Espagne: massif, le mouvement se radicalise

Espagne: massif, le mouvement se radicalise

100 000 personnes à
Madrid, 150 000 à Barcelone, des dizaines de milliers
d’autres dans plus d’une centaine de villes et de
localités dans tous le pays : le résultat des
mobilisations du dimanche 19 juin est spectaculaire. Il
s’explique aussi par la jonction faite avec d’autres
secteurs (mouvements sociaux, assemblées de quartier,
syndicalistes, etc.) Les indigné·e·s sont partis
pour durer nous explique Jaime Pastor.

Les marches et les manifestations qui ont parcouru d’innombrables
villes et villages espagnols le dimanche 19 juin, autour de slogans
tels que « Contre la crise et le Capital » et
« Non au Pacte de l’euro »,
représentent une avancée extraordinaire par rapport
à la mobilisation lancée il y a un peu plus d’un
mois. Cela nous remplit d’espoir quant à
l’évolution et la centralité que peut
acquérir ce mouvement du 15-M dans le court terme.

Un vrai mouvement de masse

En effet, les protestations du 15 mai semblaient initialement
être circonscrites autour de son seul réseau promoteur,
qui dénonçait la « caste
politicienne ». Par la suite, les revendications les plus
médiatisées atteintes par la méthode du
« consensus » ne semblaient pas
s’attaquer aux racines du problème soulevé par
cette irruption massive dans les rues (« Nous ne sommes
pas des marchandises aux mains des politiciens et des
banquiers »). Aujourd’hui, ce mouvement s’est
transformé en un mouvement de masse qui ne remet pas seulement
en question la légitimité acquise dans les urnes du 22
mai par les grands partis, mais qui s’attaque ouvertement
à la construction européenne actuelle, qui veut en finir
avec les restes d’un Etat providence de plus en plus rachitique.

    Ainsi, ensemble avec la démonstration
largement établie qu’il est possible de faire de la
politique autrement au moyen d’un niveau très
élevé d’auto-organisation et
d’assemblées de discussions, parfois interminables, nous
avons également assisté à
l’élargissement d’un répertoire
d’actions sans cesse plus variées dont les campements et
les occupations de places d’abord, les blocages des expulsions de
logements et des réunions des institutions municipales et
régionales ensuite, ont été les plus
emblématiques. […]

Parallèlement, nous avons vu se diffuser dans tout le pays,
grâce aux réseaux sociaux, une longue liste de
revendications qui, comme cela s’est déjà produit
dans le passé, représente un véritable
« cahier de doléances ». Ce cahier
exprime ce pour quoi les gens ont décidé de sortir dans
la rue dans un « état de
rébellion », comme l’a très justement
défini il y a peu Enrique Dussel (philosophe mexicain
d’origine argentine, réd). Et c’est la même
« dignité enragée » qui
s’étend à l’échelle globale,
également en Europe, face à
« l’état d’exception économique
et social ».

    La facilité avec laquelle le rejet du Pacte
de l’euro a été intégré par le
mouvement du 15-M ainsi que la convergence, comme ce fut le cas
à Madrid, avec des plateformes qui préparaient depuis
longtemps déjà ce 19-J, indique une
élévation rapide de la conscience collective où
domine, parmi la grande majorité des personnes qui participent
au Mouvement du 15-M, une volonté partagée de lutter pour
une démocratie participative et pour la justice sociale. Il
s’agit là d’un processus encore inachevé qui
s’enrichit constamment avec les apports venant de tous les
secteurs qui cherchent à répondre à toutes les
injustices qui existent dans cette société, ce qui se
concrétise au travers des revendications concrètes et
argumentées élaborées par les commissions de
travail et les assemblées.

Une construction permanente

C’est pour cela que tant de commentateurs et faiseurs
d’opinion – et y compris certains intellectuels de gauche
– se trompent quand ils se limitent à faire une
photographie statique de ce mouvement ou quand ils se demandent qui se
trouve derrière lui. Ils ignorent le fait que nous sommes devant
un nouveau sujet émergent, un processus en construction
permanente et qui nous surprend à chaque pas –
au-delà des fautes inévitables et anecdotiques –
par sa capacité d’innover et de mélanger autant de
sensibilités.

    […] Les actions prévues à
l’occasion des débats parlementaires sur la réforme
de la négociation collective ou sur « l’Etat
de la nation »; les marches qui partent de plusieurs
villes pour converger à Madrid le 23 juillet prochain; la
préparation d’une nouvelle journée de mobilisation
pour le 15 octobre et la perspective d’une grève
générale avant la fin de l’année, tout ce
calendrier de mobilisations confirme la sensation de force collective
et de légitimité sociale atteinte aujourd’hui et la
ferme volonté de poursuivre une lutte qui, comme la crise
systémique, sera sans nul doute dure et prolongée.

    Car il faut à nouveau rappeler que nous
sommes devant la crise la plus grave du capitalisme, que ce
système s’affronte à la menace d’une
débâcle de l’économie grecque emportant avec
elle l’Euro et d’une insurrection populaire non violente du
peuple grec qui peut se répandre à d’autres pays du
continent.

    Nous assistons ainsi à la crise de
légitimité de tout un système et du projet de
construction européenne. Ce projet, qui prend l’eau de
toute part, cherche plus que jamais à s’attaquer aux plus
faibles pour tenter de survivre. Nous devons nous préparer
à passer de la résistance actuelle au début
d’un processus de rupture qui pointe vers un autre monde et une
autre Europe possibles. La solidarité et la convergence avec le
peuple grec face au chantage exercé par l’UE et le FMI est
aujourd’hui la tâche principale pour tous et toutes les
indigné·e·s.

Jaime Pastor
membre de la rédaction de la revue « Viento Sur »

(coupures et intertitres de la rédaction)