La révolution arabe a commencé
La révolution arabe a commencé
Il y a deux ans, lun des principaux stratèges de la
classe dominante états-unienne, Zbigniew Brzezinski,
lançait cet avertissement : « Les jeunes du
tiers-monde sont agités et amers (
) leur fer de lance
potentiellement révolutionnaire va sans doute sortir des rangs
de ces millions détudiants issus de la classe moyenne
inférieure précarisée et mus par un sentiment
doutrage social (
) [ce] sont des révolutionnaires
en puissance (
) Leur énergie physique et leur
frustration émotionnelle nattendent plus
quà être galvanisées par une
cause » (NY Times, 16 déc. 2008). Ces
dernières semaines, ils sont descendus dans la rue par millions,
en Tunisie, en Algérie, en Jordanie, au Yémen et en
Egypte, pour le droit à une vie décente et à un
emploi, mais aussi pour prendre en main leur propre destin
(création de nombreux comités
dauto-défense, dapprovisionnement, etc.).
Sur 352 millions dArabes, 190 millions ont
moins de 30 ans et les trois quarts dentre eux sont sans
emploi ; en Egypte, ils représentent 90 % des
chômeurs-euses. Hillary Clinton a pris la mesure du
problème en déclarant : « Lune
de mes préoccupations principales (
) ce sont ces
nombreux jeunes sans avenir économique dans leurs propres
pays » (Dpt dEtat, 11 janv. 2011). Les masses
populaires sont prises à la gorge : en effet, la crise du
capitalisme se traduit aujourdhui par une flambée des
prix des denrées alimentaires de base et de
lénergie, promus comme principaux champs
dinvestissement du capital financier. Selon la FAO,
lindice des prix alimentaires a ainsi bondi de 32 % au
second semestre 2010 !
Michel Chossudovsky a raison de dire que les
« dictateurs » du tiers-monde ne dictent rien
(Global Research, 29 janv. 2011). Ils sont les courroies de
transmission de politiques décidées ailleurs, par les
dirigeants des grands Etats impérialistes, des multinationales
et de leurs institutions économique et financières (FMI,
Banque mondiale, OMC, OCDE, etc.). En Egypte, lexplosion de la
misère résulte des programmes dajustement
imposés depuis 20 ans (déréglementation des prix
alimentaires et privatisations), qui ont valu des félicitations
à Moubarak : « LEgypte a fait des
progrès significatifs grâce à de vastes
réformes structurelles qui ont connu une
accélération depuis 2004 » (FMI, avril
2010). Au-delà de leurs régimes policiers séniles,
ce sont ces politiques que les révolutions en cours vont devoir
démonter, si elles ne veulent pas préparer de rapides et
dangereuses désillusions.
Cest pourquoi les envolées des
médias occidentaux à la gloire du
« printemps démocratique arabe », de
ses manifestations pacifiques, de ses jeunes assoiffés de
modernité nont-ils pas
préféré internet aux barricades !
ne doivent tromper personne. En Tunisie, ce ne sont pas les nouveaux
ministres dont le blogueur Slim Amamou qui dirigent le
pays, mais toujours lancien Premier ministre de Ben Ali, Mohamed
Ghannouchi, flanqué dun Gouverneur de la Banque centrale
tout neuf, Kamel Nabli, qui sest immédiatement
envolé pour Davos afin de rassurer les milieux
financiers : « la démocratie est bonne pour
linvestissement », a-t-il
répété (France 24, 29 janv.). En
réalité, les Etats-Unis et leurs alliés
sactivent en Egypte et ailleurs pour trouver une alternative
« autoritaire » ou
« démocratique » à Moubarak et
à ses pairs pour autant quelle garantisse le maintien du
consensus économique de Washington et de la collaboration
stratégique avec Israël.
Mais ni les Etats-Unis ni lEurope ne tirent
les ficelles des révolutions arabes, qui sont portées
avant tout par des aspirations sociales, dans le sillage de
mobilisations ouvrières, comme celles de Gafsa (phosphates,
Tunisie) ou de Mehalla (textile, Egypte). La solidarité avec les
luttes du textile est dailleurs à lorigine du
Mouvement du 6 avril en Egypte, qui a joué un rôle
décisif dans le démarrage de la révolution. De
plus, la politisation anti-impérialiste du monde arabe est
alimentée depuis des années par la lutte du peuple
palestinien et le rejet des guerres sanglantes menées par les
Etats-Unis et leurs alliés. Ainsi, pour 88 % des
personnes interrogées, cest bien Israël qui
représente le principal fauteur de guerre, suivi par les
Etats-Unis (77 %), et non lIran (10 %) (LA Times,
14 août 2010).
Ce qui fait encore défaut à ces
révolutions, cest un programme politique qui rompe avec
lordre mondial néolibéral (chaîne de la
dette, accords de libre-échange, etc.), afin de permettre une
redistribution massive des richesses. Un programme qui implique la
dissolution du noyau dur des appareils dEtat néocoloniaux
(hiérarchie militaire, services de renseignements, polices,
gouvernorats locaux, etc.) et lexpropriation des grandes
fortunes privées, accumulées notamment au gré des
privatisations. Un programme qui nécessite aussi une rupture
avec limpérialisme ; un engagement aux
côtés du peuple palestinien ; et le
développement de coopérations Sud-Sud favorables à
lensemble des partenaires engagés.
LAmérique latine a accumulé une expérience
pionnière en la matière, qui ne demande quà
être partagée et étendue.
Jean Batou