Magouilles politiques et droits populaires bafoués

Dans la lancée de la votation sur les baisses massives d’impôts sur le bénéfice des entreprises de juin 2011, le Conseil d’Etat avait déposé un projet de révision qui annonçait une diminution de l’imposition des classes moyennes?; en fait, il contenait une réduction importante de l’imposition des plus fortunés, qui entraînait un amenuisement sensible des rentrées fiscales pour les communes et le canton. D’où des tractations en coulisse.

La révision de l’imposition des personnes physiques occupe aujourd’hui, sous le sceau du secret, toutes les discussions politiques des « notables » du canton. L’opinion publique est évidemment elle aussi bien intéressée. 

 

Silence radio

En ce début d’année, socialistes et radicaux (c’est eux qui composent le Conseil d’Etat et dirigent le canton) se sont « accrochés » dans les médias à ce sujet. Les membres de ladite commission ont été rappelés à l’ordre. Ils ne doivent plus communiquer. On nous dit que les deux partis se sont mis d’accord, «une saine discussion et un échange constructif» selon le PLR (Express-Impar, 30 janvier). Occasion saisie par l’UDC pour y mettre son grain de sel : «La dernière séance – de la commission – s’est très bien passée. On avance gentiment. Ce n’est pas forcément une réforme facile à faire passer à gauche.» C’est dire entre les lignes qu’il est difficile pour le PS, alors que la gauche est majoritaire au Grand Conseil, d’avaliser une nouvelle réforme fiscale favorable aux riches et qui affaiblit l’Etat. Gesticulations de façade, car on ne le sait que trop bien : quand il en va, au nom du consensus neuchâtelois, de la défense des intérêts des plus fortunés, les « partenaires responsables », Conseil d’Etat en tête, sont prêts à aller loin, quitte à bafouer la loi.

 

Droits populaires méprisés

Les élites politiques et les médias n’arrêtent pas de vanter le « consensus neuchâtelois ». Le Parti socialiste, à l’instar des libéraux et des radicaux, en a fait un dogme depuis des lustres. Cette façon de trouver des accords dans le secret des commissions et des conciliabules entre des « partenaires de confiance », pour arriver devant le Grand Conseil avec une solution ficelée évitant tant que possible tout débat public, ne date pas d’aujourd’hui. Mais depuis 2009, le Conseil d’Etat dérive en toute conscience vers un déni de démocratie préoccupant. Peu importe que la Loi sur les droits politiques soit bafouée, ce qui compte c’est d’éviter un vote populaire qui mettrait les autorités politiques sous pression dans une autre direction que celle qui paraît bonne au Conseil d’Etat… Ce déni de démocratie, régulièrement dénoncé par solidaritéS, a pu faire illusion un temps, mais le conflit resurgit maintenant sur un autre plan : la division régionale du canton. Le temps des compromis faciles est visiblement passé?; sur le plan de la fiscalité, le Parti socialiste est prêt à aller très loin à droite, mais la question de la santé risque bien de provoquer un clash. A vouloir tout faire dans le secret, les affaires finissent par leur revenir en pleine figure. Nous en sommes là pour ce qui est de la santé.

 

solidaritéS en appelle au respect de la démocratie

On peut légitimement dire que le Conseil d’Etat se fout des droits politiques. Au moins 5 initiatives populaires auraient dû être soumises au vote du peuple depuis plusieurs années. Interpellé à trois reprises sur le retard illégal pris en particulier pour le traitement de l’initiative populaire pour un impôt (limité dans le temps) sur les très grandes fortunes, le Conseil d’Etat a admis dès le 23 juin 2009 (en réponse à une question posée par solidaritéS) que les délais légaux étaient passés. Cela ne l’a pas empêché de garder l’initiative dans ses tiroirs jusqu’au printemps 2011, puis de la renvoyer pour «traitement» à la commission fiscalité où, depuis lors, elle repose (en paix ?). Nous voilà en 2012, et le peuple n’a toujours pas pu se prononcer sur cette proposition. Disons-le sans ambages, ce mépris des lois par les autorités politiques cantonales nous scandalise.

      Ce n’est d’ailleurs pas la seule initiative dans cette situation : au moins 4 autres initiatives populaires auraient dû être soumises au vote populaire depuis plusieurs années. La première est celle du POP sur le frein au démantèlement social, lancée en réponse au très contestable frein à l’endettement, qui bloque la politique cantonale depuis qu’il est entré en vigueur en 2005. Pour le frein à l’endettement (qui est aussi un frein aux recettes), qui l’intéressait au plus haut point, le Conseil d’Etat avait su ne pas traîner : il avait soumis cette proposition en juin 2005, 4 mois après l’acceptation de ce principe par le Grand Conseil (à l’époque encore majoritaire à droite). Trois initiatives populaires concernent les hôpitaux, un sujet hautement controversé dans le canton, où la question de la santé prend depuis plusieurs années une tournure polémique et surtout un inquiétant retard !

     La Loi sur les droits politiques est claire et si elle avait été respectée, le peuple aurait déjà pu se prononcer depuis belle lurette sur les initiatives populaires en attente. Au Grand Conseil, le groupe PopVertsSol – solidaritéS en tête – est intervenu à plusieurs reprises pour dénoncer le fait que le Conseil d’Etat ne s’en réfère au peuple et à sa volonté que lorsque ça l’arrange. En l’absence d’une Cour constitutionnelle cantonale, faudra-t-il une fois de plus s’adresser au Tribunal fédéral pour que dans le canton de Neuchâtel, les lois soient respectées par le Conseil d’Etat ?

 

Marianne Ebel