Inégales faces à l'inégalité?

 

« Une belle vie c’est notamment la sécurité à la maison et dans l’espace public, un salaire égal à travail égal, un bon service public ». A quelques mois des élections nationales, les 8000 participant·e·s à la manifestation nationale du 13 mars 2011 lançaient la commémoration des 20 ans de la grève des femmes du 14 juin 1991 : « Avons-nous vraiment l’égalité ? Gagnons-nous autant que les hommes pour le même travail ? Qui fait les nettoyages et la lessive? Qui s’occupe des enfants et des personnes ayant besoin de soins ? Qui fait quelle carrière ?  »

 

     Même constat à la veille du 8 mars 2012… Aux causes évoquées s’ajoute la défense du droit à l’avortement que menacent les milieux anti-avortement de l’Union démocratique du centre, du Parti démocrate-chrétien, du Parti libéral-radical, du Parti évangélique, de l’Union démocratique fédérale avec leur initiative pour supprimer sa prise en charge par l’assurance maladie de base.

     Quatre millions de femmes résident en Suisse. Toutes connaissent les étouffements, les humiliations, les discriminations qu’impose un ordre social dominant charpenté de domination masculine. Vivent-elles la même inégalité ?

     Le constat qu’esquisse les mouvements féministes distingue-t-il la crainte de « l’étrangère » vissée au domicile conjugal par une autorisation de séjour attribuée au « motif de vivre auprès de son époux » ? Que dit-il de l’épouse suissesse suivie par la rumeur d’avoir été épousée pour les papiers ? Concerne-t-il les enfants des femmes « sans-papiers », engagées au black ou au gris pour garder les enfants de leurs employeurs-euses ? Sont-elles étrangères ou Suissesses les musulmanes que déconsidère le port du voile, qui subissent le soupçon de violence projeté sur les hommes de leurs familles ?

     Après trente ans de propagande vicieuse et des siècles de mépris colonial, des hommes, des femmes, des enfants portent aujourd’hui leur couleur comme on subissait hier la rouelle (étoffe de couleur jaune ou rouge, imposée aux Juifs comme signe distinctif par les autorités civiles à la suite du concile de Latran en 1215). Le conflit de civilisation s’est glissé parmi nous. La crainte de l’abus nourrit une hostilité qui conduit certain·e·s à croire que les droits sociaux leur sont réservés alors que les politicien·ne·s qu’ils écoutent s’ingénient à les en priver…

     Nos mémoires sont encombrées de bagages inutiles. Sachons retrouver le souvenir qui compte, celui de nos espoirs. Le 1er mai 1884, les syndicats américains engagaient la lutte pour la limitation de la journée de travail. Le 1er mai 1886, 200 000 travailleurs·euses obtiennent la journée de huit heures. Réunie à Paris pour le centenaire de la Révolution française, la IIe Internationale socialiste décide le 20 juillet 1889 que le 1er Mai serait désormais une journée de manifestation pour la réduction de la journée de travail à huit heures.

   En 1910, dans une perspective socialiste, internationaliste et révolutionnaire, l’Internationale socialiste des femmes adopte le principe d’une « Journée internationale des femmes ». Dès 1911, des manifestations sont organisées en Autriche-Hongrie, au Danemark, en Suisse, en Allemagne, plus tard en France, aux Pays-Bas, en Russie, en Suède. Le 8 mars 1913, des femmes russes organisent des rassemblements. Le 8 mars 1915, à Oslo, des femmes qui défendent leurs droits réclament la paix. La Révolution de février commence à Saint-Pétersbourg en Russie le 8 mars 1917. Manifestant contre la vie chère, des ouvrières réclament le retour de leurs maris, partis au front. Le tsar tombe une semaine plus tard.

     Nos mobilisations plongent dans la mémoire des deux grandes révolutions des siècles passés. Pour recouvrer de la vigueur, ne doivent-elles pas retrouver leur inspiration à cette source plutôt que subir l’eau tiède des agendas politiques et des plateformes
électorales ?

     Entre 2006 et 2008, la guerre ravageait leur pays, des milliers d’Irakien·ne·s, « 7000 à 10 000 » (sic) selon les autorités suisses ont déposé des demandes d’asile auprès des ambassades de Suisse en Syrie et en Egypte (!). Elles n’ont pas été traitées. L’Office fédéral des migrations (ODM) a violé des règles de procédure et de garanties consacrées par la Constitution fédérale, vient de communiquer la Confédération. L’éventualité d’une responsabilité disciplinaire ne se pose plus. C’est trop vieux. Aucun acte pénalement répréhensible n’a été découvert. Mais surtout, cet « événement » (sic) est dû à la réglementation qui oblige les représentations suisses à l’étranger à enregistrer et traiter toutes les demandes d’asile déposées dans leurs locaux. Le 26 mai 2010, le Conseil fédéral a heureusement prévu d’abroger les dispositions concernées. Plus de trace, plus de faute.

     Donnant le ton à l’administration, les grands partis gouvernementaux restent de glace devant le massacre de la révolution démocratique en Syrie. Le 22 février 2012, la journaliste américaine Marie Colvin a été tuée à Homs où elle s’était rendue pour témoigner contre la barbarie. L’exemple de son courage et de sa détermination n’illustre-t-il pas la force émancipatrice que porte la journée internationale des femmes ?

     « Dites s’il vous plaît au monde qu’ils doivent nous aider. S’il vous plaît, dites-leur d’arrêter les bombardements » sont les derniers mots qu’elle a écrits dimanche 19 février pour l’hebdomadaire britannique Sunday Times.

 

Karl Grünberg