Tunisie: la place des femmes dans la révolution

Tunisie: la place des femmes dans la révolution



Féministe tunisienne, Neila
Jrad aborde dans un article paru fin janvier dans
« Attarik el Jadid » (La Voie nouvelle) les
questions liées à la place des femmes dans le processus
révolutionnaire et à la lutte, dans le cadre d’une
démocratie à construire, contre les partis revendiquant
une oppression sexiste.

Durant tout le processus qui a conduit au 14 janvier, les femmes ont
été très actives dans les syndicats, les
manifestations, les associations et les partis politiques. Pourtant, il
y a peu de femmes ministres dans le gouvernement de transition actuel
en dehors du traditionnel ministère de la femme et, chose
nouvelle, du ministère de la Culture. Elles sont aussi
très peu présentes dans les débats
télévisés. […] Quand il s’est agi
d’organiser les comités de quartier, les femmes
n’ont pas été sollicitées ou très peu
alors qu’elles ont montré leur détermination et
leur courage dans les autres mouvements en particulier dans la rue.
Elles en ont d’ailleurs payé les frais sous la forme des
violences policières spécifiques qu’un grand nombre
d’entre elles ont subies dans les manifestations (tirage de
cheveux, insultes à caractère sexistes, attouchements
grossiers, on a même parlé de viols), dans les postes de
police et même dans les maisons dans lesquelles se sont
introduites, dans certaines régions du pays, les forces de la
répression. Ces violences sont spécifiques parce
qu’elles se sont exercées sur les femmes parce
qu’elles sont des femmes et pourtant nul n’en a
parlé. […]

Un danger de marginalisation

Malgré leurs luttes, leur présence sur la scène
politique, leur courage et leur combativité, les femmes se
trouvent encore une fois marginalisées sur la scène
politique. […]Cela est d’autant plus surprenant et même
alarmant que l’on sait que Bourguiba, au lendemain de
l’Indépendance, a considéré comme une
priorité absolue d’établir des ruptures avec le
passé en ce qui concerne le statut des femmes dans la
société : le CSP (Code du statut personnel,
réd.) promulgué en 1956 est le premier code
promulgué par la jeune République tunisienne parce que le
statut des femmes dans une société est un indicateur
pertinent du degré de modernité de cette
société. C’est d’ailleurs ce statut des
femmes tunisiennes entre autres que les Etats européens
n’ont arrêté de mettre en évidence pour
s’aveugler sur les excès dictatoriaux de Bourguiba, Ben
Ali et de leur régime. Or aujourd’hui, il faut le dire
clairement : il n’y aura jamais de démocratie
réelle en Tunisie sans égalité totale des droits
des hommes et des femmes.

    Si la démocratie implique le droit pour
toutes les organisations et les opinions politiques d’exister, on
ne peut considérer le parti de Rached Ghannouchi, Ennadha, comme
seulement un parti politique étant donné qu’il
puise ses référents politiques dans la religion
musulmane. […] Or, aujourd’hui, des militants
d’organisations politiques considèrent que le gouvernement
de transition doit être représentatif de tous les partis
politiques existants et ne semblent pas voir
d’inconvénients à la participation d’Ennahdha
dans un nouveau gouvernement ou dans un comité national de
supervision du processus démocratique. Un danger menace donc les
droits des femmes et leur statut dans la société du fait
même de la présence sur la scène politique de
partis à référents religieux qui, bien que se
présentant actuellement sous un jour de démocrates bon
teint ont toutefois la caractéristique de ne pas
considérer que les femmes ont les mêmes droits que les
hommes, leur droit à la liberté étant régi
par la religion musulmane. Plus graves encore, ces partis peuvent
trouver une assise populaire qui puise sa source dans la misogynie
ambiante et dans les conceptions rétrogrades de la place des
femmes dans la société. Ils peuvent donc constituer un
frein au développement des droits des femmes dans le sens de
l’égalité totale.

Pour la justice sociale et l’égalité

C’est pourquoi il convient de définir les contours de
cette république démocratique que nous voulons. La
Commission chargée de la réforme politique aura cette
tache avec les organisations de la société civile et les
représentants des partis politiques. Les femmes ont un
rôle fondamental à jouer dans cette réforme
politique pour défendre leur droit à la
citoyenneté, à la liberté et à
l’égalité et avec elles tous ceux pour qui la
démocratie est inséparable de la rationalité et de
la modernité dans lesquelles elle puise ses sources et ses
valeurs. Il est fondamental pour la démocratie politique, mais
aussi sociale, que l’état démocratique à
venir ne soit le monopole ni d’un parti ni d’une religion,
que la république soit à la fois démocratique et
laïque.

    La construction de la démocratie en Tunisie a
déjà commencé. Elle ne doit se faire ni sans les
femmes ni contre les femmes, mais avec les femmes dans le cadre de la
préservation des droits acquis et du développement de ces
droits vers une égalité totale et réelle. Cela est
fondamental même si nous traversons une zone de turbulence
conséquence des décennies d’autoritarisme et de
dictature que nous avons subies. Plus encore, c’est justement
parce que nous traversons cette zone de turbulence que nous devons
définir clairement le projet politique et social que nous
voulons et qui doit être basé sur la justice sociale et
l’égalité entre tous et toutes, pour tous et
toutes, fondement d’une véritable démocratie.

Neila Jrad
article traduit par www.collectifdroitsdesfemmes.org/
Titre, coupures et intertitres de la rédaction