One, two, three, bientôt c’est l’Algérie…

One, two, three, bientôt c’est l’Algérie…



« Il faudra que
l’Europe apprenne à compter jusqu’à trois
pour dépasser enfin l’équation binaire qui a
réduit nos destins à un choix morbide :
l’intégrisme ou la fatalité de la
dictature »


(Saïd Saadi, Président du Rassemblement pour la culture et la démocratie).

Dès les premières heures du 12 février, Alger se
teinte du bleu des 30 000 policiers déployés pour
empêcher la marche de la Coordination nationale pour le
changement et la démocratie (CNCD), qui s’était
constituée le 21 janvier, après la chute de Ben Ali en
Tunisie, et au lendemain d’une vague de manifestations contre la
hausse des prix qui a secoué toute l’Algérie.
« Il ne s’agit
plus d’une opération de maintien de l’ordre, mais
d’occupation de la capitale par les forces de l’ordre
 », affirme Tahar Besbas (CNCD).

Jeunesse et unité

Contre l’état d’urgence imposé depuis 19 ans
– et malgré lui –, une génération
nouvelle s’est engagée dans la lutte, préparant
ouvertement cette journée. La mobilisation a été
discutée, commentée, analysée sur les blogues et
les réseaux sociaux, pendant que les grèves se
multipliaient – grève nationale des paramédicaux ou
des étudiant-e-s. Pourtant, la mobilisation se heurte à
une difficulté particulière : « les
habitants de la capitale n’arrivent toujours pas à
ôter de leur mémoire les terribles
événements d’octobre 1988. Ils étaient
nombreux à rester sur les trottoirs ou à se pencher aux
balcons pour observer la tentative de marche populaire initiée
par la Coordination nationale
 » (Hadger Guenanfa, l’Expression, 11 févr. 2011).

    Alors que, chaque jour, des personnes
désespérées se suicident ou s’immolent par
le feu, la CNCD a réussi à regrouper une trentaine
d’associations, de syndicats indépendants et de partis
d’opposition.

Au-delà du 12 février

A Alger, ce 12 février, 5000 manifestant·e·s sont
parvenus à se rassembler (10 000 selon certaines sources,
250 selon le régime). A Boudouaou, ils-elles étaient 2000
à forcer le barrage policier pour imposer un sit-in. Dans
l’intérieur, des milliers de citoyen·ne·s
ont occupé la rue, notamment à Annaba, Bejaia,
Constantine, Oran, Tizi Ouzou. Malgré les coups de matraque et
les gaz lacrymogènes, la police semble avoir reçu la
consigne de modérer sa violence. Toutefois, le doyen de la LADDH
(Ligue algérienne pour la défense des droits de
l’homme), Ali Yahia Abdennour, âgé de 90 ans, a
été malmené. Quelques blessés sont à
signaler, plus de 1000 personnes ont été
interpelées (toutes relâchées le lendemain). Le
pouvoir a même mis en scène une (petite)
contre-manifestation. « Ils ne nous ont payés que
pour une heure, nous pouvons maintenant manifester contre la
hogra » (l’injustice), expliqueront certains jeunes
en rejoignant les rangs de l’opposition.

    La CNCD vient de lancer un appel à une
nouvelle marche pacifique, ce samedi 19 février. Elle met en
place des sections départementales et prépare une
grève générale. Ces manifestations sont un pas
essentiel dans la convergence des forces démocratiques.
L’ancien journaliste, écrivain et cinéaste Moussa
Tertag préconise ainsi un travail de désobéissance
civile qui s’étendra graduellement de secteur en secteur.
Je suis heureux de voir des démocrates, hier tiraillés,
aujourd’hui épaule contre épaule pour faire face
à la même matraque.

« Nous verrons qui gagnera ! »

Nordine Ait Hamouda, fils du Colonel Amirouche, héros de la
guerre d’indépendance, est membre fondateur de la LADDH et
du RCD – principal parti d’opposition qui a initié
des débats dérangeants (code de la famille,
laïcité, corruption, etc.). Bon orateur, il défraye
la chronique par ses interventions au parlement, dont il est
vice-président. solidaritéS lui a demandé un bilan
à chaud de la journée du 12 février :

    « Il
s’agit d’un succès incontestable. Nous avions
brisé le mur de la peur le 22 janvier et nous avons
continué hier ce que nous appelons la 3e Bataille d’Alger.
Les forces de changement et de progrès sont réunies
autour de mots d’ordre clairs, simples et qui représentent
ce que pense une majorité écrasante
d’Algérien·ne·s. Nous voulons le
départ de ce système et l’instauration d’une
démocratie. Malgré, les moyens colossaux que ce pouvoir
illégitime a mis en place pour empêcher des milliers
d’Algérien·ne·s de rejoindre la capitale et
d’exercer un droit constitutionnel (manifester), les
citoyen·ne·s se sont mobilisés contre ce
régime et ses relais.




    Le pouvoir a tout
fait pour cantonner la révolte des jeunes à des
revendications alimentaires. Hier, les jeunes Algériens ont
montré qu’ils ont soif de liberté, de changement et
de démocratie. Leur principalerevendication était sans
équivoque : « le peuple veut la chute du
système ». Comme quoi les jeunes Algériens
ne sont pas, comme les considère le régime, de simples
tubes digestifs.




    La revendication a
continué, y compris au sein des commissariats. En effet, plus de
1500 manifestant·e·s ont été
arrêtés, dont 7 députés du RCD,
blessés pour certains d’entre eux. Les officiers de police
étaient complètement submergés par les youyous et
les slogans que les manifestant·e·s arrêtés
criaient à l’intérieur des commissariats et que les
citoyen·ne·s entendaient de l’extérieur. Ce
qui fera dire à un officier voyant arriver une nouvelle vague de
manifestant·e·s vers son commissariat :
« Nous affichons complet ».




    En conclusion, une
chose est sûre. Le peuple est uni contre ce régime. Ce
système s’écroulera irrémédiablement.
L’Histoire est en marche et l’Algérie reviendra
à ses enfants. Le ministre de l’Intérieur a dit en
parlant d’une manifestation pacifique :
« Nous verrons qui gagnera ». Nous savions
que ce pouvoir était en guerre contre les
Algérien·ne·s, il ne s’agit que d’une
confirmation de plus. Alors, prenons les paris M. Ould Kablia,
« nous verrons qui gagnera ».

* Propos recueillis par Tin Hinane pour « solidarités ».