Grève générale du 29 mars en Espagne: un essai réussi

Entretien avec Miguel Romero*, éditeur de la revue « Viento Sur » et militant de Izquierda Anticapitalista (IA) sur la grève générale du 29 mars dans l’Etat espagnol.

 Dans quel contexte économique et politique s’est déroulée la grève général du 29 mars ?

Une réforme de la législation du travail « très agressive », selon les dires des porte-parole gouvernementaux à Bruxelles, présentée par le gouvernement du Parti populaire (PP) le 10 février, a été le motif principal de la grève générale. Il s’agit du changement de législation le plus brutal jamais mené contre les travailleurs·euses depuis la mort de Franco et l’adoption de la nouvelle Constitution, en 1978. Objectifs visés : baisse radicale du coût de la main d’œuvre, domination absolue du patronat dans l’entreprise et affaiblissement de la capacité de négociation des syndicats.

     L’indignation causée par une menace d’une telle ampleur a permis d’ouvrir des brèches dans l’atmosphère de peur qui domine la société. Les manifestations du 19 février avaient été les plus grandes depuis longtemps : leur ampleur a surpris les syndicats organisateurs et exercé une pression pour qu’ils se décident à convoquer une grève générale. En Galice et en Euzkadi, les syndicats nationalistes avaient déjà convoqué des grèves générales régionales pour le 29 mars. Les Commissions ouvrières (CC.OO) et l’Union générale des travailleurs (UGT) ont finalement appelé à la grève générale pour la même date sur tout le territoire. Cette coïncidence n’implique pas l’unité d’action, mais elle a été très positive pour le déroulement de la grève.

     Il faut aussi tenir compte des élections régionales du 25 mars. En Andalousie, elles ont entraîné la déroute politique inattendue du PP, qui était sûr de pouvoir arracher le gouvernement aux socialistes (PSOE), qui le contrôlent depuis plus de 30 ans. Celui-ci a connu un grave recul, mais – contre toute attente – reste au pouvoir, grâce à un accord avec Izquierda Unida (IU), qui a connu une forte avancée en doublant le nombre de ses député·e·s. A mon avis, la convocation de la grève générale n’a pas eu une influence significative sur ces résultats électoraux, et l’inverse est également vrai. Mais ils ont montré que le gouvernement était plus faible qu’il ne semblait, ce qui a été un stimulant pour le 29-M.

 

Comment évalues-tu cette grève générale ?

Un succès d’ensemble. La journée a eu deux volets : une grève « ouvrière classique » importante, mais inégale selon les régions et les secteurs ; des manifestations citoyennes qui ont mobilisé plus d’un million et demi de personnes dans plus de cent villes.
La grève a été très forte dans l’industrie, la construction, les transports (en acceptant le service minimum exigé par les autorités), les marchés de gros ; elle a été moins suivie dans les administrations et services publics, dans la banque, le commerce, l’hôtellerie. Ce n’est qu’en Euzkadi que la grève a eu un impact vraiment massif dans les entreprises et toute la société. Par contre, les manifestations (sans risque de perte salariale ou menaces pour l’emploi) ont rencontré un succès incontestable.
A signaler, la présence considérable de jeunes sur les piquets de grève et dans les manifestations, où l’on rencontrait des lycéen·nes, ce qui n’est pas habituel dans l’Etat espagnol. Sans aucun doute, ce phénomène exprime l’influence de la « culture » du mouvement des indigné·e·s, par-delà les difficultés qu’il rencontre aujourd’hui.

     La grève est restée à tout moment sous le contrôle des syndicats majoritaires, CC.OO et UGT, sans aucun débordement. La crédibilité de leur discours politique en défense du « modèle social espagnol » (sic.), avec des références à la constitution de 1978, est une autre affaire : peu de gens – y compris parmi les militant·e·s syndicaux ­– leur accordent de l’attention. Ils affirment pourtant vouloir reprendre les négociations avec le gouvernement pour établir un « consensus national » face à la crise. Pour la grande majorité des gens mobilisés, il est clair qu’il faut s’opposer à la réforme de la législation sur le travail et aux autres « réformes » qui viendront. Et après le 29-M ils sont plus motivés pour le faire. C’est le principal succès de la grève générale.

Après la grève, quoi ?

Nous n’avons pas assisté à un « changement de cycle politique », comme le prétend le PSOE. Il s’est écoulé à peine 100 jours depuis la victoire du PP. Ce qui a changé, ce sont les attentes d’une partie considérable des travailleurs·euses et de la jeunesse scolarisée – condamnée à la précarité et sans droit. La conviction et la volonté existent dans ces secteurs, pas majoritaires mais très larges, présents dans les syndicats (majoritaires et « alternatifs »), dans les mouvements sociaux, bien sûr dans les assemblées de quartier du 15-M qui restent actives, qu’il faut continuer la lutte et qu’on peut obtenir des résultats à moyen terme.

     Pour emprunter une métaphore au football, on se trouve dans la situation d’une équipe qui perd 4 à 0 à la fin de la première mi-temps et qui marque un but au début de la seconde. On peut remonter, il y a la volonté de le faire, mais ce sera très difficile.
Le problème, c’est comment le faire. C’est l’enjeu de ces prochaines semaines. Les CC.OO et l’UGT ont la force d’être les références nécessaires de mobilisations nationales. Il se peut qu’ils fassent un plus grand effort que d’habitude pour mobiliser le 1er mai. Mais à mon avis, il ne faut avoir aucune confiance dans ce type d’initiatives, ni attendre celles-ci.

     Dans les prochains mois, l’enjeu consistera à développer les luttes et les mobilisations locales dans les entreprises, les secteurs, les régions et dans l’appui mutuel de toutes ces mobilisations. Il s’agit de maintenir un climat de protestation active, basé sur les bonnes expériences du 29-M, afin de dépasser les moins bonnes expériences. Voilà la grande opportunité pour construire la gauche anticapitaliste. Il doit y avoir et il y aura de nouvelles grèves générales, mais elles doivent marquer des pas en avant par rapport au 29-M.

 

Propos recueillis pour solidaritéS par Juan Tortosa

 

Traduit de l’espagnol par Hans-Peter Renk