Restructurations

Restructurations : La santé des salarié-e-s en cris

Dans sa dernière livraison (nº 4), « HesaMag », le magazine de l’Institut syndical européen, aborde dans un dossier spécial la question des liens entre les restructurations et la santé des travailleurs et travailleuses. Il s’entretient à ce propos avec l’un des rédacteurs du rapport européen « Hires », qui, sans remettre en cause le bienfondé de certaines restructurations, constate tout de même qu’elles font de sérieux dégâts sur la santé des salarié·e·s


 

Quels sont les principaux problèmes de santé identifiés dans le rapport ?

Claude-Emmanuel Triomphe *: L’ensemble des matériaux examinés dans le cadre du projet Hires indique que les restructurations, entendues comme réorganisations majeures de la structure des entreprises privées ou publiques, soulèvent des problèmes de santé importants. Il s’agit principalement de problèmes de type psychosocial tels que dépression, défaut d’estime de soi, absentéisme, instabilité affective, etc. Mais l’on observe également des problèmes cardiovasculaires et une augmentation des accidents du travail, en particulier parmi les jeunes, les femmes et les travailleurs âgés.

 

Pourquoi les restructurations provoquent-elles une augmentation des accidents du travail ?

La réduction du personnel crée, au moins temporairement, un surcroît de travail pour un certain nombre de personnes qui restent. Il y a ensuite des questions de substitution de personnels : changements de postes et de tâches et donc de nouvelles routines à créer. Des routines, que je qualifierais de préventives, ont du mal à se faire. Par ailleurs, du personnel permanent est parfois remplacé par du personnel intérimaire qui est beaucoup moins formé, parfois même moins équipé, et doit cependant être opérationnel tout de suite.

Avez-vous observé des catégories de travailleurs plus à risques de troubles de santé à la suite d’une restructuration ?

Certainement les travailleurs licenciés qui doivent quitter les organisations sans solution de reclassement. Parmi les travailleurs licenciés, les personnes peu qualifiées, voire pas qualifiées du tout, souffrent beaucoup plus que les autres. Les travailleurs à contrat court (les CDD, les intérimaires, les travailleurs occasionnels, intermittents, etc.) sont non seulement les plus à risques, mais également les moins accompagnés des travailleurs qui sont dans des processus de restructuration. Les grands plans d’accompagnement social mis en place par les entreprises excluent dans un certain nombre de pays ces travailleurs-là. Il y a, au contraire, une espèce de consensus social pour qu’ils soient les premiers à partir afin de sauvegarder l’emploi des travailleurs permanents.

Les cadres intermédiaires, les cadres de proximité constituent un troisième groupe à risque. Il s’agit de gens tout à fait qualifiés, mais qui sont dans la position du « jambon dans le sandwich » : ils se prennent les réactions des salariés en pleine figure en tant qu’annonciateurs et exécuteurs des changements tout en subissant la pression de leurs supérieurs qui les ont chargés de la mise en œuvre des mesures de re-structuration.

 

Certains types de restructurations sont-ils plus difficiles à surmonter pour les travailleurs ? Je pense, par exemple, aux restructurations qui débouchent sur la fermeture de l’entreprise…

Dans ce cas de figure, le rapport montre en effet que les conséquences sont importantes et dépassent la personne même du travailleur pour occasionner des troubles parmi les membres de sa famille, voire dans ses relations sociales et amicales. En termes de santé, il y a par ailleurs des conséquences graves dans les premières années qui suivent la fermeture, comme l’a montré une vaste étude suédoise. Elle a constaté une surmortalité parmi la population des gens concernés par une fermeture d’entreprise par rapport à la population du reste des salariés qui n’ont pas connu de fermeture.

 

Le rapport remet en question l’idée selon laquelle les restructurations auraient un effet automatique positif sur la productivité.

Le rapport rappelle en effet les travaux d’économistes selon lesquels les bénéfices des restructurations ne sont pas du tout automatiques. Il y a, par exemple, un certain nombre d’études qui disent qu’une fusion sur deux ne répond pas aux objectifs affichés. On s’est contenté de reprendre ce genre de données pour montrer qu’il y a un vrai problème d’évaluation des processus de restructuration. Il y a extrêmement peu de littérature sur l’évaluation de ces processus tant en termes économiques que sociaux. […]

 

Propos recueillis par Denis Grégoire, rédacteur en chef de HesaMag