Libye: le « frère colonel » Kadhafi, roi des faux frères

Libye: le « frère colonel » Kadhafi, roi des faux frères



Vu ses engagements passés avec
certains mouvements de libération ou la phraséologie de
son « Livre vert » (1976), le régime
du colonel Kadhafi était (et reste, hélas)
considéré par certains courants politiques ou
gouvernements de gauche comme membre d’un « camp
anti-impérialiste » aux frontières
très mouvantes. Or, ce point de vue ignore (ou escamote) les
orientations problématiques de Kadhafi, dès ses
premières années de pouvoir.

David Karvala (En Lluita, Catalogne) rappelle que « la
prise du pouvoir en Libye, en 1969, par un groupe de militaires –
inspirés par le soulèvement des
‹ officiers › libres égyptiens de
1952 – fut une action menée d’en haut, sans grande
mobilisation sociale. Comme dans d’autres luttes anti-coloniales,
il y eut des améliorations sociales, mais la libération
fit rapidement place à un régime autoritaire. Dans les
années 1970, Kadhafi était déjà un
dictateur, mais sa rhétorique radicale suffisait pour tromper
certains secteurs de gauche et pour énerver les gouvernements
occidentaux. » Récemment, plusieurs articles ont fait le
point sur toute la carrière de Kadhafi ou sur des aspects
spécifiques au monde arabe.

Un portrait oublié de Kadhafi…

Il est utile de (re)lire le portrait de Kadhafi, tracé deux ans
après son arrivée au pouvoir, par une revue
tiers-mondiste: « Le partisan d’une unité
arabe fondée sur l’islam, l’ennemi acharné de
toute forme de représentation populaire (partis, syndicats,
organisations de masse), est un anti-communiste farouche qui a fait ses
preuves lors des derniers événements du Soudan. Bien
avant, il avait orchestré une violente campagne de propagande
contre le PC soudanais, allant même jusqu’à refuser,
au cours d’une réunion au sommet Libye-Soudan-R.A.U., au
Caire, de rencontrer Numeiry, parce que ce dernier était
accompagné de son ministre des Affaires
étrangères, Farouk Abou Issa, alors membre du Parti
communiste soudanais » (Afric­Asia, nº 49, 20.9 –
3.10.1971)

…auxiliaire de la contre-révolution

Que se passa-t-il, il y a 40 ans, au Soudan ? Il faut le
rappeler. En 1969, un coup d’Etat militaire avait porté au
pouvoir le général Gaafar Numeiry (qui se
réclamait, comme Kadhafi, de l’expérience
nassérienne en Egypte). Le Soudan comptait alors (avec
l’Iraq, avant 1963) l’un des plus forts partis communistes
du monde arabe. Bien que soutenant le nouveau régime, le Parti
communiste soudanais (PCS) refusa de se dissoudre dans un parti unique
multi-classiste, de type nassérien. Malgré les conseils
du président égyptien Gamal Abdel Nasser
(décédé en septembre 1970) – celui-ci
n’ayant jamais oublié « que le parti
communiste soudanais avait envoyé des brigades de volontaires
combattre aux côtés des soldats et des maquisards
égyptiens au bord du canal de Suez, en 1956, contre les troupes
d’agression
anglo-­franco-­israéliennes » (AfricAsia,
nº 46, 2-15.8.1971) -, Numeiry commença à
réprimer le PCS. Kadhafi y apporta sa contribution
idéologique : déjà, au début de
l’année 1970, la revue de l’armée
libyenne – Al Joundi (Le
Soldat) – avait attaqué le PCS, affirmant toute
entente impossible entre nationalistes arabes et communistes. Enfin, en
novembre 1970, Numeiry destitua trois officiers, membres du
gouvernement, suspectés de sympathies communistes.

    Le 19 juillet 1971, un nouveau coup d’Etat
– dirigé par le commandant Hachem El-Atta (l’un des
trois officiers destitués en novembre
1970) – renversa Numeiry (placé en
résidence surveillée). Le PCS reprit ses activités
publiques. Mais trois jours plus tard, Numeiry revint au pouvoir avec
l’aide des régimes libyen (Kadhafi) et égyptien
(Sadate). L’Arabie Saoudite apporta aussi son aide : le 22
juillet 1971, peu après l’escale de Djeddah, un avion
irakien explosa en plein vol. A son bord, se trouvait une
délégation de la direction panarabe
« historique » du Parti Baath, venant saluer
la prise du pouvoir par Hachem El-Atta : l’un de ses
membres – le Soudanais Muhammad Suleyman – était le
petit-fils du Mahdi Muhammad Ahmad ibn Abd Allah (chef de
l’insurrection anti-britannique de 1885).

    Les dirigeants du coup d’Etat du 19 juillet et
le secrétaire général du PCS, Abdel Khalek
Mahjoub, furent pendus après un jugement sommaire. A nouveau
interdit durant les dictatures de Numeiry et d’Omar
El-Béchir, le PCS a survécu dans la 
clandestinité. Il fut légalisé après les
accords de paix conclus entre le gouvernement soudanais et les
insurgés du MPLS (représentant les populations noires du
Sud-Soudan). En janvier 2009, le PCS a tenu son premier
congrès… depuis 1967. En 1965, le PCS était
représenté par 16 députés (dont 11 à
Khartoum), il n’en compte aujourd’hui que 3 au Parlement.
Signe flagrant d’une « ouverture
démocratique » précaire, les manifestations
anti-gouvernementales du 10 mars 2011 ont été
sévèrement réprimées, la police
arrêtant des responsables de l’opposition, dont le
secrétaire général du PCS, Muhammad Ibrahim Nugud.

Hans-Peter Renk


Sources
Ismail Diab, « Soudan : Numeiry règne par la
terreur », AfricAsia, nº 46, 2-15.8.1971
Youssef Hassan, « Libye, la révolution
caricaturée », AfricAsia, nº 49, 20.9-3.10.1971
Adel El Zabayar, « La jugada de oro de los imperialistas », www.aporrea.org/tiburon/a118900.html
René Naba, « Kadhafi, portrait total », www.renenaba.com