Le cool en question

A l’université de Lausanne, s’est tenu un colloque expérimental et autogéré par des étudiant·e·s sur les instances et propriétés d’être cool. Son succès démontre l’intérêt que suscite la réflexion sur des objets culturels, dont la signification contemporaine est aussi importante que non critiquée.

Une centaine d’étudiant·e·s, de Genève, Lausanne ou Milan, de philosophie, de sciences sociales et politiques, des Beaux-Arts, se rendant par pur intérêt dans un auditoire pour suivre et participer à des débats pendant deux jours, ce n’est pas tous les jours que l’on voit ça. Un colloque géré uniquement par des étudiant·e·s, aidé·e·s par leurs associations, non plus. Quel ést cet étrange objet capable de provoquer un tel engouement ? Le cool. Tout est parti d’un premier article rédigé par Constant Bonnard et Benjamin Neeser sur ce thème, pour la revue philosophique de l’université de Genève. Dans une perspective analytique, ils articulent une définition du cool qui a servi de base à l’ensemble des débats. D’abord, il s’agissait de préciser quel cool serait l’objet de ce colloque. Ce n’est pas celui qui sert à exprimer un contentement comme dans l’expression « cool il fait beau ». Il s’agit du cool lorsqu’il est utilisé pour désigner un fait, un artefact ou une personne possédant certaines qualités esthétiques. Pour les deux auteurs, ces dernières dépendaient d’une part de dispositions telles que l’originalité ou une forme d’anticonformisme, et d’autre part de l’attitude proactive d’une « élite coolo­factrice », reconnue socialement comme légitime pour distinguer le cool du non-cool.

Le cool instrumentalisé par le capitalisme

A partir de cette définition, de nombreuses interventions ont tenté d’explorer les différentes significations et applications du cool, que ce soit à travers l’histoire, au niveau ­macro-économique ou appliqué à des objets particuliers. Il a ainsi été mis en avant le nécessité de s’attaquer à l’élite, à l’impact social de ce mot, et de déconstruire cette notion, par trop fuyante, pour la définir à travers des exemples concrets. Précisons que le propos de ce colloque n’a jamais été de définir qu’est-ce qui est cool, mais qu’est-ce que le cool. Il est apparu que celui-ci change de sens à travers le temps, qu’il a pu s’appliquer à l’expression du dédain des esclaves africains, comme à l’attitude tout en retenue du courtisan. Le cool représentait alors un certain nombre de codes, qu’il fallait suivre au risque d’être puni. C’est cette même logique qui est en jeu dans l’analyse du cool contemporain comme quête centrale de notre société. Le cool est détenu par une élite, qui parvient à cette place grâce à un capital culturel et économique conséquent. Le besoin de distinction de cette élite la conduit à refuser toute forme de bonne volonté de la part de la masse, chaque produit trop répandu étant systématiquement rejeté. On peut penser à l’exemple des lunettes Wayfarer. Elles étaient cool, puis soudain, sans que rien n’ait été changé en elles, elles deviennent non-cool du seul fait d’être possédées par un nombre trop important de personnes.

A ce moment-là, apparaît le rôle que peut jouer le cool dans l’économie capitaliste. En effet, il permet de mettre en place une obsolescence programmée des marchandises, encore plus forte que celle qui se base sur des imperfections matérielles. Dans la société capitaliste contemporaine, où le but n’est plus le besoin mais le fait de se distinguer des autres via la consommation, le cool devient cette quête de différents produits (vêtements, voitures, etc.), jamais recherchés pour leur valeur d’usage, mais pour leur caractère cool. Des exemples plus particuliers ont cherché à illustrer quel rôle pouvait jouer le cool dans des domaines comme l’art contemporain ou l’édition. L’éclairage du cool dans les films post-apocalyptiques a également permis de voir que, dans ce genre cinématographique, coexistent deux types du cool : celui du héros et celui du méchant. Et les différents modes de représentation de ces deux cool impliquent une valorisation de l’individualisme, de l’ordre et du tenant de la société ancienne, et une condamnation des formes collectives d’organisation sociale.

Lier théorie et pratique

Au-delà des thèmes et des critiques qui ont été abordés, les organisateurs de ce colloque ont mis comme priorité de mettre en place une pratique en relation avec leurs propos. Ainsi du cool, il fallait garder les aspects de non conformisme et d’indépendance. C’est pourquoi il a été décidé d’appeler ce colloque un coolloque. Il s’agissait de gérer l’ensemble de l’organisation collectivement par l’ensemble des intervenants (dix en tout), de permettre des prises de parole non académiques, que ce soit dans les interventions ou les discussions toujours fructueuses qui les suivirent. Pour tous, un des points forts de ce coolloque était que chacun y a participé par plaisir et curiosité intellectuelle, en dehors de toute logique carriériste. En ce qui concerne la publication, il a également été décidé d’autogérer cette phase, en en confiant l’édition et le pressage à des personnes proches, afin d’assurer que les éléments graphiques soient faits dans une logique cool et que l’on reste dans une pratique do-it-yourself. Ces actes du coolloque pourront ainsi être vendus à un prix accessible à tous (entre deux et cinq francs), seront vendus lors d’un vernissage, sur commande (via facebook) et distribués dans différentes librairies indépendantes.

Pierre Raboud