. On vit alors deux bâtiments de guerre
hollandais détournés vers le port d’Abidjan. Mais
depuis, la CEDEAO a modéré le ton et poursuit avec
l’Union africaine (UA) une médiation. La semaine
passée la Convention de la Société civile
ivoirienne (www.societecivile-csci.org) a parlé de continuer la
médiation jusqu’à la fin du mois de janvier avant
d’entamer un troisième tour.

Convoitises sur une nappe pétrolifère ou démocratie

La démocratie est elle le véritable enjeu de la
réaction internationale ? Le peuple ivoirien en a besoin
de cette démocratie. Pourtant c’est bien lui, dans le
même temps, qui s’aligne derrière deux fractions qui
la piétine : l’une pseudo anti-impérialiste
et l’autre qui assume, sans fard, son
néo-libéralisme. Le prétendu
anti-impérialisme de Gbagbo ne l’a pas
empêché de distribuer les marchés de la
construction (ports, ponts et palais présidentiel), du cacao et
de l’exploitation du pétrole ivoiriens (voir Les Afriques,
11.12.2010). Au gré à gré, il a réparti les
atouts économiques de son pays aux Bouygues et Cie. Ce jeu a
rapporté gros à sa fraction, puisqu’elle a
réalisé une accumulation faramineuse en une
décennie d’hégémonie politique. Son
entêtement à ne pas accepter l’exil est de ce point
de vue hautement compréhensif. Quant aux Etats-Unis, à la
France et l’Union européenne, il est urgent de douter de
leur volonté affichée de défendre la
démocratie. A la lumière des événements
récents du Honduras, de la Tunisie et de l’Algérie,
cette volonté ne résiste pas aux faits et se
révèle être de la poudre aux yeux. Quel est donc
l’enjeu central de la situation politique en Côte
d’Ivoire ? Parmi les hypothèses plausibles, cet
enjeu se situe au cœur d’une source de profit, celle de
l’importante nappe pétrolifère, d’une
superficie de 2000 km2, située à 100 km au sud-est
d’Abidjan à la frontière du Ghana. Les estimations
actuelles des réserves de cette nappe pourraient atteindre les
1,5 milliard de barils et, jusqu’à présent, BP,
Shell, ENI, Lukoil et Vanco ont été exclus des permis
pétroliers (voir Jeune Afrique, 23.10.2010). La stabilité
politique de la Côte d’Ivoire est indispensable à la
stabilité économique de la région, dont elle est
l’une des pièces centrales.  En effet, la Côte
d’Ivoire est le principal pilier du Franc CFA/BCEAO. Le premier
perdant de cette situation, c’est le peuple ivoirien, qui
s’aligne massivement derrière ces deux fractions, qui
n’a pu construire aucune alternative, et qui en est réduit
à compter ses morts et ses blessés.

Isabelle Lucas