Libérer la mémoire

Libérer la mémoire : à propos d'un génocide oublié

En 1904, l’aventure coloniale du 2e Reich de Guillaume II a abouti en Namibie au premier génocide du 20e siècle, le massacre des Namas et des Hereros. «The Kaiser’s Holocaust, Germany’s forgotten genocide» de David Olosuga et Casper W. Erichsen (Faber & Faber, 2010) sur ce sujet est à lire absolument.

La mémoire et l’histoire devraient échapper aux rapports de force internationaux, aux tartufes et diplomates, se gargarisant du «Devoir de mémoire» pour dissimuler des crimes ou négocier leur oubli. Avancer vers une histoire commune à l’humanité suppose la condamnation de tous les crimes contre tous les peuples commis par les pouvoirs actuels ou ceux dont ils ont hérité.

 

La Déclaration commune de Stockholm

Le 28 janvier 2000, les gouvernements représentés au Forum international sur la Shoah adoptent la «?Déclaration commune de Stockholm […]: Si l’humanité est encore terrifiée par le génocide, le nettoyage ethnique, le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, la communauté internationale partage la responsabilité solennelle de combattre ces maux. Ensemble nous devons soutenir la vérité terrible de l’Holocauste contre ceux qui en nient la réalité. Nous devons renforcer l’engagement moral de nos peuples et l’engagement politique de nos gouvernants afin de nous assurer que les générations futures comprendront les causes qui ont mené à l’Holocauste et réfléchiront sur ses conséquences […]»

Le 18 octobre 2002, les ministres de l’Education des Etats membres du Conseil de l’Europe décident dans ce sens d’établir une Journée de la mémoire à partir de 2003. Avec l’Allemagne, la France et dix autres pays, la Suisse a choisi la date du 27 janvier, jour de la libération d’Auschwitz. Mais tant de retard, tant de mauvaise volonté…

 «Le fardeau de l’homme blanc», célèbre poème de Rudyard Kipling, annonçait en 1899 l’impérialisme triomphant du 20e siècle. Un siècle plus tard, le «Clash des civilisations» de Samuel P. Huntington énonce dans un contexte différent «les trois questions» que devait affronter un Occident affaibli pour conserver sa prééminence: «1) le maintien de sa supériorité militaire par les politiques de non-prolifération et de contre-prolifération des armes nucléaires, biologiques et chimiques et des moyens de les utiliser; 2) la promotion des valeurs politiques et des institutions occidentales en pressant les autres sociétés à respecter les droits humains tels qu’ils sont conçus à l’Ouest et à adopter la démocratie à l’occidentale; 3) la protection de l’intégrité culturelle, sociale et ethnique des sociétés occidentales par la restriction du nombre des non-occidentaux admis comme immigrants ou réfugiés».

Racisme et génocide sont liés et aujourd’hui nous le savons bien. Hélas, et notamment en Europe, la contribution du colonialisme à cette tragédie est encore mal comprise.

 

Un génocide oublié

En 1904, révoltés par la brutalité coloniale et la trahison des promesses allemandes, les peuples Hereros et Namas se sont soulevés. Nommé chef des troupes coloniales, le général von Trotha, formula alors le premier ordre d’extermination de l’histoire. Après une campagne de massacres cruels, le corps expéditionnaire allemand eut raison de la révolte et les survivants furent massés dans des camps de travail et d’extermination. Le médecin et anthropologue Eugen Fischer effectua dans les camps du Sud-Ouest africain des expérimentations anthropologiques, médicales dont des recherches génétiques sur les corps des Hereros pendus. Il procéda également à la stérilisation des femmes.

Directeur depuis 1927 de l’Institut pour l’hygiène raciale, il a étudié en Afrique de l’Ouest les «méfaits» de la mixité raciale entre Hereros et Allemands. Des mesures drastiques furent adoptées préfigurant la politique raciale nazie instituée en Allemagne dès 1933.

Hitler a lu Fischer qui l’a inspiré pour rédiger Mein Kampf. Avec l’avènement de son régime en 1933, Fischer est promu recteur de l’Université de Berlin. Il enseigne aux médecins SS, parmi lesquels Joseph Mengele, le futur «médecin» d’Auschwitz, qui devint son assistant.

Les corps-francs qui écrasèrent la révolution allemande de 1918-19 comportaient de nombreux vétérans de ces exactions en Afrique. La chemise brune qui équipa les premiers détachements de SA, la garde prétorienne du parti nazi venait des stocks d’uniformes des soudards de l’armée coloniale.

Les peuples qui ont subi les exactions coloniales allemandes, anglaises, françaises, hollandaises, italiennes ou portugaises, les agressions impérialistes, qui subissent aujourd’hui les violences nouvelles que leurs héritiers leur infligent, se rappellent au plus profond de leur mémoire ce passé qui n’est pas passé. La commémoration de la shoah serait une caricature du devoir de mémoire si elle n’ouvrait pas la voie à des travaux pour dévoiler l’ensemble de ces crimes.

 

2001 : Conférence mondiale de Durban contre le racisme.

Début septembre 2001, le progrès vers une telle prise de conscience plus étendue a abouti à la Conférence mondiale contre le racisme de Durban dont le Rapport final a condamné la traite négrière et le colonialisme comme sources du racisme, réaffirmé les droits des minorités, des migrant·e·s, des réfugié·e·s et s’est engagé contre l’oppression sexuelle.

Contrairement à la propagande occidentale et israélienne qui l’accuse d’antisémitisme, la Conférence de Durban a reconnu, avec le droit à la sécurité de tous les Etats du Proche-Orient y compris Israël, le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et à la création d’un Etat indépendant. Il faut se saisir des pistes tracées par la Conférence de Durban et mobiliser la conscience démocratique afin de poursuivre le combat contre le racisme et contre le colonialisme.

 

Karl Grunberg
ACOR SOS Racisme