Réactions à l'édito du numéro 206

Réactions à l'édito du numéro 206 : Quel vote pour quelle gauche?

Nous avons reçu quelques réactions de France, par rapport à l’éditorial de notre dernier numéro, signé par Jean Batou «Europe : sur les lieux de travail, dans la rue et dans les urnes… Dire NON aux solutions capitalistes». Elles émanent de camarades de la gauche anticapitaliste qui participent depuis des années aux mêmes combats que nous.

 

Je vais voter Philippe Poutou au premier tour. Le nationalisme de Jean-Luc Mélenchon me pose problème, mais je partage l’essentiel des positions de l’éditorial de Jean Batou, notamment la formidable espérance que signifie le succès de la campagne du FdG. Je comprends que de nombreux camarades du NPA aient décidé de soutenir cette campagne. Si Mélenchon arrive à dépasser le FN,ce sera un vrai tournant. Je pense donc que le NPA devrait s’allier au FdG pour les législatives.

            Après les élections, si le FdG refuse d’entrer dans un gouvernement dirigé par Hollande, je pense même que le NPA devrait adhérer au FdG, tout en gardant son indépendance comme parti. Nous devons suivre l’exemple de l’Allemagne, du Danemark, de la Grèce, du Portugal et de la Suisse, où les révolutionnaires participent à des coalitions plus larges. La gauche anti-systémique doit s’unir si elle veut peser sur le champ des luttes sociales et politiques contre le massacre néolibéral que nous préparent les banques et les politiciens à leur solde. Il faut chercher l’unité avec tout ceux-celles qui veulent dire « non aux solutions capitalistes ». 

Michael Löwy

 


 

 

Jai apprécié l’éditorial de Jean Batou sur la campagne du FdG en France. Il souligne à raison l’importance de la dynamique enclenchée et le sens très positif de l’écho qu’elle reçoit, mais il n’escamote pas pour autant les problèmes d’orientation qu’elle soulève. Je voudrais ajouter à ce sujet une dimension qui éclaire l’acuité du problème qui nous est posé.

 

            Il y a eu l’an dernier de grands mouvements sociaux en France. A cette occasion, de violents conflits sont apparus jusqu’au sein de la CGT, les dirigeants cégétistes de luttes « phares » dans l’automobile dénonçant publiquement la mollesse de la direction confédérale. On retrouve dans la mobilisation électorale du FdG les deux « côtés » de la CGT, ce qui contribue à lui donner sa force. Cependant, la direction du FdG (PCF et Parti de gauche) est très « légitimiste » vis-à-vis des sommets confédéraux. Durant la vague de mobilisation en défense des retraites, à l’automne, elle s’est ainsi contentée de proposer une sortie institutionnelle (un référendum) à une lutte massive dans la rue – un enterrement.

            Le FdG permet aujourd’hui à une défiance de gauche vis-à-vis du PS de s’exprimer – massivement ! Mais rien n’indique qu’il soutiendra demain de façon plus consistante qu’hier la radicalité des combats sociaux. D’autant plus que le FdG cultive l’ambiguïté sur son éventuelle participation à une majorité présidentielle, derrière le PS (un parti social-libéral). Mélenchon en rajoute encore dans le républicanisme cocardier (« C’est à l’étranger que j’ai le mieux ressenti l’amour de la France.?» écrit-il dans une Lettre aux Français vivant à l’étranger), très compatible avec la tradition PCF.

            Le pire serait que les espoirs suscités par la campagne Mélenchon débouchent sur une nouvelle désillusion (il y en a déjà eu tant en France !). Voilà pourquoi il est indispensable de penser dès aujourd’hui les lendemains pour qu’ils ne déchantent pas. Comment vivre le présent (le sens positif de la mobilisation suscitée par le FdG) tout armant pour les échéances à venir n’est pas simple. Mais il faut au moins poser les termes du problème. 

Pierre Rousset



Les voix pour les diverses composantes se réclamant de la gauche s’ajoutent… La progression des intentions de vote Mélenchon exprime sa capacité à capter des abstentionnistes et à prendre des votes protestataires populaires à Marine Le Pen. Elle rend donc crédible la défaite de Sarkozy dans un contexte où l’aspiration à un changement par les urnes renvoie à l’accumulation de défaites sociales. C’est aussi pourquoi les intentions de vote pour la gauche radicale piétinent.

            Malheureusement, aucune candidature ne répond à ce qu’avaient révélé les révoltes des banlieues en 1995 : la désagrégation du tissu social et politique qui fait le lit des politiques clientélistes et xénophobes dont les populations musulmanes font massivement l’expérience. Sarkozy glorifie le passé/présent colonial de la France. La pseudo « laïcité » est mobilisée contre la « visibilité » des femmes musulmanes portant foulard, même quand elles sont aides maternelles… à domicile. Ni Mélenchon, ni Poutou, ni Artaud ne répondent à cela.

            Quel que soit le résultat du vote, les formes multiples d’auto-­organisation qui se multiplient dans/pour les quartiers populaires, hors réponses électorales, seront essentielles pour l’avenir. 

Catherine Samary

 


 

Quelques mots en réaction à l’édito de Jean Batou, dont je partage l’essentiel, en essayant de surmonter les sentiments de désarroi et de découragement qui prennent trop souvent le dessus.

            Nous voilà coincés entre une campagne Poutou, inaudible, marginale, trouble, parfois sympathique, parfois sectaire, et une campagne Mélenchon, dynamique qui donne de l’espoir à des milliers de gens, mais qui n’est pas sans poser problème. Les relents patriotiques ne sont pas qu’une faute de goût : l’« allégeance » au drapeau bleu-blanc-rouge et à la Marseillaise, les appels à la fierté nationale, c’est toujours dangereux. Il y a bien sûr aussi toutes les ambigüités dans le programme notées dans l’édito. Il y a aussi dans ce rassemblement des forces et des mi­li­tant·e·s avec qui nous partageons bien des combats mais aussi (voir la liste des can­di­dat·e·s aux législatives présentés par le FdG) ceux-celles qui ont eu des positions et des pratiques (comme élu·e·s ou comme responsables syndicaux) à l’opposé de ces combats.

            La dynamique sociale de la campagne Mélenchon exprime, en tout cas, un changement dans la situation: une volonté de combattre et de s’unir – y compris dans un cadre électoral – contre les politiques néolibérales de droite ou de « gauche ». Cette situation devrait interroger les anticapitalistes sur la nécessité de s’insérer dans cette dynamique sociale électorale si l’on veut peser sur la situation politique et favoriser l’émergence de luttes de résistance.

            Avec l’optimisme de la volonté il faudra s’intégrer dans un processus qui doit s’ouvrir après la séquence électorale : donner une perspective en termes de recomposition et de luttes, au « peuple de gauche – vraiment ! » qui se sera exprimé dans les urnes. Et apprendre à maîtriser le binôme radicalité/unité, qui s’exprime sous de nouvelles formes, ce qui exige de remettre la politique au centre de nos préoccupations pour avancer vers la légitimation des – et l’adhésion aux – alternatives anti­capitalistes. 

Sophie Zafari